mercredi 21 novembre 2018

Les seniors vont mieux mais travaillent vieux

Par Lilian Alemagna et Amandine Cailhol — 
Daniel Suillaud, 66 ans, mécanicien-monteur chez Ervor, à Argenteuil, le 5 novembre 2013.
Daniel Suillaud, 66 ans, mécanicien-monteur chez Ervor, à Argenteuil, le 5 novembre 2013.Photo Gilles Coulon. Tendance Floue 

Dans son «portrait social» de la France, publié mardi, le statisticien se penche sur les 13,1 millions de «65 ans ou plus». Avec des conditions de vie globalement améliorées, ils travaillent cependant plus longtemps et risquent de vivre moins bien à la retraite que ceux qui les ont précédés et ceux qui les suivront. Et sont sujets à des inégalités, notamment entre hommes et femmes.

Voici qui devrait éclairer le (toujours actuel) débat sur les «transferts» entre retraités et actifs et les (futures) discussions sur la grande réforme des retraites prévue par le gouvernement en 2019. Dans son traditionnel «portrait social», livré mardi, l’Insee dresse un panorama exhaustif des seniors, ceux qu’on range dans nos statistiques dans les colonnes «65 ans ou plus» : ils étaient 13,1 millions en 2018 (soit 20 % de la population), ils seront près de 22 millions (près de 30 %) en 2070… Et si leur situation économique et sociale s’est grandement améliorée, avec un niveau de vie moyen aujourd’hui supérieur à celui des actifs, les nouvelles générations «séniorisées» travaillent, elles, davantage, plus longtemps, et risquent de vivre moins bien, à la retraite, que leurs aînées… voire que leurs propres enfants.

Les seniors vivent-ils mieux ?

Sur le papier, oui. Edouard Philippe et ses ministres trouveront dans ce document de précieux arguments pour justifier les «efforts»demandés aux plus âgés - hausse de la CSG sans compensation en 2018, quasi-gel des pensions en 2019 - pour financer les «gains de pouvoir d’achat» en faveur des salariés. Augmentation moyenne des pensions, du travail des femmes, des minima sociaux, des allocations, complémentaires obligatoires… Tout cela a conduit, du début des années 70 à la crise des années 2000, au «rattrapage» des seniors sur les actifs. Mieux, alors que les 25-64 ans ont vu leur niveau de vie moyen reculer depuis 2008, celui des plus de 65 ans a simplement «stagné». En 2015, le niveau de vie moyen des seniors était de 25 130 euros (2 090 euros par mois) contre 24 410 euros pour le reste de la population (2 030 euros par mois), soit 3 % de plus. «Les pensions de retraite, qui constituent l’essentiel des ressources des seniors, ne réagissent pas à un ralentissement de l’activité, explique l’Insee. Elles ont même progressé en moyenne de 5,5 % en euros constants entre 2010 et 2015.» De plus, les différentes revalorisations du minimum vieillesse ont protégé cette catégorie de la population. Il y a ainsi deux fois moins de seniors sous le seuil de pauvreté que chez les personnes d’âge actif : «Au cours des vingt dernières années, la part de seniors appartenant aux 20 % les plus modestes de la population a eu tendance à diminuer.»

Après 65 ans, toujours plus de travailleurs ?

Certains distribuent des tracts dans les boîtes aux lettres, quelques heures par semaine, pour arrondir leurs pensions. D’autres n’ont pas encore droit à la retraite ou ne veulent surtout pas en entendre parler, s’inventent entrepreneurs ou se cramponnent à leur CDI. Ou ne trouvent tout simplement pas de repreneurs, s’ils sont, par exemple, exploitants agricoles. Depuis les années 2000, les plus de 65 ans encore en activité sont de plus en plus nombreux. Soit un taux d’emploi de 3,3 % en 2017 (contre 1,1 % en 2006) grimpant à 6,6 % pour les plus jeunes d’entre eux, âgés de 65 à 69 ans. Les réformes des systèmes de retraite, l’assouplissement depuis 2014 des conditions de cumul emploi-retraite ou encore «les conditions de travail dégradées après la crise» ayant pu «retard[er] l’acquisition des droits nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein» n’y sont pas pour rien, selon l’Insee. Sans oublier l’accroissement de l’espérance de vie.
Parmi ces seniors encore au turbin, de 65 à 74 ans, on retrouve une surreprésentation d’hommes (58 % des actifs occupés, contre 46 % des inactifs), de diplômés, de cadres ou des professions intellectuelles supérieures, (près d’un tiers) et de non-salariés (41 %). Ils sont aussi plutôt en bonne santé et vivent le plus souvent en région parisienne. Et plus de la moitié travaillent à temps partiel. Ce qui explique, en partie, la faiblesse de leurs salaires nets moyens : 1 240 euros, contre 1 960 pour les actifs de 60 à 64 ans.
Mais ces moyennes masquent des disparités. D’abord, parce que, précise l’Insee, il faut distinguer les «cumulants», percevant un revenu d’activité et une pension de retraite (deux tiers des effectifs), de ceux qui ne vivent que de leur travail. Or dans cette seconde catégorie, se dessinent deux réalités. Celle, d’une part, d’une population plutôt masculine, plus diplômée, «poursuivant vraisemblablement leur activité pour des raisons principalement extrafinancières ou pour accumuler des droits». Et un autre, constitué principalement de femmes, d’immigrés et de personnes peu diplômées, pour qui «travailler peut renvoyer à une nécessité économique».

Les «nouveaux seniors» moins bien lotis que leurs aînés ?

Jusqu’à présent, chaque nouvelle génération de seniors a mieux vécu que la précédente. Celles nées entre 1920 et le milieu des années 1940 ont ainsi, selon l’Insee, «bénéficié d’un niveau de vie plus élevé» : «Conséquence, l’écart de niveau de vie moyen entre les jeunes seniors (65-74 ans) et les plus anciens (75 ans ou plus) a crû fortement depuis le milieu des années 2000 et s’établit en 2015 à 10 %.» Mais ça, c’était avant… L’Insee pointe notamment «des différences importantes» entre générations. Par exemple, la «génération 1950», celle ayant bénéficié de retraites anticipées avant 60 ans, est mieux lotie, que la «génération 1944»… mais aussi que la «génération 1956», dont le calcul des trimestres de cotisation a été modifié. En moyenne, tous régimes confondus, la génération née en 1950 part plus tôt en retraite (61,2 ans contre 61,8 pour ceux nés en 1944 et 63 ans pour ceux de 1956), y reste plus longtemps (près de vingt-six ans contre vingt-cinq pour les deux autres) et bénéficie de meilleures pensions (17 230 euros par an contre 16 720 et 17 010).
Par ailleurs, ces nouveaux venus dans la catégorie «65 ans et plus» ont aujourd’hui, à âges équivalents, «un niveau de vie comparable, voire légèrement inférieur» à leurs aînés. S’appuyant sur les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), l’Insee confirme que les nouvelles générations de retraités, du fait des dernières réformes des retraites, vivront même moins bien que les actifs. Si, en 2015, le rapport entre le niveau de vie des retraités et celui de l’ensemble de la population était de 106 %, il se situera entre 89 % et 95 % en 2040 et entre 77 % et 89 % en 2070. De quoi contrarier très vite les mêmes arguments utilisés par l’exécutif lorsqu’il affirme que si les seniors doivent contribuer, c’est qu’ils vivent mieux que leurs enfants.


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