vendredi 13 avril 2018

Mort du dessinateur F’murr, l’auteur de la BD « Génie des alpages »

Le scénariste et dessinateur Richard Peyzaret, alias F’murr, s’est éteint, mardi 10 avril, à l’âge de 72 ans. Il laisse derrière lui une œuvre traversée par le non-sens et la poésie.

LE MONDE  | Par 

Extrait de l’album « Bêêêêstes of le Génie des Alpages » (Dargaud).
Extrait de l’album « Bêêêêstes of le Génie des Alpages » (Dargaud).

Des brebis maniant l’art du calembour et de la réflexion métaphysique. Un berger nonchalant au patronyme impossible, Athanase Percevalve, doté d’un chien sans nom aussi intello que les bêtes qu’il est censé garder. Un bélier noir incompris, souffrant de ne pouvoir affirmer sa domination masculine sur le reste du troupeau. Des anges qui passent, des serpents qui se mordent la queue, des coucous suisses qui s’affrontent en plein ciel, un Indien chevauchant un tricycle volant…

Ce petit théâtre de l’absurde avait un nom à l’allitération choisie : Le Génie des alpages. Il avait aussi un démiurge, au pseudonyme sonnant comme une onomatopée : F’murr. L’auteur de bande dessinée Richard Peyzaret – son vrai nom – s’est éteint mardi 10 avril, à l’âge de 72 ans. Il laisse derrière lui une œuvre traversée par le non-sens et la poésie, étanche à toute mode et à toute tendance.

Extrait de l’album « Bêêêêstes of le Génie des Alpages » (Dargaud).
Extrait de l’album « Bêêêêstes of le Génie des Alpages » (Dargaud).


Chef-d’œuvre d’humour décalé


Né le 31 mars 1946, à Paris, Richard Peyzaret entre au journal Pilote en 1971 grâce au concours de Nikita Mandryka (le créateur du Concombre masqué) avec qui il a fréquenté l’Ecole des arts appliqués. Son pseudo s’écrit alors F’murrr, avant qu’un rédacteur en chef ne vienne lui expliquer qu’il n’y a pas de consonne triplée dans la langue française. Sa première contribution est un ensemble de gags, sous le titre Contes à rebours. La suivante, deux ans plus tard, sera Le Génie des alpages.

La série rencontre un succès immédiat auprès des lecteurs du magazine. A la disparition de celui-ci, elle se poursuivra sous la forme d’albums, publiés chez Dargaud (14 tomes au total, le dernier datant de 1977). F’murr animera, en parallèle, les aventures de Naphtalène, une bergère apparue initialement dans Le Génie des alpages.

Alors que la BD francophone a commencé sa mue en direction d’un lectorat adulte, le dessinateur va participer au lancement de plusieurs titres symboliques de cette époque : Fluide glacial, Métal hurlant, (A Suivre), Circus ou encore Le Trombone illustré (un supplément du journal Spirou). Proposé à Pilote, qui le refusa, le personnage de Jehanne d’Arc fait son apparition dans les pages de Métal hurlant en 1976. Son premier épisode la voit rencontrer Paul Claudel au milieu d’un Moyen Age peuplé de Huns et de mammouths. Tout sera à l’avenant dans cet autre chef-d’œuvre d’humour décalé : la pucelle affublée d’une cotte de mailles tricotées pure laine y croisera notamment le chemin d’Attila et de Gilles de Rais, avant de tomber amoureuse d’un extraterrestre.

Extrait de l’album « Bêêêêstes of le Génie des Alpages » (Dargaud).


Albums inclassables


Fidèle à son dessin faussement désinvolte, F’murr poursuivra dans la même veine absurde avec des albums totalement inclassables. Ainsi Le char de l’Etat dérape sur le sentier de la guerre (Casterman, 1987), une évocation très personnelle de l’invasion de l’Afghanistan par l’armée russe. Ou Le Pauvre Chevalier (Casterman, 1990), les aventures d’un paladin raté pratiquant la lévitation. Sans oublier Robin des Pois à Sherwood (Dargaud, 2011), un joyeux fourre-tout dans lequel apparaissent des Mickey lépreux, un roi Richard déguisé en cheval et, à nouveau, des brebis – de race suffolk, comme l’excentrique Tombed-Camionnette du Génie des alpages.

La thématique montagnarde collera longtemps à la peau de F’murr, comme en témoigne son travail d’affichiste pour la Fête de la transhumance de Die (Drôme), également rassemblé en album (Eloge de la pentitude, Glénat, 2002).

Précurseur parmi les auteurs de bande dessinée ayant réussi à capter des lecteurs (et des lectrices) non bédéphiles, F’murr cultivera l’image d’un créateur à part et à l’écart de l’agitation des salons et des festivals. « Si je fais ce métier, disait-il au magazine Bédéka en 2004, c’est parce que c’est une activité que je peux exercer sans avoir plein de gens autour de moi, et rêver un peu. » En comptant les brebis.

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