vendredi 25 mai 2018

Mineurs interpellés au lycée Arago : « Il serait temps que nous, leurs aînés, nous dressions face aux bourreaux »

La répression dont des lycéens parisiens ont fait l’objet le mardi 22 mai va à l’encontre des valeurs éducatives officiellement portées par les pouvoirs publics dénonce l’historienne Laurence de Cock, dans une tribune au « Monde ».

LE MONDE | Par 
Tribune. Selon toute vraisemblance, les jeunes gens dérangent dans ce pays. Ils sont le poil à gratter de l’ordre dominant. C’est que la jeunesse est ingrate, elle n’attend pas que du résultat des urnes surgisse la magie d’un plan de vie. Oui, c’est embêtant, les jeunes souhaitent se passer des conseils des DRH. Indociles, impatients et ombrageux, ils se targuent en sus de vouloir prendre leur avenir en main. Ils protestent, contre une loi qui barre la route à la moitié d’entre eux vers les études supérieures de leur choix ; contre la marchandisation à outrance et contre la lame de fond libérale dans laquelle s’emmure le monde. La jeunesse invente des zones à défendre et à bâtir partout, se rêve une autre vie et redécore quelques murs de slogans poè-li-tiques. Tout cela n’est pas du goût de nos dirigeants.

En l’espace de quelques semaines ont déferlé sur les étudiants et lycéens des vagues de répression : « casseurs », « irresponsables », « écervelés » ou « manipulés » ; à l’unisson ils ont été dépossédés de leur intelligence individuelle et collective par des gardiens de l’ordre qui ont trouvé dans la politique de terreur l’unique expression d’une « pédagogie », comme on dit dans leurs fiches d’éléments de langage.

Absurdité du système


On leur donnerait bien quelques conseils, nous dont le métier consiste à accompagner cette jeunesse vers le monde de demain dont ils auront la charge quand nous serons vieux (je case ici cette dure réalité pour alerter sur le retour de bâton). On commencerait par expliquer que 48 heures de garde à vue pour des lycéens parisiens de 15-16 ans, c’est un tantinet exagéré quand il ne s’agissait que de se réunir dans un lycée fermé pour organiser la suite des événements (le 22 mai, au lycée Arago dans le 12earrondissement de Paris) ; on préciserait également que le maintien pendant cinq heures sans boire ni manger ni se soulager de besoins pressants dans un car sans lumière est également d’une efficacité plus que discutable en termes d’« enseignement moral et civique ». C’est le nom de la discipline plébiscitée comme le mantra de la politique éducative il y a trois ans. Et de fait, pour une fois, le contenu était plutôt pertinent. Croyez-le si vous voulez, il y est question d’« engagement » de l’élève.

La belle ironie du sort de devoir réfléchir aux fondements de la démocratie avec des élèves à l’intérieur des classes quand tout dehors empêche toute forme d’engagement dès lors qu’il flirte avec la contestation. C’est à ces distances entre la réalité et les mots que l’on mesure l’absurdité d’un système, et le nôtre, qui masque (mal) son caractère oppressif derrière des expressions aussi mièvres que grotesques comme « Il faut rendre plus souples, plus respirants les diplômes nationaux » – phrase prononcée par Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, lors de l’assemblée générale des IUT, le 18 mai –, se place depuis quelque temps dans le cortège de tête.

« Un système comme Parcoursup sacrifie tout idéal de démocratisation des études supérieures sur l’autel des algorithmes et de la sélection. »







Car si la colère des jeunes s’embrase, ce n’est pas sans raison. Nous avons été nombreux à dénoncer, dès l’annonce de sa mise en vigueur, les dangers d’un système comme Parcoursup, qui sacrifie tout idéal de démocratisation des études supérieures sur l’autel des algorithmes et de la sélection. Nous avions prévenu de la catastrophe à venir : la moitié des élèves sur le carreau à quelques semaines du bac, et, parmi eux, la relégation alarmante des séries technologiques et des élèves issus des quartiers populaires.

C’est bien tout un monde qui est au bord du gouffre aujourd’hui, et si on laisserait volontiers tomber celui-ci avec le dernier éboulement, on aimerait aussi avoir notre mot à dire sur ce qui surgira des décombres. C’est en substance ce que tente de nous dire cette jeunesse qui prend la parole, à sa manière, selon des codes qui s’inventent sans nous et c’est tant mieux. Il serait temps que nous, leurs aînés, nous dressions face aux bourreaux et permettions ainsi à nos enfants de poser un à un les pavés de leur destin.

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