vendredi 1 juin 2018

Faut-il avoir vraiment si peur de la maladie d’Alzheimer ?




Paris, le samedi 2 juin 2018 – Elle compte désormais parmi les pathologies les plus redoutées par les Français. Les enquêtes d’opinion qui posent ponctuellement cette question voient en effet la maladie d’Alzheimer se placer en deuxième position derrière le cancer. Des reportages sur des êtres aimés qui ne reconnaissent plus rien ni personne, agissent avec violence, parlent par borborygmes sont régulièrement diffusés : comment ne pas avoir peur d’une telle déchéance pour soi et pour nos proches ? Hantise partagée par tous, la maladie d’Alzheimer est également devenue un enjeu politique quand Nicolas Sarkozy en a fait sa priorité. Cette impulsion a transformé la maladie d’Alzheimer en un nouvel enjeu médiatique pour attiser la curiosité et la peur. Bientôt, les articles promettant un « vaccin contre Alzheimer » ou mettant en garde contre le « fléau Alzheimer » se sont multipliés.

Une longue ascension

Pourtant, les médecins les plus âgés (qui auront été épargnés par la fameuse pathologie !) se souviennent d’un temps où la maladie décrite par Aloïs Alzheimer n’était pas si populaire. Bien plus redoutable que redoutée, elle était un diagnostic rare, établi chez des patients qui avant l’âge de cinquante ans, présentaient des signes de démence. Il a fallu du temps pour que la maladie d’Alzheimer acquière dans l’espace public et médical la place qu’elle occupe aujourd’hui. « Tout commence le 26 novembre 1901, au sein de l’Asile municipal d’aliénés et d’épileptiques de Francfort-sur-le-Main. Le médecin-chef Alois Alzheimer (1864 -1915), ouvre ce jour-là le dossier d’Auguste Deter, 51 ans. Il ne perdra plus de vue cette patiente hors du commun. Elle meurt le 8 avril 1906. Autopsie pratiquée: cerveau atrophié. Usage moderne du microscope avec la technique de l’imprégnation argentique. «Deux types de dépôts anormaux apparaissent alors à l’intérieur, et entre les cellules nerveuses. C’est la première fois qu’Alois Alzheimer les observe chez une personne aussi jeune.» Ce sera, bientôt, la désormais célèbre 37e Conférence des psychiatres allemands organisée à Tübingen – et la communication, le 4 novembre 1906, dans laquelle Alzheimer rapporte l’histoire de cette patiente et de cette «maladie particulière du cortex cérébral». (…)  Le relais sera bientôt pris par le renommé autant que redouté mandarin Emil Kraepelin, alors responsable de la chaire de psychiatrie de Munich. Un Kraepelin triomphant qui proposera, en 1910, de désigner ce type de démence par le nom de son collègue: «une démence de type Alzheimer». Soit « une démence du sujet jeune, rare et dégénérative» » décrit le médecin journaliste et blogueur Jean-Yves Nau sur Slate.fr.
Dans le sillage de la présentation de Kraepelin, plusieurs cas seront décrits. Beaucoup ont vu dans cet « enthousiasme » de certains psychiatres cliniciens une résistance face à la psychanalyse. Mais bientôt, l’engouement laissa place au silence. «Une longue, très longue absence d’intérêt pour le sujet. Il faut attendre 1948 pour, en cherchant bien, retrouver la trace de l’ouverture d’un débat par un psychiatre anglais. Flop. Vingt ans plus tard, on revient sur le sujet: «Martin Roth, Gary Blessel et Bernard Tomlinson publient une série d’articles démontrant que, dans les cerveaux des déments, il existe les mêmes lésions (plaques amyloïdes et neurofibrilles) que celles décrites par Alzheimer et que leur ampleur est corrélée à l’évolution de la maladie. Ils concluent que la majorité des démences séniles relèvent du type Alzheimer». (…)  Mais non, décidemment non, l’affaire ne «prend pas», la «maladie d’Alzheimer» n’intéresse pas. Il faudra attendre l’étrange basculement de 1976 : un éditorial (publié dans Archives of Neurology) qui évalue, soudain, entre 800 000 et 1 200 000 le nombre des personnes qui, aux États-Unis, seraient atteintes de la maladie décrite en 1906. Ce serait une épidémie. Un nouveau serial killer. Où l’on commence à tout mélanger: le cercle étroit de la «pré-sénilité» initialement décrite par Alois et celui, immense et croissant, de la «démence sénile» » analyse Jean-Yves Nau en se reportant au récent ouvrage du professeur Olivier Saint-Jean chef du service de gériatrie de l’hôpital européen Georges Pompidou et du journaliste de Libération Eric Favereau, intitulé de manière provocatrice : Alzheimer, le grand leurre.
Dès lors, dans un mouvement favorisé par l’engouement médiatique, la maladie d’Alzheimer va devenir le sujet central de centaines de projets de recherches et bénéficier de financements publics considérables. Le monde a peur et prépare sa riposte.

