L’éducation est une science (moyennement) exacte. Cette semaine, Nicolas Santolaria explique comment la plate-forme de vente en ligne s’est subrepticement emparée de la logistique de Noël.
En mon cocon domestique, les signes de l’arrivée imminente de Noël se font de plus en plus manifestes. Au réveil, alors que le sapin clignote dans la vapeur enveloppante des chocolats chauds, le premier geste de ma progéniture est d’aller ouvrir une nouvelle case du calendrier de l’Avent Kinder, qui génère à la fois beaucoup de bonheur et un terrain propice pour les caries. Mon fils aîné s’est par ailleurs fabriqué un échéancier installé au-dessus de son lit et, tel un taulard dans l’attente de sa libération, il coche méthodiquement les cases qui le séparent du 25 décembre.
En voyant cela, on serait tenté de se dire que rien n’a changé, que Noël est toujours ce rituel immuable fait de fébrilité enfantine, d’attention à l’autre manifestée au travers des cadeaux et d’une bûche indigeste.
Mais, derrière ce vernis, depuis une décennie, les choses se sont en réalité profondément modifiées. Progressivement, subrepticement, en un mouvement souterrain de grand remplacement, le Petit Papa Noël est poussé vers la sortie par le Petit Pap’Amazon.
Cette année, la crise des « gilets jaunes » aura encore accentué le phénomène. D’après un sondage réalisé par OpinionWay pour Perifem (association des grandes enseignes de la distribution), 43 % des consommateurs effectueront leurs courses de Noël sur les sites de vente en ligne, 30 % d’entre eux affirmant que leurs emplettes dans les magasins physiques se sont de plus en plus raréfiées.
Jouer des coudes dans une boutique surpeuplée pour acheter les cadeaux, les introduire presque par effraction dans le logis, les empaqueter en douce, tout cela constituait un notable effort parental pour entretenir le merveilleux
Si le Petit Papa Noël occupe encore une place centrale dans les imaginaires, le Petit Pap’Amazon s’est emparé d’une grande partie du processus logistique.
Profitant d’une croyance solidement ancrée dans les esprits (l’évidence, partagée par tous, qu’il y aura des présents au pied du sapin), Amazon non seulement fournit les cadeaux, s’occupe de les livrer, mais se charge aussi de l’emballage. A ce stade d’hystérie délégataire, on n’attend plus que le drone qui viendra peut-être déposer prochainement les boîtes étincelantes à côté des chaussures pour nous éviter les risques de lumbago.
Tout cela est loin d’être anodin. Avant, nous étions tous une petite partie active du Père Noël et la fête reposait sur l’efficacité de cette coproduction voyant s’entremêler un mythe aux origines diverses, des commerçants locaux se frottant les mains et des parents affairés.
Jouer des coudes dans une boutique surpeuplée pour acheter les cadeaux, les introduire presque par effraction dans le logis sans se faire intercepter par sa progéniture à l’affût, les empaqueter en douce, tout cela constituait un notable effort parental pour entretenir le merveilleux. En faisant cela, l’adulte payait en même temps un tribut à son enfant intérieur, réactivant son propre rapport enchanté à l’existence.
Rituel remplacé par l’arrivée de cartons au sourire fléché
Si certains adultes participaient activement à l’organisation des festivités, c’est qu’une part d’eux-mêmes voulait encore croire au Père Noël. Cette procédure rituelle tend aujourd’hui à disparaître, remplacée par un simple clic. Et, peu de temps après, par l’arrivée des fameux cartons siglés du sourire fléché, caractéristique de la firme américaine.
En prenant les rênes de l’approvisionnement, le Petit Pap’Amazon continue à faire vivre une certaine magie (au sens où il escamote tout ce qui rend possible le processus de livraison), en même temps qu’il anémie le rituel, au profit d’une totalité opératoire asséchée.
Indéniablement, ça marche, puisqu’il y aura bien des cadeaux sous le sapin le 25, mais quelque chose de l’esprit de Noël s’est évanoui sous l’effet de cette approche purement instrumentale (et, avouons-le, bien pratique).
L’autre problème de taille posé par cette formule ne se fait pas immédiatement sentir. Mais lorsque viendra le jour fatidique où votre enfant demandera « Papa, est-ce que Père Noël existe vraiment ? », et que vous estimerez venu le temps de ne plus botter en touche, alors là, les choses seront beaucoup plus complexes.
Non content de révéler que l’histoire du gros barbu couperosé qui passait par la cheminée était en fait une vaste escroquerie (ou un fait alternatif, c’est au choix), il faudra alors, si vous voulez être totalement sincère, vous livrer à une deuxième couche de révélations : « En fait, fiston, non seulement le Petit Papa Noël n’existe pas mais, en plus, il a été remplacé par le Petit Pap’Amazon. » Immanquablement, l’enfant vous demandera : « Ben c’est qui, le Petit Pap’Amazon ? Est-ce qu’il a lui aussi une barbe blanche et un manteau rouge ? C’est lui qui a fini le morceau de gâteau et le verre de vin qu’on a laissés hier soir à côté de la cheminée ? »
Pas de rennes, des drones
Là, l’explication s’annonce aussi compliquée que lorsqu’on vous sollicite pour exposer en deux phrases « comment on fait des bébés ? »
En essayant de retomber sur vos pieds, vos réponses se feront forcément maladroites, du style : « Euh, Amazon est une plate-forme de vente en ligne qui n’a pas de barbe, fiston. Ça permet d’acheter des trucs en cliquant juste sur sa souris. Le petit Pap’Amazon n’utilise pas de rennes, mais il effectue déjà des livraisons par drones. »
Et les lutins ? « Euh, ben, en fait c’est des êtres humains soumis à des cadences de travail exténuantes. Le Petit Pap’Amazon a aussi une assistante qui s’appelle Alexa. Mais elle ne se plaint pas, car elle vit dans une enceinte connectée plutôt douillette. » A l’écoute de ces explications totalement cryptiques, votre enfant pourrait soudain sentir la magie de Noël s’évanouir brutalement. Ce sera alors le moment de dégainer votre botte secrète : « Oui, mais c’est bien moi qui ai emballé tes cadeaux, fiston, car papa t’aime très fort ! »
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