lundi 20 août 2018

Hyperconnexion : «J’étais connecté de 5 heures du matin à minuit»

Par Christophe Alix Gurvan Kristanadjaja et Rémy Descous-Cesari — 
GUY BIRENBAUM, JOURNALISTE
«J’étais connecté de 5 heures  du matin à minuit»

«Je n’ai jamais cru qu’on pouvait tomber malade parce que l’on passe trop de temps connecté sur Internet. En 2014, je l’étais de 5 heures du matin à minuit, avec les écrans, les réseaux sociaux, les notifications… plus le boulot, plus des périodes compliquées au travail, plus la violence intrinsèque aux réseaux sociaux, aux blogs… Pour moi, ça a commencé par des signes chimiques, mal au ventre, mal au dos, etc., jusqu’à une incapacité totale, un écroulement massif. Je n’arrivais même plus à décrocher quand des amis m’appelaient.
«J’ai été pris en main par un psychiatre et un psychanalyste que je vois toujours.
S’ensuit une thérapie assez classique avec prises de médicaments. Je me suis retrouvé en arrêt de travail pendant un mois et demi ou deux mois, ce qui n’est pas si long finalement. J’avais vraiment besoin de comprendre ce qui n’allait pas. J’ai dû quitter tout ce qui concerne le numérique pendant deux mois pleins, puis j’ai fait disparaître tout ce qui est notification. Je suis réapparu trois mois plus tard environ sur les réseaux sociaux et suis passé en moyenne de 100 tweets par jour à 5 ou 6 tweets, et encore c’est beaucoup. Je reste hypervigilant et je ne considère pas que je suis à l’abri de craquer encore d’une manière ou d’une autre. Si je voyais que je me remettais à perdre trop de temps avec des activités de ce genre, je saurais maintenant que cela veut dire qu’il y a un problème. C’est un signal d’alerte. Le concept que l’on nous a vendu, la sérenpidité, qui consistait à dire qu’Internet est génial parce qu’en cherchant un truc vous en trouvez un autre, puis un autre… eh bien je pense que c’est une saloperie, car ça nous amène de liens en liens, de clics en clics, à des distances phénoménales de ce que l’on cherchait. On reste deux heures sur Internet alors que l’on avait mieux à faire.»
THIERRY CROUZET, AUTEUR
«On commence à se méfier d’Internet» 

«J’ai arrêté six mois. C’était en 2011. Quand je regarde cette période, c’est un souvenir heureux, comme si j’étais parti en vacances, loin, très loin. Le fait de déconnecter m’a montré que je n’avais aucune addiction, je n’ai pas ressenti de manque en me coupant d’Internet, j’ai juste beaucoup dormi pendant une semaine et, après, j’étais en pleine forme. On prend un peu les gens pour des couillons en leur parlant de digital detox, d’hôtels sans wifi ni réseau et d’applications pour maîtriser sa consommation numérique. Si problème il y a eu pour moi, c’est que j’attendais trop d’Internet. Je croyais à l’époque que les réseaux allaient changer le monde en promouvant une société plus horizontale et démocratique, moins hiérarchique et fermée. Aujourd’hui, je crois au contraire qu’Internet n’a fait que renforcer les travers du monde d’avant les réseaux. Ce n’est pas parce que l’on clique et qu’on «like» qu’on interagit et qu’on est plus maître de sa vie.
«Les géants du Net, qui étaient déjà très puissants à l’époque, n’ont fait qu’accroître leur emprise sur leurs milliards d’usagers. Ils ont acquis un pouvoir phénoménal et on a abouti à une société surverticalisée et de traçabilité permanente. On a cru qu’un outil géré de manière décentralisé comme l’est Internet suffirait à favoriser une société plus décentralisée et ouverte, mais c’était une illusion. Aujourd’hui, les gens commencent plutôt à se méfier d’Internet et ils ont raison. Les géants du Net ont une puissance colossale, dont on mesure mal encore les effets. Autrefois, il y avait la télé qui vendait aux annonceurs du temps de cerveau disponible. Ça se fait différemment et plus subtilement avec nos données aujourd’hui, mais rien n’a changé. L’enjeu, c’est d’avoir des usages numériques qui correspondent à nos besoins à nous et pas à leurs désirs à eux ! A nous d’en prendre conscience et de ne pas être des moutons de Panurge.»
Thierry Crouzet est auteur de J’ai débranché : comment revivre sans Internet après une overdose (Fayard, 2012).
LAURENT KARILA, PSYCHIATRE
«Une envie irrépressible de consulter»

«La pratique des écrans s’est étendue. Pour les jeunes, ce sont surtout des parents que j’accueille en consultation. Ils s’inquiètent et viennent demander des conseils. Globalement, on constate de multiples comportements liés aux écrans. Ce n’est pas comme une addiction aux drogues, mais davantage un comportement addictif : une envie irrépressible de consulter… Un sex addict va par exemple utiliser seulement son téléphone pour consulter les sites pornos. Quelqu’un qui est accro aux jeux d’argent va passer son temps à jouer sur un écran… Ça provoque chez eux trois choses : une perte de contrôle, une perte de temps avec des conséquences telles que l’altération du sommeil ou des problèmes de scolarité. Dans le cadre d’une forte consommation d’écrans, on peut constater l’apparition d’autres troubles comme la nomophobie (la peur de perdre son portable, de ne plus avoir de batterie…) et les vibrations fantômes (le fait d’avoir constamment l’impression que son téléphone vibre dans sa poche).»

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