mardi 12 juin 2018

Grève de la faim à l'hôpital psychiatrique du Rouvray : les leçons de la sortie de crise

Par Eric Favereau — 

A Sotteville-lès-Rouen, sur le centre hospitalier psychatrique du Rouvray, la semaine dernière.
A Sotteville-lès-Rouen, sur le centre hospitalier psychatrique du Rouvray, la semaine dernière.Photo Martin Colombet. HansLucas pour Libération

Après deux semaines de conflit social dans un établissement en grave manque de moyens, les autorités ont annoncé la création de trente postes, un geste historique pour la psychiatrie publique, où depuis dix ans les politiques officielles se traduisent par une réduction constante des effectifs.

L’air de rien, ce qui s’est passé à l’hôpital psychiatrique de Rouvray (Seine-Maritime), près de Rouen, où un conflit long de deux semaines s’est achevé ce week-end avec l’annonce de la création de trente postes, est peu banal, voire historique.
D’abord, les modes d’action : une grève de la faim dans le monde de la santé est rarissime. Il y en avait eu une au CHU de Limoges (Haute-Vienne), il y a deux ans, mais d’ordinaire, les professionnels de santé rechignent à ce type d’actions qui entrent en opposition avec leur éthique. Là, à Rouvray, il y a eu huit grévistes de la faim, l’intersyndicale mettant en avant que les autres formes d’actions n’avaient provoqué aucune réaction de la part des autorités, que ce soit celle de l’hôpital ou de l’Agence régionale de santé. Manifestement, alors que tout le monde pointe le malaise des soignants, le dialogue social n’est pas au plus haut.

Temps de restructuration

Ensuite, le fait que les autorités sanitaires aient lâché sur les emplois, proposant donc trente nouveaux postes, est une première. Depuis des années, au niveau du ministère de la Santé comme au niveau des Agences régionales, il y avait comme une consigne implicite devant chaque conflit social : ne jamais lâcher sur l’emploi. Comme s’il y en avait toujours trop. Comme si les postes étaient mal répartis et qu’en ces temps de restructuration, il ne fallait surtout pas créer d’appel d’air. Là, pour la première fois, ils ont lâché. Et cela intervient en psychiatrie publique, un champ où depuis dix ans les politiques officielles se traduisent par une réduction constante des effectifs.
Outre cette création de postes – 21 en 2018 et 9 au premier semestre 2019 –, l’accord prévoit aussi l’ouverture d’une unité pour adolescents «avec les moyens correspondants, c’est-à-dire des créations de postes»,ainsi que celle d’une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), c’est-à-dire qui prend en charge des personnes incarcérées nécessitant des soins psychiatriques en hospitalisation complète. Le nombre d’emplois créés dans ces unités sera défini ultérieurement, a ajouté le syndicaliste. Bref, une vraie victoire, même si en ces temps sécuritaires la création d’une UHSA reste problématique.
Enfin, ce conflit a mis en avant la qualité des soins, pointant le fait que faute de personnel suffisant, aides-soignants comme infirmières se retrouvaient à être maltraitants. Ce conflit a été donc porté par le personnel. Et non par le corps médical. Ce qui laisse pantois. «On bourre nos patients de médicaments, on leur donne leur repas et basta», disait à Libération une gréviste. La qualité des soins et de la prise en charge est pourtant de la responsabilité directe des psychiatres. Si la qualité des soins était à ce point ébréchée, comment diable la collectivité médicale pouvait-elle s’en accommoder ? Comme si ces derniers avaient déjà baissé les bras, n’y croyant même plus. Et c’est de ce point de vue une leçon inquiétante.


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