mardi 21 août 2018

La place de la justice dans le syndrome d’abus médical et de Münchhausen par procuration

 27/07/2018

M. BALENÇON*, E. GOSSELIN**, S. CANTERO***
*Pédiatre, médecin légiste, expert près la Cour d’appel de Rennes, CHU de Rennes et Hôtel-Dieu (AP-HP), Paris
**Vice-présidente, chargée des fonctions de juge des enfants tribunal pour enfants de Rennes
***Substitut général près la Cour d’appel de Rennes

Qu’entend-t-on par « justice » quand il est question de sa place dans le syndrome de Münchhausen par procuration (SMPP) ou le syndrome d’abus médical (SAM) ? S’agit-il de la justice au sens de l’institution qu’elle représente ou bien de la justice rendue aux enfants victimes de cette maltraitance si particulière ?
À la croisée des chemins, c’est de la procédure judiciaire dont les praticiens doivent se saisir pour prévenir, dépister, diagnostiquer, signaler, soigner et prendre soin pour la protection de l’enfant et la préservation de son intérêt supérieur.

La place du mineur dans la procédure, les spécificités que confèrent la minorité de la victime, les caractéristiques très particulières du syndrome d’abus medical (SAM) et les liens de proximité de la victime avec l’auteur, conduisent dans ce type de maltraitance à des situations extraordinaires. Parfois, celles-ci font la Une de la presse avec des faits d’injections de toxiques ou d’administration de substances potentiellement mortelles sur des enfants. Ces cas sont probablement les plus simples à résoudre pour la médecine et pour la justice. On parle ici d’authentiques « SMPP » (syndrome de Münchhausen par procuration). La difficulté provient des cas plus insidieux qui correspondent au « SAM » dans lesquels des maladies rares sont recherchées, avec acharnement par les médecins et la famille. Des traitements inadaptés sont prescrits. C‘est dans ces cas que l’enfant peut devenir objet d’observation ou de diagnostic, sans que ces besoins fondamentaux ne soient plus respectés.
La singularité de ce SAM provient de ce que le savoir médical et aussi les détenteurs de celui-ci sont un des pivots de ces infractions. Le corps médical, à l’origine de moins de 5 % des signalements judiciaires en France, est largement mis à mal dans le diagnostic des situations d’enfance en danger. Dans ce contexte de SAM, le corps médical occupe une double place bien inconfortable : celle du « bras armé de l’auteur » et aussi celle de la corporation de l’homme de l’art dont l’avis, pour parvenir à la manifestation de la vérité, est incontournable. Tout cela peut nourrir des clivages au sein des acteurs du monde médical, corporation qui par essence même est au service du patient. Il s’agit souvent de situation de clivage qu’il faudra à un moment donné retenir pour en faire un signe diagnostique majeur du SAM. La place de la procédure judiciaire est indissociable de l’activité de juger et donc de l’institution judiciaire.
Comme dans les autres types de mauvais traitements, l’intervention judiciaire commence au moment où le médecin va faire part de ses doutes. Sans ceux-ci, l’institution judiciaire n’est pas légitime. La protection de l’enfance ne peut être mise en œuvre.

