vendredi 11 mai 2018

A Paris, le Refettorio, restaurant fin pour migrants, n’affiche pas complet

Près de deux mois après son ouverture à la Madeleine, le restaurant pensé par le chef italien Massimo Bottura pour les personnes démunies ne tourne pas à plein régime.

LE MONDE  | Par 
« Avec la beauté, on va reconstruire la dignité de ceux qui viennent manger ici », promettait Massimo Bottura lors de l’inauguration.
« Avec la beauté, on va reconstruire la dignité de ceux qui viennent manger ici », promettait Massimo Bottura lors de l’inauguration. SHEHAN HANWELLAGE

Un restaurant qui réconcilie les chefs ennemis de la gastronomie française, où Marion Cotillard assure le service, où la cuisine voit défiler les trois étoiles, où l’on dîne dans un décor raffiné pensé par l’artiste JR… vous pensez que ça n’existe pas ? Et si, et en plus, c’est gratuit ! Il s’agit du Refettorio, ovni de la cuisine solidaire apparu à la mi-mars dans le foyer de l’église de la Madeleine, à Paris.


Bien sûr, Marion Cotillard n’est pas là tous les soirs, pas plus qu’Alain Ducasse ou Yannick Alléno qui ont épluché des oignons lors de la conférence de presse. Mais ces célébrités ont assuré un écho retentissant au projet. Tous les journaux ont parlé de ces « chefs étoilés [qui] cuisinent pour les sans-abri et les migrants ». Cette surmédiatisation et la dimension luxueuse interrogent. Car s’il est évidemment très louable d’offrir un cadre agréable à des personnes dans le besoin, la Madeleine, dans le très chic 8earrondissement de la capitale, est-elle le lieu le plus adapté ?

Les migrants ne se déplacent pas jusqu’à la Madeleine, loin des camps du Nord-Est parisien. Pour eux, les obstacles sont nombreux. Ceux qui n’ont pas de papiers n’ont pas envie de s’exposer à des contrôles de police.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi : à l’initiative de ce projet, il y a Massimo Bottura. Chef italien dont on parle partout et tout le temps, pour sa table l’Osteria Francescana, à Modène, trois étoiles au Michelin et désignée à plusieurs reprises « meilleur restaurant du monde » par le classement des « Fifty Best »Massimo Bottura a fait l’objet d’un documentaire sur Netflix, a sorti plusieurs livres chez Phaidon, dont le dernier, Le pain est d’or (424 pages, 39,95 euros), parle de gaspillage alimentaire.

Ce problème est au cœur de ses « refettorio », ses restaurants où l’on ne cuisine qu’à partir de surplus de nourriture. Massimo Bottura a ouvert le premier à Milan à l’occasion de l’Exposition universelle en 2015, puis a décliné le concept à Rio, Londres, Modène, Bologne et, enfin, à Paris. Dans la capitale française, le chef italien est associé à Jean-François Rial (fondateur de l’agence Voyageurs du monde) et l’artiste JR. Tous les soirs, du lundi au vendredi, des repas gratuits sont servis à des personnes démunies.

Le projet parisien est financé par des partenaires privés, dont Carrefour, qui fournit aussi les invendus de nourriture. La marque de design Flos a pourvu les lampes, Bernardaud a offert de la vaisselle, notamment les assiettes conçues par JR qui coûtent près de 100 euros pièce… « Avec la beauté, on va reconstruire la dignité de ceux qui viennent manger ici », promettait Massimo Bottura lors de l’inauguration. « Je ne dirais pas que c’est luxueux, mais qualitatif », nuance Jean-François Rial.

Riz cantonais et ragoût de légumes


Le problème de ce projet fort estimable, c’est qu’il ne semble pas vraiment tourner à plein régime. Les migrants ne se déplacent pas jusqu’au quartier de la Madeleine, loin des camps du Nord-Est parisien. Pour eux, les obstacles sont nombreux. Ceux qui n’ont pas de papiers n’ont pas envie de s’exposer à des contrôles de police.

