mardi 19 juin 2018

Quand la musique est bonne… pour le cerveau

L’écoute et la pratique musicales renforcent la plasticité cérébrale à tous les âges, et stimulent les circuits de la récompense.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 
Si la musique adoucit les mœurs, ses ­effets vont bien au-delà. Depuis l’Antiquité, elle occupe une place à part, et ce dans toutes les sociétés et religions. Mais, depuis quelques années, « on est passé d’une pensée magique à un vrai savoir scientifique sur ses bienfaits, et cela, à chaque ­extrémité de la vie », souligne Emmanuel Bigand, directeur du Laboratoire d’étude de l’apprentissage et du développement (LEAD, CNRS) à l’université de Bourgogne et coordinateur de l’ouvrage Les Bienfaits de la musique sur le cerveau (Belin, 192 p.).
Outre ses effets sur la santé, la douleur, la musique est également un puissant stimulant cognitif et cérébral.

D’abord chez le bébé, des études ont montré qu’elle agit comme un neurostimulant. Il mémorise les œuvres musicales in utero et peut même les reconnaître un an après sa naissance. Emmanuel Bigand coordonne actuellement une étude financée par la Fondation de France, en collaboration avec la Philharmonie de Paris, chez des nourrissons à partir de 3 mois et suivis durant leurs trois ­années de crèche à Dijon et à Paris. Lors d’ateliers d’environ quarante minutes, ils sont initiés au son et au rythme deux fois par semaine et encouragés à participer. Les séances sont filmées et décortiquées par Emmanuel Bigand. « Les bébés ne parlent pas encore, mais ils chantent déjà. »
« Effets socio-cognitifs »
Sans conteste, la musique est un moyen de capter leur attention et de créer une communication. Certains se lèvent, se synchronisent avec le rythme. « La musique met en place des schémas mentaux (macro-stimulus) qui permettent une meilleure appréhension du langage, de la lecture, et plus tard des facilités au cours préparatoire, on parle d’effets socio-cognitifs », poursuit Emmanuel Bigand.
Comment l’expliquer ? Les découvertes les plus récentes montrent que la musique modifie les processus biochimiques du cerveau en renforçant la plasticité cérébrale. Ainsi, les violonistes ont un cortex moteur très développé dans l’hémisphère droit avec un plus grand nombre de synapses, car ils sollicitent beaucoup leur main gauche. Les pianistes présentent ce développement dans les deux hémisphères, en lien avec chaque main.
« La musique serait aussi capable d’optimiser la synchronisation entre populations neuronales, c’est-à-dire l’aspect rythmique de l’activité cérébrale, et permettre ainsi une meilleure communication et anticipation du flux d’information », explique Daniele Schon, directeur de recherche à l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm).
Antirouille
La pratique musicale permet en effet « aux aires  auditives et motrices notamment  de mieux communiquer entre elles », poursuit le chercheur, également violoncelliste. Ses études ont montré qu’un enfant ayant des troubles du langage arrive à mieux reproduire une phrase lorsqu’elle est précédée par un rythme. Il va aussi être plus performant sur les tâches grammaticales. Daniele Schon compare la musique à de l’antirouille, un peu comme si on remettait de l’huile dans le moteur.
« L’apprentissage de la musique sculpte le cerveau par différents mécanismes physiologiques, en termes de densité de neurones et de connexion entre eux, via les axones », explique Isabelle Peretz, titulaire d’une chaire de recherche en neurocognition de la musique à l’université de Montréal, l’une des premières à avoir travaillé sur le sujet et auteure du livre Apprendre la musique (Odile Jacob, 160 p., 14,90 €). Elle a fondé au Canada, en 2005, le Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (Brams), qu’elle dirige.
Dans le même pays, les travaux de Glenn Schellenberg, professeur de psychologie à l’université de Toronto, indiquaient déjà en 2010 que la pratique de la musique par de jeunes enfants permettait de développer plus ­rapidement leur quotient intellectuel (QI).
Amélioration des compétences scolaires
Durant trente-six semaines, il a étudié 144 élèves âgés de 6 ans, pas encore scolarisés en primaire et suivant des cours de piano et de chant au conservatoire. Ces derniers ont vu leur QI progresser plus rapidement que celui des enfants qui n’ont pas suivi de cours de musique. Pour Glenn Schellenberg, « la musique aide les enfants à réfléchir, en les soumettant à de longues périodes de concentration, ­d’entraînement et de mémorisation ».
Ainsi les enfants qui font de la musique voient-ils leurs compétences scolaires s’améliorer. « L’apprentissage de la musique ne devrait-il pas être obligatoire à l’école ? », questionne Isabelle Peretz, à l’instar de la Suisse qui a décidé, en 2012, d’inscrire l’éducation musicale dans la Constitution en tant que droit fondamental de chaque enfant.
Une étude de l’Institut Montaigne, conduite en 2010 sur 470 élèves de collège, avait évalué l’impact des orchestres à l’école. Les résultats montraient que cela influençait de manière positive l’évolution de la moyenne générale ainsi que la note de vie scolaire.
Cette expérimentation a également un impact positif sur le développement des capacités non cognitives, comme l’ambition des élèves et leur attitude à l’égard de l’école. Les ­effets sont également visibles sur les compétences sociales. Ainsi, une récente étude publiée dans Plos One a montré que les enfants qui jouaient du ukulélé avaient une meilleure intelligence émotionnelle, étaient plus collaboratifs… Des bébés de 18 mois qui pratiquent la musique vont être plus enclins à aider leurs parents (à ramasser un objet par exemple) et ont une meilleure motricité.
« Un plaisir qui n’a pas d’égal »
Les études sont très nombreuses à l’autre extrémité de la vie. A un âge avancé, même lorsque les capacités cognitives sont altérées, la musique ­parvient à réveiller la mémoire et les émotions. En somme, « nous sommes convaincus en tant que scientifiques que l’activité musicale est au cœur de la sphère cognitive », assure Emmanuel Bigand. Confirmant ce que disait Platon : « La musique donne une âme à nos cœurs, des ailes à la pensée, un essor à l’imagination. »
Une chose est sûre, plus vous pratiquez, plus vous bénéficiez de ces effets, qui sont moindres si vous en écoutez, même si les bienfaits existent. Car « la musique procure un plaisir qui n’a pas d’égal (…). La recherche a pu démontrer récemment le lien entre l’euphorie suscitée par la musique et la sécrétion de dopamine dans le noyau accumbens, structure connue des circuits de la récompense », écrit Isabelle Peretz.
« Il serait temps que les gouvernements s’emparent du sujet », lance Daniele Schon, qui réfléchit à rédiger un manifeste scientifique, tout comme Isabelle Peretz au Québec. En France, le ministère de l’éducation nationale a lancé fin 2017 un plan pour créer un enseignement facultatif de chorale dans chaque collège, dès la rentrée prochaine, puis dans chaque école. « La musique fait partie de la culture fondamentale », indique-t-on au ministère. Le geste politique le plus fort reste à ce jour la Fête de la musique : n’hésitez pas, allez en écouter, ou sortez vos instruments, jeudi 21 juin.

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