L’essoufflement après le point d’orgue

Aujourd’hui, pourtant, la dynamique semble s’essouffler. Les recherches sur la maladie d’Alzheimer piétinent, échouent à dessiner un modèle prédictif et plus encore thérapeutique encourageant. Les recommandations de prise en charge et de dépistage se multiplient mais en filigrane les cliniciens s’interrogent : quel intérêt pour le malade, face à l’absence de traitement efficace, de bénéficier d’un diagnostic précoce. Les limites des travaux scientifiques découragent les intérêts financiers : les uns après les autres, les laboratoires restreignent leur budget alloué à la recherche dédiée à la maladie d’Alzheimer. Sur le terrain politique, en France, Nicolas Sarkozy a été battu et si elle reste une priorité, cette pathologie doit désormais partager la vedette avec d’autres enjeux de santé publique.

Pas d’épidémie monstrueuse

Un tel panorama force à s’interroger sur le phénomène Alzheimer . La pertinence d’une telle réflexion est renforcée par l’absence de critères diagnostics incontestables. Hier, les spécialistes estimaient disposer de bases physiologiques solides à travers l’observation de lésions anatomiques. Mais des études approfondies ont mis en évidence l’absence de corrélation parfaite entre lésions et démence. Ainsi, aujourd’hui « aucun diagnostic biologique simple de la maladie n’existe » relève Jean-Yves Nau. Par ailleurs, les données épidémiologiques les plus récentes contredisent la perspective d’une épidémie ravageuse. « Le nombre de cas supposés de la maladie d’Alzheimer diminue. Cette donnée peut surprendre, mais c’est ainsi. Depuis 20 ans, on nous avait habitués à des prévisions catastrophiques ; on nous parlait d’épidémie mondiale de maladie d’Alzheimer ; on mettait en exergue le vieillissement inexorable de la population planétaire, en déduisant que les démences en tous genres ne pouvaient qu’exploser. Tout cela baignait dans un modèle médical expliquant scientifiquement, courbes à l’appui, ces évolutions dramatiques. Ce n’est donc pas le cas. La maladie d’Alzheimer et les autres démences sont sur le déclin. Ces deux dernières années, plusieurs études ont été publiées dans les plus grandes revues scientifiques, et toutes pointent la même tendance dans différents pays du monde : au cours des dernières décennies, il y a une diminution du nombre de nouveaux cas, ce qu’on nomme l’incidence » explique sur le site The Conversation le professeur Olivier Saint-Jean citant des extraits de son ouvrage.
Notons toutefois que certains remarquent que si le pourcentage de démence à un âge donné diminue bien dans les pays développés comme le montre des études dont le JIM a largement fait état, en valeur absolue le nombre de patients atteints augmente en raison du vieillissement de la population.

