vendredi 2 novembre 2018

«Tests de virginité», mort in utero, logiciel sexiste d'Amazon : octobre dans la vie des femmes

Par Juliette Deborde et Margaux Lacroux — 
L'Américaine Lynzy Lab et son ukulélé, la campagne de l'OMS contre les «tests de virginité», un extrait du clip «Diamant» de Bagarre, la bio Larousse de Simone de Beauvoir.
L'Américaine Lynzy Lab et son ukulélé, la campagne de l'OMS contre les «tests de virginité», un extrait du clip «Diamant» de Bagarre, la bio Larousse de Simone de Beauvoir. Captures Youtube, Larousse et OMS

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l’actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Trente-huitième épisode : octobre 2018. Si vous avez manqué l’épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

De Beauvoir au Nobel, les femmes snobées par les dicos

Le 2 octobre, le prix Nobel de physique a été décerné à trois scientifiques. Deux hommes, une femme. Tous sont récompensés pour leurs travaux sur les lasers. Qui sont-ils ? Un rapide tour sur Wikipédia permet d’aller à la pêche aux infos pour les deux premiers lauréats, qui ont chacun leur page. Mais pas pour la lauréate, Donna Strickland, qui n’existe pas dans la base de données de l’encyclopédie participative. Ça n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Le magazine américain The Atlantic révèle qu’en mai, un contributeur a voulu créer une page consacrée à la scientifique canadienne. Mais sa tentative a échoué. Justification du modérateur : grosso modo, elle ne présentait pas assez d’intérêt pour constituer une page Wikipédia. Ses pairs masculins, eux, étaient donc dignes d’intérêt. Il aura donc fallu attendre que Donna Strickland soit auréolée d’un prix Nobel pour qu’une page bien fournie éclose sur Wikipédia.

Une affaire symptomatique du processus d’invisibilisation de femmes qui ont pourtant permis des avancées majeures, y compris en sciences. Et quand même ces femmes ont réussi à entrer dans l’Histoire, elles sont souvent ramenées à leur statut d'«épouses de» dans les annales. C’est ce qu’a relevé la journaliste Marie Kirschen sur Twitter en comparant les très sérieuses biographies du Larousse. Dans celle de Frida Kahlo, il est précisé que la peintre mexicaine était «mariée à Diego Riviera» dès la deuxième ligne. Dans la biographie de ce dernier, aucune mention de sa femme. Même procédé pour Simone de Beauvoir, «qui allait devenir la compagne de Sartre» est-il précisé dès les premières lignes, tandis que dans la fiche Jean-Paul Sartre, la «compagne ou complice d’une vie» arrive en toute fin de texte. Sans compter que la bio de l’auteur de la Nausée est six fois plus longue que celle du Deuxième sexe. Vous avez dit deux poids deux mesures ?
En octobre, Libé a aussi décrypté une vidéo russe anti-manspreading, relayé un appel de Clémentine Autain«pour en finir avec l’entre-soi masculin» et une tribune d’enseignantes contre l’invisibilisation des femmes dans la philosophie, parlé d’un ouvrage sur la soumission féminine, critiqué le trop masculin grand prix national de l’architecture et fait le point sur la polémique autour de la création d’un championnat automobile féminin, accusé de ségrégation.

