vendredi 14 septembre 2018

La sexualité, une question d’éducation

Par Catherine Mallaval et Virginie Ballet — 

Des jeux sur les moyens de contraception féminins et masculins sont utilisés dans des ateliers d’éducation à la sexualité.
Des jeux sur les moyens de contraception féminins et masculins sont utilisés dans des ateliers d’éducation à la sexualité.Photo Christophe Maout pour Libération

Les recteurs d’académie ont reçu jeudi une circulaire ministérielle leur rappelant que les cours d’éducation sexuelle étaient obligatoires depuis 2001. L’occasion de tordre le cou à une campagne de désinformation orchestrée par la Manif pour tous et consorts.

Le gouvernement serait «sataniste», voudrait «légaliser la pédophilie» ou encore «apprendre la masturbation dès la maternelle»… Qu’est-ce qui peut bien déclencher pareille excitation sur les réseaux sociaux et dans les milieux conservateurs ? Une simple circulaire, destinée à rappeler aux recteurs d’académie la loi en vigueur depuis dix-sept ans en matière d’éducation à la sexualité. Et à les pousser à l’appliquer. La secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, avait annoncé mi-juillet l’envoi de ce texte, précisant que cette éducation pourrait être l’occasion d’aborder l’égalité entre les sexes et d’insister sur des notions comme le consentement(«respect d’autrui»).Débutait alors une vaste campagne de désinformation, qui atteignait son apogée fin août, quand Marlène Schiappa s’est trouvée dans l’obligation de démentir très officiellement toutes ces rumeurs, même les plus farfelues, pour rassurer des parents d’élèves parfois inquiets, et souvent perdus.
Cette circulaire qui fait tant rugir (rougir ?) a été publiée au Journal officiel et envoyée jeudi aux recteurs d’académie par le secrétariat d’Etat à l’Egalité et le ministère de l’Education. Est-elle bien nécessaire ? S’agit-il d’un tournant radical dans l’éducation des petites têtes blondes ? Pourquoi une telle agitation ?

Qui agite le spectre de la masturbation ?

Des politiques de «dépravation sexuelle»qualifiées de «nuisibles» et qui méritent carrément de «mener un combat pour la protection de l’enfance»… Comme bien des détracteurs de l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école, Farida Belghoul ne fait pas dans la mesure. Son argumentaire, aussi tronqué que virulent, a des airs de déjà-vu. Et pour cause : en 2014 déjà, c’est cette enseignante et militante proche de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, qui avait mené la bataille contre les ABCD de l’égalité (programme destiné à déconstruire les stéréotypes filles-garçons), en lançant un appel à des journées de retrait de l’école. La bronca contre ce dispositif avait alors poussé le gouvernement sous François Hollande à l’abandonner en rase campagne.
En cette rentrée, ce sont plus ou moins les mêmes rengaines qu’à l’époque qui ressurgissent : pas touche à l’école, non à la «théorie du genre» (même si elle n’est que fiction), ne pervertissons pas les enfants… Le tout assaisonné de confusion savamment entretenue avec la loi Schiappa sur les violences sexuelles et sexistes (quand bien même ce texte n’a rien à voir avec la choucroute). Sans surprise, la Manif pour tous, mouvement né en opposition au mariage pour tous, est elle aussi montée au créneau. «Incitons les parents à parler d’éducation sexuelle avec leurs enfants, ce n’est pas à l’école de le faire», a ainsi martelé la présidente de l’association, Ludovine de la Rochère, fin août sur Sud Radio.
L’association profite aussi de la rentrée pour exhumer Ecoleetsexe.fr, son site internet lancé en février 2017, sur lequel figure un nombre incalculable d’intox. La plus fameuse ? L’école apprendrait aux enfants à se masturber ou fournirait aux élèves des «travaux pratiques» pour apprendre les positions du kama sutra. Là encore, un vieux refrain déjà entonné à tue-tête lors du «combat» contre les ABCD de l’égalité. La masturbation semble décidément bien obsédante. «Alcool, porno, sex toys… Objectif ? Jouir un max»,clame le site, prétendant résumer l’esprit des sessions d’éducation sexuelle dispensées à l’école.
Aussi grossière soit la manœuvre, elle a tout de même obligé la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes à remettre l’église au milieu du village au cours d’un Facebook live, fin août. «Il est hors de question d’enseigner ni la masturbation ni aucune pratique sexuelle à des enfants», a-t-elle insisté, dénonçant des faux documents diffusés par des «extrémistes» sur Internet et appelant les parents à la plus grande prudence. De quoi donner raison au ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, pour qui ce type de sujets est bien souvent «un ventilateur à fantasmes».

Que dit la loi ?

