vendredi 30 novembre 2018

Comment des tests ADN défaillants ont élargi la famille de Sigrid Johnson

Une Afro-Américaine, adoptée bébé, a réalisé plusieurs tests pour connaître ses racines. Ses origines africaines sont passées de 2 % à 27 % puis à 45 % ; des résultats qui interrogent la fiabilité de ces méthodes en vogue.
Par Arnaud Leparmentier Publié le 27 novembre 2018

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Lecture 4 min.   LETTRE DE NEW YORK

C’est une histoire comme sait les raconter le New York Times. Une anecdote presque, qui pose des questions existentielles – qu’est-ce qu’être Noir, qu’est-ce qu’être parents ? – sans doute mieux que ne feraient les meilleurs experts. Ainsi, le quotidien new-yorkais, relate-t-il, sous la plume de Ruth Padawer, l’aventure d’une habitante de Philadelphie (Pennsylvanie), âgée de 65 ans : « Sigrid Johnson était Noire. Un test ADN a dit qu’elle ne l’était pas. » Bigre.

L’histoire débute il y a trois ans. Sigrid Johnson reçoit un coup de fil d’une de ses amies, qui travaille sur les tests ADN et l’identité ethnique, et lui demande de faire un test pour une enquête. Petite précision, les Américains raffolent de ces tests, facturés entre 100 et 1 000 dollars (jusqu’à 880 euros), qui leur permettent de retrouver leurs origines.
Il ne s’agit pas de définir une « race » mais de comparer son code génétique à celui d’une population géographique donnée (italienne, sénégalaise, chinoise, ouzbek…) et découvrir que l’on est à 25 % italien, à 50 % chinois et à 1 % « natif américain ».
Sigrid Johnson a vécu dans un quartier noir, a été élevée dans une famille noire de Philadelphie. Son père était « brun doré », écrit le Times, tandis que sa mère avait la peau claire, mi-afro-américaine, mi-native américaine.
Ainsi, Sigrid a vécu sa vie d’Afro-Américaine jusqu’à ses 16 ans. Sa mère lui révèle alors qu’elle est une enfant adoptée. Sa mère biologique, une Italienne mariée à un homme blanc avait conçu un enfant avec un homme noir. Hors de question d’élever un rejeton qui n’est pas le sien, Noir de surcroît, au sein d’une fratrie blanche : Sigrid Johnson est donc adoptée à l’âge de quelques mois, et lorsqu’elle fait son test ADN, elle connaît par avance le résultat : elle est mi afro-américaine, mi-italienne.

Taux d’africanité

Jusqu’à ce que les résultats arrivent. Et c’est le choc, avec une précision étonnante : elle est Hispanique à 45,306 %, Moyen-Orientale à 32,321 %, Européenne 13,714 % et seulement Noire à 2,978 %. « 2 % Africaine ? Qui suis-je alors ?, raconte-elle au New York Times. J’avais peur que les gens disent que j’étais une tricheuse. J’étais si déçue, et au fond de mon cœur, je ne le croyais pas : comment pouvais-je ne pas être Noire. J’avais vécu Noire, j’étais Noire. »
Il s’avère que le test n’a analysé que quelques segments d’ADN : le New York Times lui finance un test plus complet réalisé par une des entreprises spécialisées dans les recherches généalogiques, AncestryDNA. « Même si les résultats sont les mêmes, je suis toujours une femme noire », prévient Sigrid Johnson.
Le test arrive, qui montre qu’un tiers de son origine est mal établi, en raison de la faiblesse de la base de données de la compagnie. Elle est à 21 % du sud de l’Europe – mais pas spécifiquement italienne –, 11 % du Caucase, 10 % du Togo-Bénin, 9 % du Mali, 8 % de la Côte d’Ivoire. Sigrid Johnson en a les larmes aux yeux. « Je suis si soulagée de voir la part africaine, que je suis réellement une femme noire. »
Le New York Times, lui, se plonge longuement sur le taux de fiabilité des tests, en réalité très faible. Il a suffi qu’AncestryDNA change son algorithme pour que le taux d’africanité de Sigrid passe de 27 % à 45 % et qu’elle devienne Italienne à 49 %.
Sigrid Johnson fait alors un troisième test auprès de 23andMe. Cette entreprise fournit à ses clients deux estimations : l’une fiable à 50 % mais précise et qui offre aux clients le rêve attendu et sans doute faux – « je viens de tel village » ; la seconde fiable à 90 % mais imprécise. Ainsi, le taux d’italianité de Sigrid est-il tombé de 19,6 % (50 % de fiabilité) à 7,9 % (90 % de fiabilité). Rien ne vaut visiblement un arbre généalogique.
Dans ce grand n’importe quoi, les entreprises AncestryDNA et 23andMe proposent de mettre leurs clients en contact avec des proches identifiés par leurs tests ADN. Sur ce point, elles semblent plus concluantes. Sur sa liste, l’Afro-Italienne Sigrid Johnson avait le nom d’une femme nommée June Smith.

Choc des origines

Habitante elle aussi de Philadelphie, June Smith a connu une enfance difficile dans un quartier noir. Elle avait la peau claire, les cheveux ondulants, « comme une fille blanche ». Et elle apprend, par accident, par un voisin, qu’elle a été adoptée à l’âge de six jours, apportée par une femme italienne, qui explique que le père biologique est Noir : « Je ne peux pas ramener le bébé à la maison. Si je le fais, ils la tueront. »
Sa mère adoptive montre à June Smith son certificat d’adoption : elle s’appelait Gail Moser – le patronyme du mari blanc trompé – tandis que sa mère était Ann D’Amico. Le choc des origines fait changer d’attitude à la jeune fille à la peau trop claire. « Je disais aux garçons blancs que j’étais à moitié Italienne. J’ai eu le sentiment qu’ils m’acceptaient plus que mes camarades noirs », confie-t-elle au New York Times, ayant donc une réaction inverse à celle de Sigrid Johnson.
Plus tard, elle part à la recherche de sa famille biologique et rencontre sa demi-sœur, blanche, Nancy Moser. Celle-ci lui explique que ses parents ont élevé six enfants blancs, mais que sur son lit de mort, Ann d’Amico a reconnu l’existence de « ses autres enfants ». June Smith comprend alors qu’elle n’est pas la seule à avoir été abandonnée. Il existe une autre enfant, prénommée Joan, qu’elle cherche en vain.
Jusqu’à ce que Sigrid Johnson la contacte et lui donne son nom de naissance initial, Joan Moser. « Cela fait des années que je cherche Joan Moser, que je vous cherche », lui confie alors June Smith, qui vient de retrouver sa demi-sœur manquante.
Dans la foulée, les autres enfants d’Ann D’Amico assaillent Sigrid Johnson de messages de bienvenue. Sigrid Johnson, elle, apprend à vivre avec un passé reconstruit, avec cette nouvelle famille, inconnue d’elle pendant 65 ans. A cause d’un test ADN défaillant, mais pas complètement.

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