lundi 9 avril 2018

Quand des jeunes partagent leur expérience de la maladie mentale

Julia EL-KALLASSI 08/04/2018

LIBAN


TÉMOIGNAGES
Devant une salle comble à l’AUB, trois personnes racontent leur parcours avec sincérité.

Jeudi 22 mars, 17 heures, à l’AUB. Raja, Nadine et Myriam se présentent en quelques phrases au début de la conférence organisée par l’ONG Embrace, le Club Mental Health de l’AUB, et la société des étudiants en psychologie de l’AUB. Le public, jeune et demandeur, anime le débat d’une heure trente, en posant des questions pertinentes aux jeunes venus témoigner de leur expérience avec la maladie mentale. Le trio n’hésite pas à se livrer et répond aux interrogations avec une grande sincérité.

Pia Zeinoun, professeure associée en psychologie à l’American University of Beirut (AUB), modératrice de la conférence, commente la discussion dans un but instructif. « Une personne sur quatre parmi nous va être diagnostiquée d’une maladie mentale. Tous les trois jours, au Liban, une personne se suicide », affirme-t-elle. Elle profite de cette occasion pour parler de la ligne d’assistance en prévention du suicide créée par Embrace en septembre 2017. 1564 est le numéro à composer. À l’autre bout du fil, une personne experte fournit un soutien émotionnel à son interlocuteur.
 « Si une telle option existait au préalable, peut-être mon mari ne serait pas passé à l’acte », lance Nadine, dont le conjoint souffrait de dépression chronique. La jeune femme de 32 ans avoue s’être sentie coupable à la suite du suicide de son partenaire, mais se focalise aujourd’hui sur ce qu’elle peut faire en termes de sensibilisation. Raja, quant à lui, souffre de trouble obsessionnel compulsif, d’anxiété et de dépression. « Je collecte les maladies mentales », confie le jeune homme de 29 ans avec beaucoup d’humour. Ses plaisanteries briseront la glace à plusieurs reprises, permettant aux jeunes, prudents au départ, d’être plus à l’aise et plus loquaces durant la discussion. Sans aucune hésitation, le jeune homme partage ses pensées obsessionnelles liées à des compulsions ou des rituels qu’il s’est imposés : « Dans ma tête, je pensais que si je ne me lavais pas les mains plusieurs fois par jour, la maison pourrait prendre feu. » Raja reconnaît le caractère illogique de cette pensée intrusive mais ne peut pas contrôler l’anxiété qui lui est associée.
Les trois jeunes insistent ainsi sur une idée primordiale : la maladie mentale n’est en aucun cas volontaire ou contrôlable. Les parents de Raja, présents dans le public ce soir-là, l’ont su avec le temps. Nadine, quant à elle, affirme que l’entourage de son mari n’a réalisé qu’après son suicide que sa maladie était sérieuse, et qu’il ne pouvait pas juste « se ressaisir ».
Myriam, elle, est une jeune femme de 26 ans qui souffre de trichotillomanie, trouble caractérisée par l’arrachage compulsif et non volontaire des poils de son corps. Elle a dressé un répertoire, aussi drôle qu’attristant, des commentaires qui lui ont été faits par rapport à son trouble et ses cheveux courts : « As-tu essayé de ne pas t’arracher les cheveux ? », « Tu serais beaucoup plus jolie si tu avais les cheveux longs », ou encore « Tu n’auras jamais de petit ami, ou de travail, avec un look comme ça ». 
« Entre parenthèses, j’ai un travail que j’aime », dit-elle, souriante, en évoquant ses activités au sein du Comité international de la Croix-Rouge. 

En parler, encore et toujours
« Ce n’est pas grave de ne pas être bien », dit Nadine. Les trois jeunes soulignent l’importance de la prise en charge par un psychiatre et/ou par un thérapeute. Après six ans et demi de thérapie, en parallèle avec la prise de médicaments, Raja est désormais capable de chasser certaines pensées presque spontanément. Myriam admet avoir pris du temps pour trouver le thérapeute qui lui convient. « C’est un peu comme sortir avec quelqu’un », plaisante Raja. Myriam a même lancé une campagne en ligne intitulée Free as my hair Lebanon, dans laquelle on peut la voir, complètement chauve, en train de sensibiliser son public à la trichotillomanie. 

Raviver le débat par rapport à la maladie mentale permet aussi d’encourager les autres à en parler. En effet, trois autres personnes parmi le public ont osé partager, à leur tour, leurs expériences personnelles avec la dépression ou l’anxiété. De telles initiatives deviennent donc essentielles, comme le dira Alexandra Badawi, 21 ans, présidente du Club Mental Health, qui prône une attitude « proactive » dans son discours liminaire. Elle sera rejointe par sa collègue Satia el-Alam, 20 ans, présidente de la société des étudiants en psychologie de l’AUB : « Il est de notre devoir, en tant que psychologues en devenir, de réduire la stigmatisation des patients et de briser les mythes autour de la maladie mentale », déclare-t-elle. Le Dr Zeinoun se dit fière du travail de ses étudiantes et appelle les étudiants des autres universités à faire de même. « La psychologie doit être ouverte et ancrée sur le terrain. » Les mentalités aussi.

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