« Quitter sa tente, c’est risquer de se la faire voler, ou de se faire prendre son emplacement », explique Letizia Calcamo, fondatrice de l’association Va faire cuire un œuf, qui vient en aide aux migrants. « Et tous ceux qui ont une place dans un hôtel doivent souvent pointer à 18 h 30 pour conserver leur place. » C’est justement l’heure à laquelle commence le service du Refettorio, qui ferme à 20 h 30.

Le Refettorio, dans le foyer de l’église de la Madeleine, à Paris.
Le Refettorio, dans le foyer de l’église de la Madeleine, à Paris. JR

Jusqu’à présent, le Refettorio rassemble surtout quelques dizaines de sans-abri qui reviennent régulièrement. Le mercredi soir de mai où l’on a assisté au service, la plupart d’entre eux étaient connus des bénévoles. Certains sont ravis, d’autres bougons ou hésitants, craignant de ne pas avoir de place parce qu’ils n’ont pas la carte du Refettorio (délivrée gratuitement), plusieurs signalent le bonheur que leur procure ce repas chaud, entrée-plat-dessert, servi comme au restaurant par des bénévoles enjoués.

Les convives sont un peu moins d’une soixantaine, alors que la capacité du lieu est de 120 personnes.

La cuisine est assurée par le chef résident Maxime Bonnabry-Duval, régulièrement épaulé par un chef invité (et souvent réputé : César et Michel Troisgros, Jean Imbert, Olivier Roellinger…). Une dame se plaint du service, pas assez rapide (« mais pourquoi vous n’apportez pas un charriot pour distribuer les plats ? »), un autre du menu (« Y a pas couscous plutôt ? »). Non, le chef est chinois ce soir-là, et c’est végétarien : poireaux aux petits oignons et chapelure de pain, riz cantonais et ragoût de légumes, pomme au four à la crème.

Les convives sont un peu moins d’une soixantaine, alors que la capacité du lieu est de 120 personnes (voire 170 s’ils ouvrent une autre salle disponible). Face aux critiques, Jean-François Rial assure ne pas faire de différence entre les SDF et les réfugiés et accueillir toute personne dans le besoin.
Il dit aussi que ce démarrage modeste est voulu, qu’il faut le temps de se chauffer : « On fonctionne avec un volume de nourriture aléatoire, un nombre de bénévoles et de couverts aléatoires, il ne faut pas aller trop vite au début. Dans deux ou trois mois, on sera à 120 tous les soirs. » Il compte notamment sur les associations pour lui envoyer plus de monde.


« Faire de belles choses »


Mais la magnificence du projet, sa tête d’affiche bling-bling et sa notoriété a aussi engendré de l’agacement du côté des associations déjà en place. Va faire cuire un œuf, Ernest, Le Recho… parmi les initiatives personnelles qui ont fleuri ces derniers temps, aucune n’a fait autant parlé d’elle que le Refettorio.

Certaines, qui peinent à réunir les moyens humains et financiers nécessaires pour servir les repas aux migrants, n’ont guère envie de prêter main-forte au Refettorio. Elles le voient comme une entreprise de novices jouissant d’une énorme communication alors qu’ils ne connaissent rien au terrain. La soixantaine de repas que le Refettorio sert chaque soir leur semble dérisoire comparé aux distributions de sandwichs par centaines que les associations effectuent sur le terrain, dans les camps.

Du côté des chefs, d’autres actions plus discrètes se sont mises en place. Bertrand Grébaut du restaurant Septime à Paris organise, par exemple, avec sept autres restaurateurs de son quartier des distributions hebdomadaires de repas pour des réfugiés au parc de Belleville. « Tous les chefs de ma génération qui travaillent avec éthique font quelque chose », assure le cuisinier de 37 ans. « Etre un cuisinier durable en 2018, c’est aussi mettre son temps au service des autres », estime-t-il.

« Je comprends l’initiative du Refettorio, affirme Letizia Calcamo. De notre côté aussi, on a envie de faire de belles choses. J’emmène par exemple des groupes de migrants au musée. Pour réaliser ce genre de projets, il faut les connaître, gagner leur confiance, puis les accompagner. Tu ne peux pas leur demander de s’adapter à toi. » Le Refettorio semble l’avoir compris : Jean-François Rial prévoit d’organiser sous peu une distribution de nourriture (préparée par le Refettorio) au moyen d’un camion qui ira jusqu’aux camps de migrants.

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