SANTÉ

Mort fœtale in utero : l’accouchement en question

«C’est le protocole» : c’est ce que Céline, 40 ans, s’est vu répondre quand elle a appris qu’elle devait accoucher par voie basse de son fœtus, dont le cœur s’est arrêté de battre à un mois du terme. La Bordelaise a eu trois enfants, tous nés par césarienne. «Je pensais donner la vie, mais j’ai donné la mort», raconte-t-elle à l’Obs. «Pourquoi ne pas procéder à une césarienne, moins éprouvant psychologiquement ?», interroge la journaliste Louise Auvitu. En cas de mort fœtale in utero, l’accouchement par voie basse est en effet préconisé. «Une césarienne reste un acte chirurgical qui a pour conséquence de fragiliser l’utérus», explique un gynécologue-obstétricien, qui souligne que pratiquer une césarienne peut entraîner des complications lors des grossesses suivantes, notamment des ruptures utérines. Les études scientifiques sur le sujet sont peu nombreuses, et parfois contradictoires.
Elisabeth, qui a connu deux morts fœtales in utero, raconte avoir au départ voulu opter pour la solution qui lui semblait la plus rapide et la moins traumatisante : «On se dit qu’avec une césarienne, ça ira plus vite et qu’avec un peu de chance, on sera dans les vapes.» La majorité des femmes changerait cependant d’avis après des explications avec l’équipe médicale. A l’instar de Natacha, qui, entouré d’un psychologue, a fini par accepter : «Sentir ce bébé sortir de moi m’a aidée. Ça m’a forcée à admettre sa mort.» Reste que plusieurs femmes interrogées témoignent du manque d’écoute et d’accompagnement dans cette épreuve, qui concerne 5 naissances pour 1 000.
En octobre, Libé a relayé plusieurs études sur la santé des femmes : un rapport sur le manque d’hygiène des sondes utilisées pour les échographies gynécologiques, une étude sur la dépression notamment chez les femmes, et une recommandation de la Haute Autorité de santé sur la généralisation du dépistage de la chlamydia chez les 15-25 ans. Le Pape en a aussi remis une couche sur l’IVG, comparé au recours à un «tueur à gages», des propos qui normalisent les attaques contre des libertés acquises.

CORPS ET SEXUALITÉ

L’OMS plaide pour la fin des tests de virginité, «douloureux et traumatisants»

Une pratique sans aucune base scientifique et «contraire aux droits des femmes et des filles» :  l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les Nations unies ont appelé en octobre à mettre un terme aux tests de virginité, un examen gynécologique pratiqué dans au moins 20 pays à travers le monde (Brésil, Egypte, Inde, Iran, Maroc, Sri Lanka…). Dans un rapport publié mi-octobre, les organismes dénoncent une pratique «médicalement inutile et souvent douloureuse, humiliante et traumatisante» pour les femmes et les filles qui les subissent.



Say NO to virginity testing! 🚫


“Virginity testing” aka “two-finger testing” has no scientific or clinical basis. It is an inspection of female genitalia designed to determine whether a 👩 or 👧 has had vaginal intercourse.



Virginity testing MUST END 👉
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There is NO examination that can prove a girl or woman has had sex.


So-called is often performed by inspecting the hymen for tears or its size of opening, and/or inserting fingers into the vagina (the “two-finger” test).



It must NEVER be carried out! pic.twitter.com/2laJIDnlpp


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Réalisés par des personnels de santé, des policiers ou des chefs de communauté, ces tests peuvent être réclamés par les parents ou le futur conjoint ou même les employeurs. Pourtant, «rien ne tend à démontrer» que l’inspection de l’hymen ou l’introduction de doigts dans le vagin (les deux méthodes utilisées) permettent de prouver qu’une fille ou une femme est vierge, une notion de toute façon très relative, souligne l’OMS, qui voit dans l’attention portée à la virginité féminine «une forme de discrimination fondée sur le sexe». Pires, ces tests menacent la santé des femmes, et peuvent entraîner de graves «conséquences physiques, psychologiques et sociales». L’examen peut par exemple amener des victimes de violences sexuelles à revivre leur traumatisme ou augmenter les risques d’infections, en raison de l’absence de précaution d’hygiène. Un comble.
En octobre, Libé a aussi rencontré la créatrice de madamePee, premier urinoir portable pour femmes, décrypté la polémique autour de la une de Vogue avec Kendall Jenner accusée d’appropriation culturelle, et mis en garde contre l’obsession du «baby bump», une sanctification de la maternité pas vraiment inoffensive.

