vendredi 13 juillet 2018

Visions sur l’œdipisme

13/07/2018



Dans sa chanson Les murs de poussière (1978), Francis Cabrel évoque un sujet finissant par se brûler les yeux, accablé par le poids de ses déconvenues. Ce destin tragique rappelle bien sûr le mythe d’Œdipe : pour sauver la ville de Thèbes, ravagée par la peste, il doit rechercher et châtier le meurtrier de Laïos ; mais il découvre qu’il est lui-même ce meurtrier, auteur d’un parricide, et qu’il a de surcroît épousé sa propre mère ! Pour ne plus affronter la vision insupportable de ses crimes, Œdipe se crève alors les yeux... 

Sous le nom d’œdipisme, ce type d’automutilation demeure d’actualité en psychiatrie, comme le montrent des praticiens exerçant à Mahdia (Tunisie). Ils rappellent que cette dénomination fut proposée par Charles Blondel en 1906 pour désigner un « acte d’autoénucléation » renvoyant au célèbre héros de la mythologie grecque, lequel s’est donc transpercé lui-même ses yeux pour effacer l’image insoutenable de ses exactions.
À travers une revue de la littérature médicale et deux vignettes cliniques, les auteurs proposent une synthèse sur ce sujet relativement méconnu. Avec une incidence de 2,8 à 4,32 pour 100 000, l’œdipisme concerne en général des hommes « souffrant d’une psychose », bien que diverses problématiques puissent aussi constituer un contexte prédisposant, de type psychiatrique (stress post-traumatique, syndrome de Münchhausen, personnalité borderline) ou d’ordre neurologique (comitialité temporale, neurosyphilis, encéphalomalacie du lobe frontal, delirium tremens). 

Si Freud affirme que « l’œil serait assimilable à un symbole phallique » et que l’automutilation des yeux serait ainsi « vécue comme une castration, notamment dans les conflits œdipiens ou homosexuels », d’autres auteurs rattachent l’œdipisme à une « altération constante de (sa propre) image, souvent en relation avec des perceptions délirantes d’ordre religieux ou sexuel », la mutilation oculaire étant censée, dans l’approche délirante de l’intéressé, « soulager des sentiments de peur ou de culpabilité » (comme dans l’histoire d’Œdipe). Mais d’autres hypothèses explicatives sont aussi avancées, comme des « dysrégulations du système des opioïdes centraux et périphériques, de la dopamine et des systèmes de réponse au stress », ou encore un « dysfonctionnement sérotoninergique » où « l’impulsivité, l’agressivité ou l’incapacité à contrôler les pulsions agressives » seraient « associées à de faibles concentrations de l’acide 5-hydroxy-indol-acétique (5-HIAA, un métabolite de la sérotonine) dans le liquide céphalo-rachidien. »

Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Marrag I et coll. : Œdipisme bilatéral concomitant : à propos de deux cas. L’Encéphale 2017 (43) : 195–196.

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