mardi 11 décembre 2018

FEMMES DE COMBAT ET COMBATS DE FEMMES

Par Yannick Ripa    — 

Combattantes et combattants de la résistance grecque, en 1944.

Combattantes et combattants de la résistance grecque, en 1944.Photo Dmitri Kessel. The Life Picture Collection. Getty Images .  
Ce n’est pas le premier conflit mondial qui, ces derniers temps, a retenu l’attention de l’histoire des femmes et du genre, mais le second, comme le suggèrent quatre ouvrages. Ces derniers sont nés d’un même constat : le peu de place accordé aux femmes dans l’histoire des luttes antifascistes, et donc leur manque de traces mémorielles. Ils sont pareillement traversés par une interrogation : comment comprendre cette minorisation alors même que des travaux ont prouvé l’implication féminine d’alors et son indispensabilité ? On s’est longtemps contenté d’avancer pour seules explications la modestie des femmes, leur refus de glorifier leur «simple» devoir patriotique ou républicain, leur retour dans la sphère domestique. Les quatre études refusent cette lecture partielle et, à l’aune du genre, en prouvent la partialité.
De fait, s’il a fallu du temps pour identifier dans les «malgré-nous» des victimes du nazisme, cette reconnaissance a oublié les «malgré-elles», pas même ainsi nommées. Nina Barbier analyse une souffrance venue s’ajouter à celles endurées par ces Alsaciennes et Mosellanes happées, à peine sorties de l’adolescence, dans la machine de guerre nazie, dépouillées de leur nationalité, voire de leur prénom, travailleuses de force dans une Allemagne en manque de bras, auxiliaires d’une armée qui tue les leurs.

Engagements.
Selon Michèle Cointet, la négligence historiographique ne concerne pas seulement la Résistance au féminin. Il est«temps, affirme-t-elle, d’écrire l’histoire des femmes sous l’Occupation» ; du moins, tempérera-t-on, d’en proposer un vaste tableau accessible à tout lectorat. Pour ce, l’historienne a choisi de décrire les postures que l’Occupation propose ou impose aux Françaises, à travers surtout des trajets individuels. Cette démarche offre des pages aussi inattendues que révélatrices sur celles qui ont choisi de rejoindre Vichy, «figurantes d’une petite capitale» qui leur refuse tout vrai rôle, ou sur les épouses, présentes par devoir conjugal. Ce large spectre traque la spécificité des engagements ou des contraintes féminines, effets de genre identifiés aussi dans les comportements des déportées de Ravensbrück.

A l’évidence, la Résistance, la collaboration, l’oppression, la répression se déclinent en vertu des sexes. Ainsi, la charge que représentent les enfants limite l’engagement des mères ou situe leur résistance au foyer ; cela privilégie donc le rôle des jeunes filles. A travers l’Europe en guerre, leur vécu est pluriel, en fonction du contexte politique de leur pays, mais aussi des situations familiales, idéologiques et matérielles, comme ont tenu à en témoigner, enfin, trente d’entre elles, dans le recueil intitulé Elles racontent.
Ces trois ouvrages ont opté pour l’accumulation des informations afin de pallier des manques, sans s’attaquer vraiment à leurs causes. Déterrer les racines de ces carences ou des interprétations non conformes à la réalité, tel est l’objectif des onze contributeurs sollicités par Laurent Douzou et Mercedes Yusta. Ils ont choisi de focaliser leur regard sur les femmes de l’Europe du Sud qui, durant les années 30 et 40, luttèrent contre les fascismes, croisant ainsi le genre et le statut d’étranger fuyant les dictatures.
Assignations de genre.
Est ainsi mis en évidence le rôle des femmes dans la «résistance pionnière», souvent en l’absence des hommes. Elles inventent la «désobéissance multiforme» (contribution de Julien Blanc) des années 1940 et 1941, discrète mais significative : l’impulsion et l’orientation sont données, l’occupation et la défaite refusées. De surcroît, pareille initiative rompt déjà avec les assignations de genre et augure d’une réelle prise d’autonomie féminine, trait commun à l’ensemble des résistances, et qui, en Grèce, fait aussi rupture dans l’histoire sociale. La lutte contre le fascisme, dépourvue d’arme et clandestine, malmène les répartitions genrées traditionnelles du temps de guerre. Or, les historiens ont été, déplorent Douzou et Yusta, tributaires «d’un imaginaire fortement sexué» qui postule une résistance masculine organisée, au rôle primordial, et place à l’arrière-plan «une résistance féminine essentiellement passive, confinée […] à des tâches d’assistance», qualifiées de «secondaires et subalternes». Cette grille a été appliquée dans la construction de la représentation de la Résistance dans l’après-guerre, comme dans l’après-franquisme : les combats armés sont héroïsés, les figures masculines honorées ; la virilité applaudie se fait triomphante, alors même que sa survalorisation était au cœur des systèmes fascistes !

Nina Barbier Malgré-elles. Les Alsaciennes et Mosellanes incorporées de force dans la machine de guerre nazie Tallandier, 256 pp.
Michèle Cointet Les Françaises dans la guerre et l’Occupation Fayard, 320 pp.
Vérène Colombani, Jacqueline Lavaine, Colette Mesnage Elles racontent. Jeunes filles dans l’ombre de la guerre 1939-1945 Grancher, 204 pp.
Laurent Douzou et Mercedes Yusta (sous la direction de) La Résistance à l’épreuve du genre. Hommes et femmes dans la Résistance antifasciste en Europe du Sud (1936-1949) Presses universitaires de Rennes, 248 pp.



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