N’en déplaise à ceux qui la vilipendent à grands coups de désinformation, l’éducation à la sexualité est une obligation légale démocratiquement scellée par un vote lors de l’adoption en 2001 de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et la contraception, élargissant le droit à l’avortement prévu par la loi Veil de 1974. «A l’époque, ce texte incluant une éducation à la sexualité a été voté sans soubresaut», se souvient Danielle Bousquet, alors rapporteure du projet de loi. Aujourd’hui présidente du haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, elle déplore l’actuelle polémique, cette «régression». Concrètement, ce texte de 2001 dispose qu’«une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupe d’âge homogène». Précisons aux courants réactionnaires que seule l’école primaire est concernée, pas la maternelle.
L’apport de la loi de 2001 est conséquent : le terme clinique et si restrictif d’«éducation sexuelle»jusque-là en vigueur dans les circulaires passe à la trappe et les ados ne sont plus les seuls à être concernés par cette éducation. Une circulaire de 2003 précise les modalités d’application de cette «responsabilité» de l’école «en complément du rôle de premier plan joué par les familles» (que la Manif pour tous se le tienne pour dit). Bien. Concrètement, quel est le contenu de ces séances ? Il s’agit bien sûr de répondre à des questions de santé publique (MST, accès à la contraception…) mais, pour la première fois, il est aussi fait référence à la notion d’«égalité», de «droits de l’homme», de «mixité» de «lutte contre les violences sexistes et homophobes»…
Et le chemin parcouru face aux premières velléités à l’idée de causer sexe et sentiments est vertigineux. La première pierre ? Elle est posée en 1948 par un rapport commandé par l’Education nationale qui souligne que «les enfants et adolescents s’instruisent entre eux de la façon la moins morale et la plus malfaisante» et préconise de faire comprendre à la jeunesse de France que «l’instinct sexuel est un instinct redoutable qui, laissé sans contrainte»peut ruiner «l’équilibre mental de l’individu et l’équilibre moral de la société». La revendication du plaisir dans la sexualité de Mai 68 et la légalisation de la pilule vont décontracter l’affaire. Et en 1973, la circulaire «Fontanet» autorise pour la première fois l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires. L’enjeu ? En finir «avec les fables racontées aux petits et le silence opposé aux plus grands». Mais on reste dans le facultatif. C’est le début de l’épidémie de sida en 1985 qui va inciter l’Education nationale à pousser le sujet, avant qu’il ne devienne donc une obligation en 2001. La suite ? Las, obligation ne veut pas dire mise en œuvre. A tel point qu’en 2012 le candidat à la présidence François Hollande faisait de l’application de la loi de 2001 le 13e de ses 40 engagements pour l’égalité femmes-hommes. Des promesses, toujours des promesses…

Les parents sont-ils exclus ?

Normalement (dans les textes), l’éducation à la sexualité est l’affaire de tous les acteurs éducatifs, dans le cadre de séances dédiées et dans la vie quotidienne. Dans le rôle du manitou, chaque recteur ou rectrice doit désigner auprès de lui un coordinateur et une équipe de pilotage. A l’échelon en dessous, dans le second degré, le chef d’établissement est chargé d’établir en début d’année scolaire les modalités et la planification des séances. Ce dispositif est intégré au projet d’établissement et présenté au conseil d’administration et au comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Dans les lycées, cette organisation est aussi débattue au sein du conseil de la vie lycéenne. Voilà pour le cadre. Concrètement, en primaire, cette éducation incombe aux professeurs des écoles. Au collège et au lycée, les séances sont prises en charge par une équipe de volontaires formée à cet effet (enseignants, personnel social et de santé…) et si nécessaire d’intervenants extérieurs agréés aux interventions en milieu scolaire (Planning familial, SOS homophobie, Ni pute ni soumise…). Et les parents là-dedans ? Peut-on, si l’on ose dire, leur faire des enfants dans le dos ? Ils sont associés à cette affaire via leur représentation au sein du conseil d’école, du conseil d’administration et du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Et rien ne les empêche de faire le job à la maison.

Faut-il un nouvel élan ?

Améliorer l’éducation sexuelle est clairement une «urgence», affirme le Planning familial, l’une des associations agréées qui intervient en milieu scolaire. «Souvent, lorsque nous allons dans des classes de 4e, on se rend compte que les élèves n’ont pas eu d’autres sessions plus tôt dans leur scolarité», a ainsi récemment alerté sa coprésidente, Caroline Rebhi.
Ce constat alarmant rejoint celui établi par le haut conseil à l’Egalité (HCE). Dans un rapport très complet de juin 2016 basé sur l’inspection des pratiques de 3 000 établissements français, l’instance indépendante consultative relevait que 4 % des collèges et 11,3 % des lycées n’avaient rien mis en place sur le sujet, faisant fi de la législation. Un audit actuellement conduit par l’Etat confirme déjà ce triste constat, nous a confirmé le secrétariat d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Or, comme le relevait l’Unesco en 2015, «les programmes d’éducation sexuelle peuvent s’avérer très efficaces, rentables et économiques pour réduire les risques sanitaires, dont les infections au VIH, les autres IST et les grossesses non désirées». En d’autres termes, c’est une question de santé publique.
Et contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, l’éducation sexuelle n’accélère pas le passage des élèves aux travaux pratiques. Toujours selon l’Unesco, elle «n’entraîne pas une plus grande précocité de l’activité sexuelle, bien au contraire, elle a un impact positif sur les comportements sexuels sains et peut même retarder les premiers rapports sexuels et accroître l’utilisation des préservatifs». Et puis prosaïquement, elle permet de répondre à des questions qui parfois peuvent surprendre. Témoin, cette interrogation lancée par un ado lors d’une intervention du Planning familial et consignée dans le rapport du HCE : «Si une meuf avale le sperme, elle peut être enceinte ?» Euh…


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