lundi 14 janvier 2019

GPA : «Je n’ai qu’une mère : celle qui m’a voulue et m’a élevée»

Par Catherine Mallaval, Photo Rémy Artiges — 
Valentina Mennesson, mardi à Paris.
Valentina Mennesson, mardi à Paris. Photo Rémy Artiges pour Libération  

Née il y a dix-huit ans aux Etats-Unis par gestation pour autrui, Valentina Mennesson raconte ses liens avec la femme qui l’a portée et celle qui lui a donné ses gènes. Elle se revendique «absolument normale» et défend le procédé qui lui a permis de voir le jour.

Fini le temps des poses devant des photographes qui tenaient ab-so-lu-ment à la capter avec sa sœur devant son école primaire ou sur une balançoire. Jolis clichés de petites filles nées d’une gestation pour autrui. Cette sulfureuse GPA. Valentina Mennesson, jumelle de Fiorella, est désormais majeure (depuis octobre). Et en ce mois de janvier, elle regarde seule l’objectif. Sans ses médiatiques parents, Sylvie et Dominique, les désormais célèbres époux Mennesson qui depuis dix-huit ans écument les tribunaux, encaissent et contestent sans relâche les décisions de justice pour être pleinement reconnus par l’état civil français comme les deux parents de leurs filles. Combattants infatigables. Aujourd’hui, la fille prend la relève à sa manière en s’affichant avec son visage en couverture dans un livre-témoignage au titre aussi sobre que cash : Moi, Valentina, née par GPA. Un récit jeté à la face de la Manif pour tous et de ses images de bébés dans des chariots pour mieux étriller cette fameuse gestation pour autrui pourtant mentionnée dans la Bible. Et de tous ceux qui crient à la «marchandisation» des corps. Sans nuance. Sans se soucier de ceux qui sont ainsi nés. Valentina et sa sœur Fiorella, c’est une histoire à plusieurs. Les deux filles ont vu le jour en 2000 en Californie grâce aux gamètes de leur père, certes, mais aussi aux ovocytes d’une donneuse, Isabelle, une amie de Sylvie, et le ventre d’une Américaine, Mary. Mais depuis toujours, le duo clame n’avoir qu’une seule mère. Celle qui les a désirées et élevées depuis dix-huit ans : Sylvie, victime d’une rosserie de la vie (le syndrome de Rokitansky) n’a pas d’utérus.

