jeudi 10 mai 2018

« Il faut donner les moyens de remplir leurs missions à ceux qui luttent contre toutes les formes d’exclusion »

Dans une tribune au « Monde », Eric Blanchet, directeur de Ladapt, estime que le gouvernement ne peut prôner « en même temps » une vision inclusive de la société et demander d’économiser les moyens financiers et humains dans le domaine de la santé.

LE MONDE |  | Par 

Tribune. Depuis le début de l’année, les personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des hôpitaux sont mobilisés pour protester contre leurs conditions de travail de plus en plus difficiles, qui engendrent une dégradation de la qualité de l’accueil et des soins dispensés. Le face-à-face tendu entre le président de la République et des soignants du CHU de Rouen, le 5 avril, symbolise l’incompréhension entre un personnel réclamant des moyens humains et financiers, et un gouvernement lui opposant une logique gestionnaire de réduction de la dette. Or c’est cette logique de la performance, à travers une gestion déconnectée des besoins sanitaires et sociaux, qui a conduit à une telle situation.

Avec le changement climatique ou la crise des réfugiés, l’europe doit faire face à des enjeux qui ne se solderont pas avec de simples indicateurs financiers









Pour beaucoup de nos concitoyens, la notion de performance se résume à la réussite économique. En existant uniquement à travers une union économique et monétaire, l’Europe favorise cette perception limitée de la performance. Or, avec le changement climatique ou la crise des réfugiés, elle doit faire face à des enjeux qui ne se solderont pas avec de simples indicateurs financiers. C’est pourquoi toute performance devrait être évaluée au regard d’un projet commun de vivre ensemble.

Que signifie en effet « performance » pour une association d’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, par rapport, par exemple, à un constructeur automobile ou une banque ? Il est évident que le critère quantitatif compte plus pour les seconds que pour la première, dont la performance dépend avant tout de la qualité des services rendus par ses acteurs pour améliorer les conditions de vie des personnes qu’elle aide. Dès lors, parler « des » performances, au pluriel et d’un point de vue collectif, apparaît comme un bon moyen de sortir du prisme restrictif de la réussite économique.

Blocages administratifs


Les personnes dépendantes ou en situation de handicap réclament une attention différente de celle accordée aux consommateurs de voiture ou de services bancaires. La solution privilégiée par les pouvoirs publics consiste à édifier des établissements spécialisés. Or ce modèle, loin de permettre l’inclusion de ces personnes, contribue à renforcer les inégalités.

Les autorités de notre pays prônent une vision inclusive de la société, mais tiennent un discours d’injonction à la performance à tous les niveaux







A l’inverse, il faut leur donner le choix de construire leur vie sociale et professionnelle comme elles le souhaitent, en fonction de leur situation. Des associations reconnues d’utilité publique multiplient les innovations pour les accompagner dans la (re)conquête de leur autonomie, afin qu’elles trouvent leur place au sein de la société. Mais cette action est confrontée à des blocages administratifs, liés notamment au découpage du territoire et à la multiplicité des interlocuteurs. Près de quinze ans après le vote d’une loi sur le handicap qui n’a pas tenu toutes ses promesses, le taux de chômage des personnes handicapées reste deux fois plus important que la moyenne nationale (19 % contre 10 %), avec près d’un demandeur d’emploi sur quatre inscrit depuis trois ans ou plus.

Les autorités de notre pays prônent une vision inclusive de la société. Mais « en même temps », elles tiennent un discours d’injonction à la performance à tous les niveaux : éducation, travail, vie quotidienne et même loisirs… Il paraît difficile de résoudre un tel paradoxe sans donner les moyens de remplir leurs missions à ceux qui luttent contre toutes les formes d’exclusion. On dit souvent que la façon dont sont traitées les personnes les plus fragiles reflète la couleur de la société que l’on veut construire. L’actuel mouvement de protestation dans les établissements de soins dénonce la tonalité qu’elle est en train de prendre, à rebours des discours les plus humanistes.

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