Diagnostic et transmission d’informations aux autorités

La grande difficulté est avant tout de penser ce diagnostic. Imaginer les violences sur mineurs est difficile. En devenir, l’instrument dans ces SAM est impensable seul. Il faut donc que les médecins puissent connaître leurs prérogatives dès lors qu’ils ont des doutes sur la possibilité de violences sur mineurs telles que le SAM. La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades autorise les échanges entre professionnels de santé au cœur des équipes de soins. Une des clefs sera de se faire aider par une équipe hospitalière spécialisée en protection de l’enfance œuvrant en lien avec les services du ou des Conseils départementaux du ressort. C’est le sens de la proposition 11 du Plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants. Le bien-fondé de ce type de structure hospitalière a été publié. Dès lors qu’un médecin suspecte ou doute sur le fait qu’un mineur est en danger, il doit avant tout le protéger (article R4127- 44 du CSP). En ce sens, la proposition d’une hospitalisation est souvent opportune et peu menaçante. En revanche, il sera de son devoir de s’assurer de la réalité de celle-ci. En lien avec les unités spécialisées, le praticien pourra faire valoir ses doutes sur des faits de violences subies par une information aux autorités compétentes (le parquet du tribunal de grande instance [TGI] territorialement compétent et/ou la cellule de recueil des informations préoccupantes). Il n’a pas à être certain de la réalité des faits, ni à en faire la preuve. Sur le fondement de l’article 226-14 du Code pénal, il peut se délier du secret professionnel. La forme de cette inquiétude ne peut être qu’écrite. Signalement judiciaire ou information préoccupante ? La forme est toujours la même mais le destinataire change. Ces écrits comprennent : la date, l’identité et l’adresse du praticien signalant, l’identité, la date de naissance, l’adresse de l’enfant, et un résumé de faits qui conduisent le praticien à s’inquiéter avec, au présent, les faits constatés médicalement – les citations seront mises entre guillemets, et au conditionnel, les faits rapportés. Il n’est pas question de désigner un coupable, un mode opératoire, un lieu, etc. mais bien d’alerter les services d’enquête sur le danger auquel pourrait être exposé un mineur pris en charge. De la même façon, le partage des informations à caractère secret entre les professionnels concourant à la protection de l’enfance a été mis en place avec la loi du 5 mars 2007. L’échange est donc possible. Les décisions prises sont nourries par des professionnels. Le collectif est inquiet et c’est signifiant de le rappeler aux familles dans ces situations. Le praticien pris au piège dans ces SAM peut devenir projectif et alors transmettre aux autorités un document uniquement à charge et jugeant. C’est là que l’intervention d’équipes spécialisées est utile pour que nous puissions ensemble faire un pas de côté et nous mettre à hauteur de l’enfant : « Pourquoi ne sort-il plus… ? Pourquoi les soins psychologiques ou pédopsychiatriques lui sont refusés ? Pourquoi un tel collage et une telle prise de parole de la part de ses parents ? ». Pourquoi ses besoins fondamentaux ne sont-ils pas respectés ? La clef est probablement là, tout au moins dans le temps du signalement, il est le début de la prise en considération de la souffrance de l’enfant et de sa famille, du «prendre soins » long et quotidien dont il va falloir faire montre. Exposer de façon factuelle et bienveillante, l’absence de réponse aux be - soins fondamentaux de l’enfant est en soi une avancée thérapeutique. Se pose ensuite la question de l’information aux parents de l’enfant de cet écrit et de sa lecture. Sauf intérêt contraire de l’enfant, les titulaires de l’autorité parentale doivent être informés de ces écrits (article 226-2-1 du Code de l’action sociale et des familles [CASF]). Il nous paraît exceptionnel de ne pas pouvoir informer la famille dans ce type de situation. Une des clefs de l’annonce est certainement de parler au pluriel pour faire valoir l’avis du collectif dans les écrits transmis en se centrant sur l’enfant.
Dire les difficultés est probablement le meilleur gage d’alliance thérapeutique ultérieure.
À réception de l’écrit, le procureur a des prérogatives d’enquête tant sur le plan pénal que sur le plan de la protection de l’enfance. Sur le plan pénal, le procureur va faire procéder à tous les actes d’enquête et de vérification aux fins de rechercher les infractions à la loi pénale (article 41 du Code de procédure pénale [CPP]). En particulier, il peut demander que des actes d’enquêtes soient réalisés par voie de réquisition à personne qualifiée pour réaliser « des constatations ou des examens techniques ou scientifiques » soit en enquête préliminaire (article 77-1 du CPP), soit lors de crimes ou de flagrants délits (article 60 du CPP). La compréhension de la complexité de ces dossiers par la justice procède certainement de la culture commune que nous avons évoquée préalablement mais aussi de la qualité des écrits au moment de la saisine initiale. Si des constatations sont demandées à l’homme de l’art, la connaissance d’un possible SAM invite la personne requise à être très prudente et à ne pas se prononcer de façon simpliste et hâtive avec trop peu de pièces. S’il s’agit de faits criminels ou de cas délictuels complexes, le procureur pourra demander l’ouverture d’information.

Le syndrome de Münchhausen

Les infractions que peuvent recéler le syndrome de Münchhausen par procuration sont multiples :
– l’empoisonnement ou administration de substance nuisible ;
– des violences volontaires par ascendant ou sur mineur de 15 ans ou avec préméditation : les violences pouvant être directement exercées par le parent ou résulter des démarches du parent pour qu’elles soient alors exercées, de bonne foi, par le praticien (articles 222-13 et suivants du Code pénal) ;
– on peut aussi penser à l’escroquerie (article 313-1 du Code pénal).