Visage mutin bien maquillé et ongles faits, jean troué au genou (malgré le froid), grosses baskets et blouson façon moumoute à longs poils, Valentina, phrasé saccadé de jeune qui oscille entre les «à la base» et les «de base» pour mieux appuyer son propos, se raconte dans un café, quelques jours avant de regagner Londres où elle étudie le commerce à l’université. Quelques jours aussi avant la sortie, jeudi, de son ouvrage qui offre en préface les mots de sa mère résumant «dix-huit années de joies et de bonheur» avec ses filles «mais aussi de peines, essentiellement dues à l’acharnement judiciaire», tandis que papa signe une postface rendant grâce à une «banalité heureuse»«le baptême, les promenades en poussette, les câlins, le premier jour à la piscine avec les bébés nageurs…» avant de conclure sur une sorte de «si j’avais su, j’aurais vécu tranquille aux Etats-Unis. Et pas dans cette France qui prend en otage la reconnaissance des enfants par l’état civil françaispour mieux dissuader des couples (hétéros ou homos) de recourir à la GPA interdite dans l’Hexagone depuis 1994.»
Pourquoi ce livre-témoignage ? Vos parents ont déjà raconté leur combat dans des ouvrages (1).
Ceux qui s’opposent à la GPA disent que les enfants sont malheureux ou qu’ils ont des problèmes. Je voulais leur répondre. Une bonne fois pour toutes. Pas dans une énième interview. Dans un livre. Depuis longtemps, la porte était ouverte chez Michalon, qui édite mes parents. Mais ma sœur et moi étions trop jeunes. On attendait le bon moment. L’âge d’être au clair. Il est venu. Au départ, je devais écrire ce texte avec Fiorella. Mais j’ai commencé seule l’été dernier. Elle m’a relue. M’a dit qu’elle pensait exactement la même chose et n’avait rien à ajouter. Alors j’ai continué en solo.
Votre message, c’est de dire : je suis normale. C’est ça ?
Absolument. J’aime sortir avec mes amies, faire les magasins, regarder des séries, manger des sushis… Quand je vois mes copines, je constate que la seule différence, c’est que je suis née différemment. Et franchement, je suis loin de penser tous les jours que je suis née grâce à une GPA. En fait, ça me revient quand mon père parle de son combat avec les juges ou en parle dans des interviews. Tout est beaucoup plus simple qu’on l’imagine. Mes parents m’ont toujours dit la vérité. Ils m’en ont toujours parlé. Et c’est comme si je l’avais toujours su. Il y avait la femme qui nous a portées ma sœur et moi (nous étions deux embryons différents) et l’amie de ma mère qui a donné ses graines : Isabelle. Quand j’ai grandi, j’ai dit «ovocytes» et non plus «graines». C’est tout. Très clair. Et je n’ai qu’une mère : celle qui m’a voulue, a coupé le cordon ombilical et m’a élevée. D’ailleurs, je n’aime pas l’expression «mère porteuse», qui fait passer la GPA pour quelque chose d’étrange, voire de malsain. Ça laisse entendre qu’il y aurait deux mères dans l’affaire. Ce n’est pas le cas.
Quelles relations entretenez-vous justement avec Mary, qui vous a portée ?
Depuis que nous sommes nées, nous allons régulièrement aux Etats-Unis en vacances. Du coup, nous voyons Mary très souvent. En fait, je suis surtout proche de ses enfants. Elle en a eu quatre avant de nous porter. Je rigole plus avec eux. Je n’ai pas de photo de Mary dans ma chambre mais ma mère en a mis dans le salon.
Mary a été payée pour vous porter, ça vous dérange ?
Cela me semble normal de rémunérer une personne qui porte un enfant pendant neuf mois, doit rendre des comptes à l’agence qui l’a mise en relation avec les futurs parents, aux futurs parents et à la clinique ! Le temps c’est de l’argent. Aux Etats-Unis, les porteuses qui sont retenues par les agences ne sont pas dans le besoin. Je ne comprends pas qu’en France on ne parle que du prix, que de l’argent. Même quand c’est 30 000 euros, il y a des façons plus faciles de les gagner. Ceux qui parlent de «marchandisation» caricaturent. Et mettent toutes les GPA dans le même sac. Moi non plus je ne cautionne pas la GPA quand les femmes qui font cela n’ont pas le choix, ne le font que pour l’argent et à la chaîne, comme en Ukraine. Je défends une GPA bien encadrée, sûre médicalement, avec l’assurance que les femmes qui font ça le font pour le geste, pas uniquement pour l’argent.
Avez-vous demandé à Mary pourquoi elle vous a portée ?