VIOLENCE

Des actes d’huissiers gratuits pour les femmes victimes de violences conjugales

Retranscription de SMS menaçants, constatation de violences physiques, recouvrement de pensions alimentaires, constat de non-présentation d’enfants… Parce que peu de femmes osent faire constater les actes de violences subis, l’Association des femmes huissiers de justice de France a décidé d’offrir 5 000 prestations gratuites par an. Objectif : favoriser le recueil des preuves, qui pourront ensuite servir lors d’un procès en justice. Cette initiative, notamment relayée par Midi Libre, vise à rendre la justice plus accessible à des victimes souvent en situation de dépendance financière et affective. «Ces femmes n’osent pas venir, ont du mal à passer la porte d’un officier ministériel», explique la fondatrice de l’association, maître Astrid Desagneaux, à la radio associative Vivre FMSelon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, seules 19 % des femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire déposent plainte.
Pour que les victimes n’aient pas à se déplacer ou à téléphoner, une adresse mail a été lancée : afhj.fnsf@scp-desagneaux.com. Les demandes sont ensuite réparties entre les huissiers de l’association, en fonction du domicile des victimes. L’association  a signé un partenariat avec la Fédération nationale Solidarité femmes, qui gère le numéro d’aide aux femmes, le 39 19. L’opération est aussi soutenue par le ministère de la Justice.
En octobre, Libé a relayé les suites de l’affaire Kavanaugh, finalement confirmé à la Cour suprêmeaméricaine (où siège la juge Ruth Bader Ginsburg, icône progressiste objet d’un docu sorti au début du mois) et suivi le procès de l’agresseurde Marie Laguerre, condamné pour avoir frappé la jeune femme à Paris cet étéune condamnation symbolique. On a aussi fact-checké une infographie sur le nombre de victimes de la chasse et des violences conjugales et appris que #MeToo avait permis à 71% de femmes victimes de violences de témoigner. On s’est demandé si le sport de haut niveau favorisait certains comportements violents à l’égard des femmes, on a parlé de l’enquête gonzo du journaliste Robin D’Angelo sur le milieu du porno amateur, où le consentement des actrices est souvent bafoué, rencontré Ramia Daoud Ilias, jeune yézidie mariée de force et violée après avoir été capturée par Daech, tout comme la militante irakienne Nadia Murad, lauréate du Nobel de la paix aux côtés du gynécologue Denis Mukwege, qui vient en aide aux victimes de tortures sexuelles.

LIBERTÉ, DROITS CIVIQUES

En Iran, un réseau alternatif pour diffuser le sport féminin

Le sport féminin reste un sujet sensible en Iran. Bien que la pratique sportive se soit développée, la plupart des grandes compétitions, elles, ne sont toujours pas diffusées à la télévision. Le taekwendo est une des rares disciplines qui ne pose pas problème, puisque le corps entier de la femme est couvert. Pour le reste, les Iraniennes ont trouvé un moyen de partager leurs exploits et de gagner en visibilité. Grâce à un réseau de joueuses, supportrices ou encore journalistes volontaires, vidéos et photos sont postés sur les réseaux sociaux. Sur Instagram et Telegram, les comptes tels que «Footlady» font ainsi office de médias alternatifs et gagnent en popularité. Reste que certains interdits demeurent, rappelle France 24 : «Dans de nombreux sports, comme la natation, la lutte ou la boxe, les Iraniennes ne sont toujours pas autorisées à participer aux compétitions internationales.»
En octobre, Libé a laissé quartier libre aux historiennes, sous la direction de Michelle Perrot, pour un numéro notamment consacré à #MeToo. Quelques jours plus tard, l’historienne Florence Rochefort explorait les stratégies de résistance mises en place par les femmes après l’affaire Weinstein. L’actrice Jane Fonda, rencontré dans le cadre d’un portrait, a plaidé pour plus d’intersectionnalité au sein du mouvement de dénonciation des violences. Présentes en page de der également ce mois-ci, Emma Gonzalez, jeune activiste américaine porte-parole du mouvement lancé par les lycéens victimes de la fusillade de Parkland, et Valérie Rabault, première femme députée à présider le groupe PS à l’Assemblée. Libé a aussi raconté le combat des Brésiliennes lors de la campagne présidentielle qui a vu Bolsonaro arriver au pouvoir. Le P’tit Libé a expliqué le féminisme aux enfants et un nouvel épisode de notre série 1968.digital est revenu sur le passage à l’action des féministes américaines en 1968.