Le parent qui évoque des symptômes, va user de stratagèmes, véritables manœuvres frauduleuses, pour donner du crédit à son mensonge, afin de tromper le médecin et déterminer celui-ci à fournir une prestation au préjudice de la caisse d’Assurance maladie concernée. Parmi ses prérogatives, le parquet peut mettre en œuvre, en urgences des mesures de protection des mineurs en prononçant une ordonnance de placement provisoire. Cette décision, insusceptible d’appel, impose la saisine du juge des enfants dans les 8 jours, à charge pour celui-ci de tenir une audien ce dans un délai de 15 jours à comp ter de sa saisine. Les demandes d’expertises dans ces dossiers peuvent émaner de deux « catégories » de magistrats dans un but procédural bien précis : l’instruction et l’assistance éducative. Nous ne traiterons pas de la réparation du dommage corporel dans cet article.

Les expertises pénales

Sur le volet pénal, une fois le procureur saisi par le biais du signalement judiciaire, il peut y avoir une ouverture d’information dans le cadre de faits criminels ou délictuels complexes. Celle-ci est rendue effective par le réquisitoire introductif du procureur qui d’une certaine façon encadre les investigations du juge d’instruction. Celui-ci ne pourra pas s’autosaisir de faits nouveaux. Pour mener à bien sa mission, il peut diligenter des expertises médicales à personnes qualifiées figurant sur les listes d’experts des cours d’appel ou de la cour de cassation. L’expert ne doit pas porter dans son rapport d’appréciation d’ordre juridique (art. 238 du CPC). Il ne lui revient pas de qualifier les faits, ni de s’interroger sur la responsabilité pénale de l’auteur. Il lui revient de répondre à la mission qui lui est confiée et rien qu’à celle-ci. Le partage d’une culture commune est un préalable essentiel pour que les ordres de mission soient rédigés de telle façon que les questions et finalement les réponses soient comprises de la justice, de la santé et des parties servant ainsi dans ce cadre expertal la manifestation de la vérité.
Dans ces situations, le juge d’instruction transmet à l’expert pour accomplir sa mission les dossiers médicaux saisis et mis préalablement sous scellées. Ces données sont essentielles. L’errance médicale étant une des caractéristiques de ces situations, la difficulté majeure dans le SAM est d’avoir l’exhaustivité des pièces. Il sera donc du rôle de l’expert de demander au magistrat que lui soit transmis des pièces complémentaires s’il découvre qu’un pan entier du suivi n’a pas été pris en compte. L’étude des remboursements de frais de Sécurité sociale est à ce titre informative à la réserve près qu’elle ne couvre pas forcément des demandes extravagantes médicales ou paramédicales. L’impartialité qui est une des valeurs cardinales de l’expert ne doit pas faire la place belle à une neutralité qui confinerait l’expert à l’indifférence face au dossier du mineur qu’il traite.
En effet, dans les expertises pénales comme à n’importe quel moment d’intervention dans la procédure, le médecin expert doit pouvoir se saisir d’une possible situation de danger. Le secret médical le lie à l’enfant et à la famille dans les opérations d’expertises. En revanche, son cadre d’exercice ne fait pas opposition à ce qu’il se délie au titre de l’article 226- 14 du CP s’il a des doutes sur une situation de danger. Il peut alors interpeller le procureur ou la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) à propos de fait qui lui font suspecter qu’un danger est possible pour le mineur, qui est au centre de la procédure dans laquelle il est missionné. Pour mémoire, l’expert est en charge du dossier à réception de l’ordre de mission jusqu’à la date de rendu du rapport. La remise du rapport le dessaisit de fait.
Une fois son rapport rendu, l’expert pourra être convoqué devant l’instance de jugement. Cette fois comme « expert » et non pas comme témoin comme le praticien à l’origine du signalement. Après avoir prêté serment d’apporter son concours à la justice en son « honneur et conscience » (art. 168 du CPP), il déposera. Il répondra ensuite aux questions qui lui sont posées. L’oralité des débats est la règle et l’expert devra avoir un propos clair. À la phase de rédaction du rapport, succède à l’audience la phase orale qui va nourrir le contradictoire dans un seul but : « la manifestation de la vérité ».

