mercredi 14 novembre 2018

Fabriquer du sensible et du pertinent

Par Patrick Malléa, directeur des nouveaux usages du groupe nehs - nouvelle entreprise humaine en santé — 

Quand la maladie s'invite dans le réel, les nouvelles technologies peuvent assurer un complément d'écoute, de suivi et de soin.

Lorsque la maladie s’installe et se manifeste, elle se ressent et s’observe, inquiète et questionne. Si la sémiologie en permet le diagnostic, l’étiologie la compréhension et le traitement une guérison, un soulagement ou un accompagnement vers un mieux-être possible, les mots (des patients, de l’entourage ou des professionnels) quant à eux la racontent, la précisent et l’accompagnent. Le silence l’observe et tente de comprendre, au-delà des symptômes, de la souffrance et de la peur ressentis par le patient. Cependant, raconter l’histoire de la maladie, dire la difficulté à fonctionner à la suite d’une perte d’autonomie ou face à une situation de handicap, trouver les mots justes pour exprimer la souffrance, la douleur et l’inquiétude ressenties, sont des épreuves complexes à réaliser pour la personne concernée. D’autant qu’il devient plus informatif et plus précis aujourd’hui de donner, par exemple, un chiffre sur une échelle de douleur qu’un mot pour en définir l’intensité. En outre, trouver les mots justes pour interroger, cerner, répondre, réconforter et motiver est, pour l’équipe soignante, dépendant d’un savoir-faire, d’une disponibilité et d’un temps d’écoute malheureusement entravés aujourd’hui par un manque de temps chronique, de coordination, de formation et parfois d’engagement.

Accepter la technologie

Si nous admettons, après avoir prouvé qu’elles nous permettaient une plus grande liberté d’action ainsi qu’une plus grande adaptabilité aux grands changements de notre société, que les technologies de la transformation numérique font aujourd’hui partie de notre société. Si nous admettons que les fonctions de plus en plus performantes de nos smartphones et d’autres objets du numérique, lorsque leur utilisation est maîtrisée, étendent nos capacités d’action, améliorent nos performances. Si nous admettons que nous déléguons à nos smartphones et à d’autres objets connectés, la gestion de tâches quotidiennes de plus en plus nombreuses et complexes, qu’il s’agisse de stocker des informations, contrôler notre activité physique ou la qualité de notre sommeil, nous rappeler la prise d’un traitement. Alors nous pouvons admettre qu’aujourd’hui la mécanique de plus en plus sensible qui compose ces dispositifs digitaux sait aussi traduire naturellement certaines caractéristiques de notre état de santé. Elle recueille et traite un ensemble de signes susceptibles de faciliter et de préciser un récit qui favorise la juste compréhension d’une situation vécue dans la maladie ou le handicap.

Écouter la maladie

Des travaux de recherche ont à plusieurs reprises imaginé de nouveaux protocoles avec des dispositifs digitaux dont le rôle inédit est de réinventer l’observation précoce des premiers signes d’amélioration ou de détérioration. Le malade, en lien constant avec ce dispositif, transmet des informations en temps réel : «j’ai beaucoup toussé», «je me suis promené plus d’une heure», «je ressens une douleur difficile à décrire». Grâce à cette écoute continue et à l’évaluation en temps réel qu’elle permet, cette technologie numérique non seulement permet au médecin de penser la prescription la plus pertinente mais évite également au patient de subir l’angoisse de l’attente ou encore la multiplication d’examens propres à la conception classique de la surveillance des maladies. Si nous admettons que les données récoltées grâce à ces dispositifs puissent être récupérées et exploitées pour autoriser cette quête du mieux, permettant à chacun de devenir enfin un des contributeurs au sein même du «processus de soin» ou d’une réhabilitation plus pertinente.

Un projet de société numérique

Alors oui, aujourd’hui le digital peut fournir, bel et bien, de nouveaux signes et traduire des comportements en informations utiles qui devraient s’inscrire comme complément essentiel non seulement à l’anamnèse, à la sémiologie et l’étiologie nécessaires au diagnostic plus rapide et plus sûr mais également aux soins, à la prise en charge, au suivi et à une surveillance plus facilement adaptable aux contraintes quotidiennes de la personne confrontée à la maladie ou à une situation de handicap. Si nous osions enfin fabriquer cette nouvelle forme de pertinence, utiliser les moyens que nous avons su créer et redevenir des pionniers dans la conquête du «mieux». Alors la transformation digitale de la société devrait enfin rencontrer le débat sur la pertinence du soin ou de l’aide aux personnes en situation de handicap pour engendrer une véritable refondation de notre projet de société. Avant d’être happés demain par les géants du numérique qui sans hésitation sauront nous imposer leur propre projet de société, nous avons encore le choix, dans ce monde en pleine gestation, de faire naître une nouvelle «voix» porteuse de nos aspirations. Mais finalement, si nous avons conscience de cette réalité, à l’instar de ceux qui ont rendu possible, bien souvent contre tous, le progrès médical et sa généralisation au plus grand nombre, avons-nous encore des aspirations dans la conquête du mieux ?

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