dimanche 22 juillet 2018

Pour un (vrai) droit de vote des personnes sous tutelle


Une femme souffrant d'Alzheimer, dans une maison de retraite à Angervilliers (Essonne).
Une femme souffrant d'Alzheimer, dans une maison de retraite à Angervilliers (Essonne). Photo Sébastien Bozon. AFP

Un malade d’Alzheimer, un accidenté de la route ou une personne autiste peuvent aujourd'hui être privés de vote par un juge. Emmanuel Macron veut mettre fin à cette discrimination, mais il devra aussi mettre en place des mesures d'accompagnement adaptées.

La promesse du président de la République, lundi 9 juillet lors du congrès de Versailles, d’ouvrir le droit de vote sans condition aux personnes majeures sous tutelle pourrait être qualifiée d’évidence. En effet, le droit de vote et son exercice incarnent une des composantes de la citoyenneté des personnes en situation handicap et des personnes âgées dépendantes, que la problématique soit psychique, cognitive ou mentale. Pourtant, aujourd’hui, un grand-père atteint de la maladie d’Alzheimer, un accidenté de la route, une jeune fille trisomique, un cousin autiste, un frère polyhandicapé, un voisin schizophrène, etc. peuvent se voir retirer cette part de dignité et de bien-être social.
L’article L5 du code électoral dispose que «lorsqu’il ouvre ou renouvelle une mesure de tutelle, le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée». Le juge est ainsi le seul évaluateur et décideur de la capacité de vote d’une personne bénéficiant d’une mesure de protection juridique. Il n’existe pourtant pas de procédure d’évaluation de la capacité de vote. Il paraît d’ailleurs peu probable d’arriver à définir des modalités d’évaluation des capacités électorales qui soient robustes ou raisonnables.

Importance d'un accompagnement adapté

Cet article entre en contradiction avec le droit au suffrage universel qui a été affirmé par la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) dans son article 21. De même, il n’est pas conforme à l’article 29 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ratifiée par la France en 2010 qui leur prévoit le droit et la possibilité de voter comme à tout à chacun.
Le 26 janvier 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pointait son caractère discriminatoire. Avis très largement soutenu par le défenseur des droits, la Cour européenne des droits de l’homme, l’ONU, le Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE) et par les associations nationales du handicap en France comme l’Unapei, l’APF Handicap France ou la fédération Apajh.
Mais pour éviter l’amputation de ce droit, il ne suffit pas d’en transformer les conditions juridiques, il faut également prendre en compte les conditions sociales, matérielles et symboliques lui permettant de prendre corps dans le tissu sociétal.
Une étude publiée en 2018 par l’association Handéo pour «favoriser les pratiques de vote des personnes handicapées grâce aux aides humaines» montre l’importance d’un accompagnement adapté. Cette adaptation passerait par un système de compensation qui tienne effectivement compte des besoins au niveau de la solidarité collective (éducation civique ; sensibilisation de l’entourage ; accessibilité des programmes, des bulletins de vote et des urnes ; les aides humaines ; inscription sur les listes électorales, en particulier pour les personnes majeures avant 2016, etc.) mais également au niveau des potentialités d’autonomie décisionnelle de la personne (capacité à se représenter, à se souvenir, à comprendre, à discerner, à choisir, à mettre en œuvre le choix, etc.).

Influence décisive

Il est vrai que ce sujet divise le grand public en particulier concernant le risque d’influence : on pense souvent à celle de la famille, mais cette instance de socialisation peut prendre des multiples formes. En outre, les études sur le sujet montrent qu’il est souvent difficile de dissocier les différentes influences : écoles, médias, groupe de pairs, contexte socioculturel, effet de cycle de vie et de génération, etc. De fait nous sommes tous traversés par une multiplicité d’influences. Ne serait-ce pas d’ailleurs une des composantes de l’exercice politique, et plus globalement du lien social et donc du vivre ensemble ? 
L’avis de la CNCDH du 26 janvier 2017 sur le droit de vote des personnes handicapées rappelle que les études anglo-saxonnes sur le sujet ne montrent pas une réelle prévalence de cette «influence» pour les personnes avec un handicap psychique, cognitif ou intellectuel par rapport aux personnes dites «valides». Ce même avis mentionne pourtant également une étude écossaise qui montre que les parents ont pu être amenés à exercer une influence décisive sur leurs enfants handicapés. Mais que pensent les personnes sous tutelle de cette influence ? Qui édicte que l’influence serait forcément négative ? Des «entrepreneurs de moral» qui sont des personnes valides ?

Vivier de voix

L’enjeu d’une compensation qui tienne compte des besoins spécifiques des personnes sous tutelle est éminemment politique. Parmi plus de 350 000 personnes sous tutelle en France, on estime entre 100 000 à 150 000 le nombre de personnes qui seraient privées de leur droit de vote par le juge. A qui profiterait ce vivier de voix ? Aux représentants légaux qui pourraient considérer avoir une voie supplémentaire. Aux «abstentionnistes» si cette annonce n’est pas couplée avec des mesures d’accompagnement adaptées. Aux partis politiques extrémistes aussi si on en croit certaines personnes déficientes intellectuelles qui expliquent qu’aujourd’hui, leurs programmes sont les plus compréhensibles.
Il est urgent que l’annonce du président de la République s’accompagne d’actes pouvant créer les conditions nécessaires à la compréhension des enjeux politiques ainsi que d’une vraie mise en accessibilité électorale pour permettre à chacun de voter en conscience, de manière pleinement éclairée et ainsi faire vivre la démocratie.

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