Les demandes d’expertises en assistance éducative (AE)

Le juge des enfants (JE) intervient au titre de l’article 375 du Code civil : « Si la santé, la sécurité, la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation, ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». Il apprécie souverainement la notion de danger. Sa décision est prise à la lumière des éléments écrits qu’il a au dossier préalablement (signalement, rapport des services sociaux, etc.), mais aussi grâce aux rapports des experts qu’il aura missionnés. Le juge des enfants peut diligenter des expertises médicales à personnes qualifiées (art. 1183 du CPC). La particularité de ces demandes en assistance éducative est que le juge des enfants ne peut transmettre qu’un nombre de pièces limitées. Il n’a pas la faculté de faire faire saisir, placer sous scellé et transmettre à l’expert les pièces du dossier médical. L’expert peut en revanche demander communication de pièces aux parties et aux tiers (art. 243 du CPC). C’est donc avec l’accord express des parties que l’expert pourra avoir accès aux pièces médicales.
L’expertise doit, par ailleurs, être faite avec conscience, objectivité et impartialité (art. 237 du CPC). En matière civile, l’expert peut pendre seul l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien en dehors de sa spécialité (art. 278-1 du Code de procédure civile). Il est important particulièrement de ne pas rester seul et de ne pas dépasser ses prérogatives. L’expert répondra donc point par point aux questions de la mission.
L’expertise a pour but d’éclairer le juge des enfants dans l’exercice de son mandat en assistance éducative (appréciation de la situation de danger du mineur, éléments permettant au juge des enfants de prendre la décision la plus adaptée au cas d’espèce). Il n’est donc pas question d’imputabilité dans ces rapports. La demande est celle d’une approche clinique du mineur et du respect de ses besoins fondamentaux. Il ne devient pas pour autant l’expert à part entière du parent, de la fonction parentale ou de la famille. Il peut néanmoins suggérer au magistrat une demande d’avis sur la dynamique de fonctionnement psychologique ou psychiatrique familial, ou signifier combien l’expertise psychologique ou psychiatrique des protagonistes lui semble pertinente. Comme dans le cadre de l’expertise pénale, il est soumis au secret professionnel et ne porte à la connaissance du magistrat que ce qui est nécessaire à l’accomplissement de sa mission.

Conclusions

Le SMPP et le SAM sont des situations complexes qui mobilisent de façon intense le corps médical. Comme dans les autres situations de violences, l’action de la justice est plurielle : manifestation de la vérité, protection des mineurs victimes et réparation des dommages subis. Les professionnels de santé doivent à notre sens, gérer dans ces situations, deux aspects qui ne font qu’un, car ils concernent l’enfant :
– les stigmates de violences (diagnostic, traitement, expertise) ;
– et le prendre-soin des mineurs victimes, par un accueil humaniste des enfants et adolescents et de leur famille, indissociable de toute rencontre.
Ces actions conjointes, unes et indissociables, sont à notre sens la seule garantie de la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. À l’inverse de la neutralité, l’impartialité se veut bienveillante. Les praticiens qui s’intéressent à la santé physique et psychique des enfants, à leur santé globale ont des compétences pour dépister, voir et entendre. Il s’agit de compétences de fond qui peuvent apporter un éclairage sur ces dossiers complexes. La place de la justice est pour nous la place de la forme. Citant le propos de R. von Jhering (1818-1892) : « Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté », la connaissance et le respect du formalisme judiciaire est la seule garantie de pouvoir se faire entendre dans ces situations complexes pour servir la manifestation de la vérité et l’intérêt supérieur de l’enfant. Ne pas respecter la forme, c’est d’une certaine façon s’exposer à être le maillon faible de la chaîne de la protection de l’enfance. Le plus gros écueil, tant sur le fond que la forme, reste la solitude de l’exercice. C’est donc cette solitude qu’il faut combattre en mettant à l’œuvre un fléchage du parcours de pédiatrie médicolégale pour les enfants victimes de violence.
Définitions : CC : Code civil ; CSP : Code de santé publique.

Pour en savoir plus

• Munchausen by proxy : clinical and case management guidance. APSAC Guidelines 2017. https://www.apsac.org/9235fgnl8
• Roesler TA, Jenny C. Medical child abuse – Beyond Munchausen syndrome by proxy. American Academy of Pediatrics, 2009.
• Sega R et al. To report or not to report: Examination of the initial primary care management of suspicious childhood injuries. Acad Pediatr 2011 ; 11(6) : 460-6.
• Vabres N et al. Plaidoyer pour des pôles de référence hospitaliers pédiatriques spécialisés en protection de l’enfance. Arch Pediatr 2016 ; 23(12) : 1219- 21.
• Hayat J-M. La déposition de l’expert devant la cour d’assises. La revue Experts n°64, septembre 2004.

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