Le pouvoir de l’éducation

Parmi les pistes d’explication possible de ce déclin, le rôle joué par l’éducation est mis en avant par de nombreuses publications et par Olivier Saint-Jean. « Dans l’étude de Framingham, si l’évolution favorable du nombre de démences touche toutes les catégories d’âges, elle est spectaculaire chez les hommes, et particulièrement marquée dans les populations éduquées. L’élévation du niveau d’éducation pouvant, de ce fait, expliquer en partie le recul de l’âge moyen de début de la démence : 80 ans dans la première période (fin des années 70 ndrl), 85 dans la dernière (fin des années 2000, ndrl) » relève le gériatre qui poursuit : « On devient vieux tard, et on le devient de plus en plus tard. Et dans cette évolution, la culture joue un rôle essentiel. Ce recul de la vieillesse résulte, bien sûr, des progrès médicaux classiques (les vieux sont mieux soignés), du mode de vie (cela va de soi), mais une éducation plus forte de toute la population mondiale favorise cette baisse » résume-t-il.

Réserve sur Alzheimer et réserve cognitive

L’ensemble de ces données pousse Olivier Saint-Jean à considérer que plutôt qu’un inexorable fléau, la maladie d’Alzheimer s’apparenterait plutôt à une « construction sociale » s’inscrivant dans un phénomène d’hyper médicalisation de la vieillesse, de refus de la considérer comme un phénomène naturel face auquel certains ont plus de chance que d’autres, qui peut altérer différemment tel ou tel organe et dont on peut espérer minimiser les effets par une prévention active (mais simple). Plutôt que de se concentrer sur le caractère pathogène de la maladie d’Alzheimer, Olivier de Saint-Jean considère que les perspectives d’avenir résident dans la recherche autour du concept de réserve cognitive. « Comme tout organe, notre cerveau se dégrade mais deux processus contradictoires semblent en jeu : d’un côté, un vieillissement qui va vers une dégradation de nos capacités ; et de l’autre, des processus qui nous permettent de compenser, de mieux résister, et cela se fait par le biais de ce que l’on appelle la réserve cognitive » analyse-t-il.
Si les réflexions autour de la pertinence d’un diagnostic toujours plus précoce et les considérations concernant la médicalisation de la vieillesse seront sans doute partagées par beaucoup, la part du discours d’Olivier Saint-Jean qui paraît remettre en cause l’existence de la maladie d’Alzheimer (à l’exception des formes non séniles), dénier son caractère pathologique et résumer l’enjeu à une question sémantique (voire médiatique) sera certainement bien plus discutée par nombre de nos lecteurs, généralistes, gériatres ou neurologues. Le tableau clinique de certains patients dont le déficit cognitif est particulièrement marqué et s’accompagne de troubles du comportement ne permet en effet pas de souscrire à l’idée d’un processus de vieillissement « normal ». Pour l’heure, si les critiques constructives de l’ouvrage d’Olivier Saint-Jean et d’Eric Favereau manquent et si beaucoup (tel Jean-Yves Nau) lui ont d’abord manifesté une attention bienveillante, les familles de patients se montrent déjà bien plus réticentes. Sur un blog hébergé par Mediapart, un homme raconte une hospitalisation éprouvante de son épouse atteinte de maladie d’Alzheimer, âgée de 59 ans, en débutant son triste récit par la remarque lapidaire : « Pour certains, Alzheimer n’existe pas ».
Olivier Saint-Jean ferait néanmoins sans doute remarquer que la forme précoce de la pathologie de cette femme ne s’inscrit pas dans son discours général. Il n’empêche que la complexité du propos et la difficulté de discerner les différents cas risquent d’accroître la confusion et les difficultés de certaines familles ; rappelant une nouvelle fois la difficulté de la transmission de la nuance.
Pour vous imprégner des réflexions d’Olivier Saint-Jean et tout en même temps en mesurer certaines limites, vous pouvez vous rendre sur le site de Slate.fr (article de Jean-Yves Nau) : http://www.slate.fr/story/162330/maladie-alzheimer-et-si-elle-navait-jamais-existe

Aurélie Haroche

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