mercredi 9 janvier 2019

Adeline Hazan : «Il faut réfléchir à une psychiatrie plus humaine, moins axée sur la sécurité»

Par Eric Favereau — 
Vue depuis une chambre d'isolement du centre hospitalier de Plouguernével, en Bretagne.
Vue depuis une chambre d'isolement du centre hospitalier de Plouguernével, en Bretagne.Photo Cyril Zannettacci. Vu. pour Libération 

Contrôleuse générale des lieux de liberté depuis plus de quatre ans, Adeline Hazan alerte sur la baisse des effectifs e sur les dérives en cours dans certains établissements.

Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, a visité un nombre important d’hôpitaux psychiatriques. Elle a de ce fait une perception précise de la situation actuelle. Et, à plusieurs reprises, elle a alerté les pouvoirs publics sur des pratiques contraires aux droits humains.

L’importance de la contention et des mesures d’isolement dans les hôpitaux psychiatriques est-elle un symptôme de la crise que traverse la psychiatrie publique ?

Oui. Car elle atteste deux choses. D’abord, un problème d’effectifs : ces derniers ont considérablement baissé, ce qui induit des tensions et provoque un manque de temps pour que le personnel puisse apaiser certains malades en crise. Au final, cela entraîne un recours plus important à des mesures de contention, et cela malgré le cadre qu’a fixé la loi de janvier 2016. En second lieu, il y a un problème de culture. Une véritable réflexion pour que ces pratiques soient réellement utilisées en dernier recours est menée dans certains établissements, mais elle est absente ailleurs.
Avez-vous néanmoins le sentiment que ces pratiques se raréfient ?
Je ne peux pas répondre quantitativement. Mais je ne peux que constater que deux ans et demi après le vote de la loi encadrant ces pratiques, deux ans aussi après les recommandations que nous avons faites dans notre rapport sur ce sujet, il reste toujours un nombre certain d’établissements où cette loi n’est pas respectée, où il n’y a pas de registre recensant l’usage de l’isolement et de la contention, où il n’y a pas d’explication à ces pratiques. Ces manquements sont graves. Il y a dans certains hôpitaux des habitudes et des cultures de service qui perdurent. Tout un travail d’ensemble doit être mené, et il est question au niveau national de créer un observatoire de ces pratiques, ce qui serait très positif.
Ces dérives vous ont-elles surprise ?
Oui. Je rappelle que nous avons publié deux recommandations en urgence concernant des services de psychiatrie dans l’Ain et au CHU de Saint-Etienne. Mais ce qui nous inquiète, plus globalement, ce sont les restrictions de liberté qui sont encore décidées dans certains lieux de façon systématique et pour tous les patients. C’est par exemple le port obligatoire du pyjama pendant plusieurs semaines, le retrait du téléphone, l’interdiction de visites pendant le début de l’hospitalisation. Cet aspect systématique, sans individualisation en fonction de chaque cas, est attentatoire aux droits fondamentaux des patients.
La France est-elle un cas en Europe ?
La France est l’un des pays qui enferment le plus pour soigner la maladie mentale. Beaucoup plus, en tout cas, que nos voisins. Et cela pose une véritable interrogation : pourquoi ne réfléchit-on pas à une psychiatrie plus humaine, moins axée sur la sécurité ? Pourquoi ne reste-t-on pas dans l’esprit de la psychiatrie de secteur, avec des structures en amont et d’autres en aval, faisant en sorte que l’hospitalisation, lorsqu’elle est nécessaire, ne soit qu’un moment du parcours du patient ?
Que faire ?
Le monde de la santé mentale connaît une crise grave, c’est un milieu professionnel en grande souffrance, dans lequel médecins et infirmiers travaillent à flux tendus. Ils n’en peuvent plus. Tous les acteurs vivent la psychiatrie comme le parent pauvre de la médecine, ils ont été déçus par le peu de place accordée à la santé mentale dans les annonces du président de la République en septembre, dont ils attendaient beaucoup. Il est nécessaire que les pouvoirs publics engagent enfin une réflexion sur une véritable loi sur la psychiatrie et la santé mentale, afin de changer de paradigme pour aboutir à soigner en enfermant moins.



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