De sa formation en psychopédagogie dans les années 70, le chorégraphe flamand garde une passion pour les gestes et mouvements incontrôlés ou qui pallient l’absence de langage verbal.
Le chorégraphe belge en janvier 2014 à Paris. Photo Pierre Andrieu. AFP
A la tête des Ballets C. de la B. depuis 1984, le chorégraphe flamand Alain Platel a initialement étudié l’orthopédagogie et travaillé avec des enfants en situation de handicap mental et physique. Fasciné par les manifestations corporelles observées dans le milieu médical, il tente d’en formuler une traduction chorégraphique avec ses danseurs, et se réjouit qu’une exposition d’ampleur se saisisse du sujet.
Dans l’exposition «Danser brut», on trouve des références au pédagogue Fernand Deligny, reconnu pour ses recherches auprès d’enfants autistes. Vous vous êtes vous-même beaucoup intéressé à ses travaux…
Oui, quand j’étudiais la psychopédagogie, à la fin des années 70, j’avais même pensé aller vivre dans la communauté d’enfants autistes qu’il avait établie dans les Cévennes. A l’époque, et contrairement à aujourd’hui, ses travaux n’étaient pas populaires. Il n’essayait pas tant d’éduquer ces enfants que d’inventer avec eux un autre type de communication.
Il cherchait ce que leur comportement révélait de notre expérience de vie, ce sur quoi il pouvait nous instruire. Ils communiquaient ensemble en marge du langage verbal, de manière plus physique, en utilisant les signes. Evidemment, pour un chorégraphe, c’est tout à fait fascinant. Cet homme remarquable incarnait pour moi la combinaison parfaite entre recherche médicale et expérience artistique : il dessinait, réalisait des films, peignait…
Pourquoi avoir fait ce lien entre la danse et ces corps étudiés par la psychiatrie ?
Au début, lorsqu’on me questionnait sur les liens entre ma formation et ma pratique de chorégraphe, je niais leur existence. Peu à peu, j’ai cependant compris à quel point ces études en médecine avaient formé mon regard sur les corps et les êtres. C’est-à-dire que je ne m’intéresse pas à la danse en tant que pratique codifiée mais que j’étudie plutôt d’où partent les mouvements des individus, professionnels du corps ou non. A l’occasion de la création de VSPRS, en 2006, avec Fabrizio Cassol, je me suis rendu au musée du docteur Guislain, à Gand, mon musée préféré, extraordinaire [consacré à l’histoire des soins en santé mentale, ndlr]. Il est lié à un hôpital psychiatrique et propose des expositions d’art contemporain et d’art brut. J’y ai découvert les films réalisés au début du XXe siècle par le psychiatre Arthur Van Gehuchten, pionnier de la cinématographie médicale, qui montre des patients atteints de ce que l’on nommait «hystérie». Les danseurs qui travaillent avec moi ont été fascinés par cette collection de gestes à première vue extrêmement étranges qui témoignent d’une hypersensibilité et adviennent là où le langage verbal résiste - ce qui est une préoccupation commune aux danseurs. On utilise encore ce genre de référence pour développer une écriture.
Comment utilisez-vous ces phénomènes physiques avec vos danseurs ?
Les mouvements que l’on voit chez ces patients du début de siècle sont liés à des crises nerveuses, des mouvements aujourd’hui bien contrôlés par les traitements médicamenteux et qu’on ne voit plus, désormais. C’est la raison pour laquelle ces images sont si particulières. Les danseurs ont cherché comment faire advenir une perte de contrôle dans le corps. On en passe par beaucoup d’exercices pour se plonger dans des états particuliers, ou pour mobiliser des réflexes, en cherchant ce qu’il se passe, par exemple, si l’on vous tire dessus, ce type de choses… A partir de quoi on tente de voir comment reconstruire ou réécrire ces mouvements. Devant les images d’Arthur Van Gehuchten, les danseurs me prouvaient à quel point la distinction entre le comportement de quelqu’un de malade ou non peut être fine, que nous sommes tous, à certains degrés, concernés par des manifestations physiques étranges, nerveuses ou obsessionnelles. Et les danseurs n’ont pas peur d’utiliser ce matériel.
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