On en a parlé. Mary a été adoptée. Elle a vu sa mère souffrir d’infertilité. Elle a aussi été inspirée par une amie de sa mère qui avait été gestatrice. Elle voulait aider un couple à avoir un enfant. C’est elle qui, après s’être inscrite dans une agence, a choisi mes parents sur photos, d’après leurs motivations…
Et Isabelle, la donneuse d’ovocytes, vous la voyez encore ?
Bien plus souvent que quand elle habitait à Washington. Maintenant qu’elle est rentrée en France, dès que ma mère fait un truc à la maison, elle l’invite. Elle aussi, c’est surtout la pote de ma mère. Elle est grave sportive, pas du tout comme moi. Elle fait tout le temps des marathons. Je me dis, j’ai ses gènes mais je n’y arrive pas, le sport c’est ma pire moyenne à l’école.
Vous voyez quand même des ressemblances ?
Elle est drôle, je crois que je le suis, mais il y a beaucoup de gens qui sont drôles. J’ai un peu son air asiatique, mais sinon… Pour moi je le redis, c’est clair : Mary et Isabelle ne sont pas mes mères mais les amies de ma mère. Simplement je suis un peu plus gentille avec elles qu’avec les autres copines de ma mère. Quand elles sont là, je ne monte pas dans ma chambre.
Vous auriez aimé avoir les gènes de votre mère ?
J’aurais bien aimé, mais ça n’était pas possible. D’ailleurs, je pense que quand la mère d’intention ne peut pas fournir ses ovocytes, recourir à une donneuse indépendante est essentiel. Si la femme qui m’avait portée m’avait aussi donné ses gènes, bref qu’elle avait été ma mère génétique, ç’aurait été trop compliqué. Et pas éthique. Là, le fait que Mary ne m’ait pas transmis son patrimoine, et qu’elle ne m’ait pas désirée, a permis qu’elle me laisse partir.
La question est sans doute agaçante, mais auriez-vous trouvé plus simple ou plus «moral» d’être adoptée ?
J’ai discuté de ça avec mes parents. A première vue, l’adoption c’est grave mieux, puisqu’il s’agit de sauver un enfant de la détresse. Mais d’abord, il y a très peu d’enfants à adopter. Et mes parents m’ont expliqué qu’ils voulaient un enfant qu’ils aient ensemble à la naissance. Les enfants à adopter ont souvent un passé. Et ça, ce n’est pas simple. Mes parents n’avaient pas eu d’enfants avant nous je crois qu’ils ne se sentaient pas de gérer ça. Déjà qu’ils galèrent avec nous. Il faut dire qu’on est assez capricieuses… Bref, je comprends très bien qu’on pose cette question de l’adoption. Et qu’on la trouve plus «morale». Mais ce qui m’agace c’est qu’on ose me demander souvent si ma mère est bien ma mère, ce que l’on ne fait pas avec un enfant adopté. J’ai l’impression aussi qu’on se demande davantage si les enfants de GPA vont bien, s’ils sont normaux, s’ils ont subi un traumatisme, alors qu’on considère que grâce à l’adoption un enfant qui était malheureux est désormais forcément heureux.
Fréquentez-vous d’autres enfants nés de GPA ?
J’en croise beaucoup quand mes parents font leur colloque annuel avec leur association Clara (Comité de soutien pour la légalisation de la GPA et l’aide à la reproduction assistée). Mais la plupart sont petits ! Sinon, je connais la fille de l’avocat de mes parents aux Etats-Unis. Elle est née comme ça aussi. Elle a 25 ans. Elle est sympa. Et normale aussi.
Du coup vous avez peu de gens à qui en parler ?
Mes amies proches le savent. Et si le sujet vient j’explique. Mais une fois que j’ai dit que j’étais née par GPA et que j’ai expliqué, y a plus grand-chose à ajouter.
Comment vivez-vous le combat juridique et médiatique de vos parents ?
Tout ce qui est loi, juridique, ça m’énerve. J’en ai marre quand mon père parle de ça à table. Je demande alors qu’on parle de choses normales. Je n’ai pas vraiment l’âge de m’intéresser à tout ça et pas vraiment envie. Mais en même temps je comprends qu’ils continuent à se battre. Quand on élève et qu’on aime une personne depuis dix-huit ans on veut être reconnus comme les parents sur le livret de famille. Et ça, nous ne l’avons pas. Pour l’instant, j’ai un passeport américain, depuis peu un passeport français. C’est tout. Alors c’est vrai que j’espère que mon témoignage aidera. Notre famille, et les autres aussi.
Vous rêvez à votre tour d’avoir des enfants ?
Oui et beaucoup. Quatre ou cinq. Faut bien que je rattrape ma mère.
(1) Interdits d’enfants (2008) et la Gestation pour autrui, l’improbable débat (2010)



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