jeudi 29 novembre 2018

La sédation, issue floue pour la fin de vie

Par Eric Favereau — 
Dans le service de soins palliatifs de l’hôpital de Saint-Malo.
Dans le service de soins palliatifs de l’hôpital de Saint-Malo. Photo Fabrice Picard. Vu  

Introduit par la loi Claeys-Leonetti de 2016, ce droit visant à éviter la souffrance des patients n’ayant plus de perspectives de guérison reste sous-utilisé, montre un rapport publié mercredi. Nombre de soignants y voient en effet un début d’euthanasie.

Une histoire comme il en arrive parfois. Une femme de 92 ans, atteinte d’un cancer. Sa chimio ne donne plus de résultats, un traitement de confort est décidé. La patiente a dit récemment qu’elle voulait mourir chez elle et ne plus avoir de traitement. «Maintenant, c’est le moment», a-t-elle précisé à son médecin généraliste, qui décide de lui prescrire «une sédation profonde et continue jusqu’au décès»,comme le lui permet la loi Claeys-Leonetti de février 2016. Cela porte un sigle impossible - une SPCJD - mais c’est la grande innovation de cette loi : endormir jusqu’au décès. «Les proches de la patiente étaient présents. Elle est morte quarante-huit heures après», raconte cette médecin, qui reconnaît néanmoins que ce n’est pas simple et qu’elle doit, en général, «se débrouiller». Il n’empêche, la praticienne a pu donner suite au souhait de sa patiente.
Confusion
A Bordeaux, récemment, ce ne fut pas le cas. Une femme de plus de 90 ans, en insuffisance cardiaque majeure, a demandé à ses proches d’être endormie et d’arrêter tous ses traitements. C’était clair, elle ne voulait plus être réanimée, ni conduite à l’hôpital si elle faisait un nouvel infarctus. Elle l’a dit et elle l’a écrit : elle souhaite être endormie. Cette nuit-là, elle étouffe, on appelle le Samu, il vient. Celui-ci refuse de l’endormir mais veut l’hospitaliser. C’est ce qui sera fait. Cette toute vieille dame va survivre, rentrer chez elle. Et mourra une semaine plus tard, quand la famille aura réussi à faire jouer tous ses réseaux pour trouver un médecin qui veuille bien lui procurer une SPCJD.
Vérité ici, erreur au-delà. Mettre un peu d’ordre, en finir avec la confusion et l’hypocrisie autour de ces pratiques, c’est ce qui avait guidé le législateur avec cette nouvelle loi. Il s’agissait d’accorder un nouveau droit : permettre à des personnes «atteintes d’une maladie grave et incurable, dont le pronostic est engagé à court terme, présentant des douleurs réfractaires, ainsi que celles qui demandent que soit interrompu un traitement vital et craignent de ce fait l’apparition de douleurs», de demander à être endormies jusqu’à la mort. Une proposition parfois critiquée, les uns pointant son caractère hypocrite, les autres y voyant un pas vers l’euthanasie, la majorité estimant, au contraire, que c’est une bonne façon de concilier le souhait du patient et le sacro-saint principe de «ne pas tuer».
C’était donc il y a deux ans. Depuis, la loi est-elle appliquée ? Y a-t-il beaucoup de demandes ? Des réticences ou de la gêne des médecins à la mettre en œuvre ? Bref, comment cela se passe-t-il ? Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), que préside la cardiologue Véronique Fournier, s’est saisi du dossier. C’est, de fait, le premier travail en France sur la question. Le centre a mis en place un groupe de travail, lancé des enquêtes, un questionnaire. Et mercredi, il a présenté ses conclusions.
Un résultat passionnant car imparfait, non définitif, qui rend compte avec nuances de la complexité de la situation, mais aussi de la difficulté d’avoir des données claires. Ainsi, on ne sait toujours pas combien de SPCJD ont eu lieu en France en 2017, ni où elles se déroulent. On ignore aussi si elles sont majoritairement effectuées à la demande du patient et le nombre de refus. C’est le premier constat d’un flou qui demeure. «Face à ce brouillard, nous avons pu dégager néanmoins une série de paradoxes qui décrivent les ambiguïtés du moment»,a expliqué la directrice du CNSPFV. D’abord, une surprise : cela se passe moins bien maintenant qu’hier… Le centre note ainsi que la SPCJD, «censée élargir l’accès possible à une sédation, a eu plutôt tendance à compliquer son accès». Les raisons ? Le terme est peu clair, Il n’est en tout cas pas utilisé par les patients, qui disent«vouloir être endormis», ou «que cela s’arrête», ou «ne pas vouloir mourir étouffé» ; aucun ne parle de «sédation profonde et continue jusqu’au décès».Et puis, quelle différence avec une sédation terminale ? Ce qui fait que les équipes médicales mélangent un peu tout, mettant derrière ce terme des pratiques diverses.

Inégalités

Second paradoxe : alors que cette pratique était faite pour lever toute ambiguïté avec un geste euthanasique, «sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique», note le groupe de travail. «Sans être l’équivalent d’une euthanasie, la SPCJD n’est-elle pas une pratique trop active ?» s’interroge-t-il, des équipes médicales restant sur l’idée «que la mort ne doit survenir que naturellement»et, qu’à ce titre, la sédation ne doit être utilisée qu’à la toute fin. Se pose ainsi la question du délai avec la mort attendue. Quelques jours ? Quelques semaines ? «Quand le décès survient trop vite, on va nous dire que c’est de l’euthanasie. Quand cela dure plusieurs semaines, c’est insupportable pour l’équipe comme pour les proches»,raconte une psychologue.
Autre paradoxe de la situation : le centre note que la loi a favorisé un certain rééquilibrage dans la relation malade-médecin, «mais c’est parfois mal vécu par les médecins». «Lorsqu’un patient dit "j’ai le droit à une SPCJD selon la loi", cela est susceptible de crisper le médecin, qui peut alors chercher à se retirer», note Véronique Fournier.
Enfin, il y a, encore et toujours, de fortes inégalités d’application. D’abord, alors que la loi précise que la SPCJD doit être accessible à tout un chacun, y compris à domicile, dans les faits, c’est très compliqué, - voire impossible en médecine de ville -, avec des médicaments non disponibles et la difficulté d’une décision collégiale comme le demande la loi. «Il faudrait alléger la procédure, mais il reste crucial que le médecin généraliste ne soit pas seul à poser ce fameux diagnostic de mort prochaine», souligne le rapport. Enfin, sont notées des différences réelles de pratiques selon les disciplines, entre les neurologues, les réanimateurs et les gériatres.
Et l’on revient au point de départ : cette variabilité des pratiques pose un problème réel d’égalité devant les soins. La loi n’y a pas encore répondu.


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