TRAVAIL

Le logiciel de recrutement d’Amazon discriminait les candidates

Les humains n’ont pas le monopole des discriminations sexistes à l’embauche : un programme informatique mis au point en 2014 par Amazon pour automatiser le processus de recrutement a systématiquement écarté les candidatures féminines. Le programme, fondé sur l’intelligence artificielle, examinait les CV des candidats à des postes techniques et leur attribuait une note d’une à cinq étoiles (comme un produit vendu sur le site), a révélé en octobre l’agence de presse Reuters. Le classement était ensuite consulté par les RH qui faisaient leur choix. Le problème : l’algorithme a été entraîné avec les recrutements effectués par le groupe sur une période de dix ans, des profils pour la plupart masculins en raison de la prédominance des hommes dans les nouvelles technologies. Le système de recrutement en a donc déduit que les candidatures masculines étaient préférables… et a écarté les profils féminins.
Les candidatures où figuraient le mot «femme» ont été systématiquement rejetées. Les notes de deux candidates diplômées d’universités féminines auraient également été dégradées. Le géant du commerce en ligne s’en est rendu compte au bout d’un an. Le projet a été modifié, avant d’être abandonné en 2017, en raison de la difficulté à l’empêcher de trier les candidats de manière discriminatoire. En septembre déjà, Facebook avait été accusé de ne pas montrer ses offres d’emplois à certaines catégories de population, dont les femmes.

EDUCATION

Femmes sous-représentées en sciences : une question de confiance en soi

Aujourd’hui encore, les filles s’orientent moins que les garçons vers les filières scientifiques. Et ce alors qu’elles ont en général de meilleurs résultats au bac. Pour expliquer ce phénomène, on pointe depuis longtemps les stéréotypes qui sont associés aux professions scientifiques. Difficile d’associer «vie de famille épanouie», longues études et métier solitaire. Oui, mais pas seulement. Le goût des sciences et la confiance en soi sont les deux facteurs déterminants dans la décision finale d’orientation des filles, révèle une enquête de la Depp, publiée dans Education & formations n° 97, réalisée auprès de 8500 lycéens. A compétences égales en mathématiques, les filles ont davantage tendance à sous-estimer leur niveau réel et déclarent moins leur goût pour les sciences dites «dures».

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé»

• Commentaires sexistes, «dickpics» non sollicitées voire agressions : à l’occasion du Comic Con, Neon a consacré une enquête au harcèlement et aux violences sexuelles vécues par les cosplayeuses, ces jeunes femmes qui se déguisent en un personnage de manga ou de comics. A lire ici.
• Du présentateur Charlie Rose, remplacé par la journaliste Christiane Amanpour, à Tina Smith, nouvelle sénatrice du Minnesota après la démission d’Al Franken, près de la moitié des hommes mis en cause lors de #MeToo ont été remplacés par des femmes. Le New York Times les recense dans une infographie interactive à consulter en ligne.
• Sur le compte Instagram Empowered Birth Project, Katie Vigos, infirmière de Los Angeles, partage photos et vidéos d’accouchement, des images sans filtre, parfois dérangeantes car trop rarement montrées – et miraculeusement non censurées par le réseau social.
• Seule une femme sur dix qui souhaite avorter pousse la porte du Planning familial accompagnée de son partenaire. Une solitude des femmes dans leur parcours d’IVG dénoncé par des soignants, raconte l’Expressdans un article consacré au peu d’investissement des hommes en la matière.
• «C’est si perturbant, est-ce du viol, ou de la gentillesse ?» Dans A Scary Time, Lynzy Lab tourne en dérision la déclaration du président américain sur la supposée«époque terrifiante» vécue par les hommes dans l’ère post-#MeToo. Armée de son ukulélé, la chanteuse de 32 ans décrit les restrictions auxquelles les filles sont confrontées au quotidien. La parodie, traduite ici, a été visionnée plus de 12 millions de fois.
• Dans une lettre ouvertetraduite par plusieurs médias français l’actrice Emma Watson rend hommage à Savita Halappanavar, une dentiste morte après une fausse couche en Irlande en 2012, alors que l’IVG était interdit par la Constitution. Un plaidoyer pour une «justice reproductive à travers le monde.»
• «Signe de saleté, de folie, de bestialité, de radicalité politique, d’homosexualité»… Dans un article très documentéSlates’interroge sur notre intolérance vis-à-vis de la pilosité féminine, point de cristallisation des différences entre les corps des hommes et des femmes.  
• On termine avec un clip, le dernier du groupe Bagarre, «Diamant», une ode aux amours solitaires féminines, à visionner ici pour se donner des idées.

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