lundi 23 avril 2018

Le grand blues des directeurs d’hôpital

Entre « hôpital et directeurs bashings », ces hauts fonctionnaires déplorent le manque de soutien de leur ministre, Agnès Buzyn, ancienne praticienne hospitalière.

LE MONDE  | Par 

COLCANOPA

Lassés de se voir sans cesse attribuer la responsabilité du malaise à l’hôpital public et d’être continuellement présentés comme des « cost killers » maltraitants, les directeurs d’hôpital se rebiffent. Sans nier que leurs établissements se trouvent « sous tension » après des années de restrictions budgétaires, ils dénoncent les présentations « catastrophistes », « caricaturales » et souvent « à charge » faites par les médias. Alors qu’une importante réforme du système de santé doit être annoncée avant l’été, Jérémie Sécher, le président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), estime que « les directeurs sont en train de devenir le bouc émissaire d’un système dont tout le monde sait qu’il doit changer ».

Ces derniers mois, de nombreux médias se sont intéressés aux difficultés des hôpitaux. Diffusion d’un reportage d’Envoyé spécial sur France 2 titré « Hôpital public, la loi du marché », médiatisation du rapport d’Edouard Couty sur la situation de crise au CHU de Grenoble, succès du hashtag #balancetonhosto sur les réseaux sociaux, publication du livre Hôpitaux en détresse, patients en danger (Flammarion, 304 p., 19,90 euros), ou encore divulgation, début avril, par le site Mediacités, de plus de 26 000 fiches d’événements indésirables au CHU de Toulouse…

Situation « intenable »


« Le tableau décrit dans les médias est très noir. Il y a un phénomène boule de neige, où tout va mal et où il est impossible de dire à quel point, en dépit de toutes nos difficultés, on a un système hospitalier formidable. Pour les médias, ce n’est pas intéressant de parler des endroits où ça fonctionne », regrette Frédéric Boiron, directeur général du CHU de Lille et président de l’Association des directrices et directeurs d’hôpital (ADH), qui représente près de la moitié des 3 025 directeurs en exercice.

Le 12 avril, le haut fonctionnaire a été reçu au ministère de la santé pour faire part de sa « forte préoccupation » face au « climat persistant de dévalorisation des hôpitaux publics » et la « médiatisation parfois agressive sur le thème de la gouvernance hospitalière ». Autrement dit : constater et déplorer un climat d’« hôpital bashing » et de « directeur bashing ».

Un phénomène face auquel certains directeurs disent regretter en coulisse le manque de soutien de leur ministre, Agnès Buzyn, ancienne praticienne hospitalière. « Dans certaines structures, notamment publiques, on sent que la capacité managériale n’est pas au rendez-vous », avait-elle déclaré en décembre 2017 au sujet des Ehpad. « Quand j’entends la ministre dire qu’il y a un problème de management, ça me fait halluciner. Qu’elle vienne voir ce qu’on fait », soupire un directeur d’hôpital, sous couvert d’anonymat.

« C’est important qu’il y ait un message politique de soutien, c’est notre souhait », assure M. Boiron. Car le ras-le-bol va au-delà d’une question d’image. Des directeurs s’émeuvent que les responsables politiques n’assument pas davantage la politique de rigueur qu’ils les contraignent à mettre en œuvre. Dans un communiqué publié le 17 avril, le Syncass-CFDT, premier syndicat des trois corps de directeurs de la fonction publique hospitalière, a dénoncé la situation « intenable », « entre le marteau et l’enclume », dans laquelle sont placés les directeurs et les responsables des établissements hospitaliers, médico-sociaux et sociaux.

« Le discours public de déni est devenu insupportable, écrivent-ils. Les directeurs sont pris à partie, tantôt par les autorités, tantôt par les élus, les médecins ou les syndicats, et maintenant de plus en plus souvent par la presse et les réseaux sociaux. Ils n’en peuvent plus. » Face à la multiplication de ces critiques, plusieurs directeurs joints par Le Monde avouent avoir le sentiment d’« incarner » à eux seuls de « façon injuste » « les dysfonctionnements du système » dont ils doivent également « gérer les contradictions », à la recherche du « compromis entre les intérêts des patients et ceux des contribuables ». Tous revendiquent leur attachement au service public.

Au SMPS, Jérémie Sécher explique avoir été « très mal à l’aise avec le plan triennal d’économie [décidé par Marisol Touraine, la précédente ministre de la santé] qu’il a fallu mettre en place avec un discours national disant qu’il ne fallait pas toucher le personnel ». Or les dépenses de personnel représentant généralement plus de 70 % du budget d’un hôpital, ce poste a dû servir de variable d’ajustement dans beaucoup d’établissements.

De nombreux responsables font état de ce « tiraillement » et de cette « injonction contradictoire » : maintenir la qualité des soins avec des budgets contraints. « Les politiques ne veulent pas assumer les dysfonctionnements qu’ils ont eux-mêmes créés, juge le directeur d’un groupement hospitalier de territoire, une structure fédérant plusieurs hôpitaux. Quand on est obligé de fermer un service, l’agence régionale de santé comme le ministère disent que c’est la faute du directeur. »

Un autre directeur, à la tête d’un hôpital de 400 lits, dit recevoir fréquemment des SMS d’élus locaux lui demandant de rendre compte des délais d’attente dans telle ou telle spécialité, comme s’ils ignoraient les difficultés à recruter dans certaines spécialités. « Nous ne sommes pas responsables de la contrainte qui nous est imposée », dit-il, rappelant que c’est souvent en raison de la difficulté – voire de l’impossibilité – de recruter certains praticiens dans certaines spécialités, par manque de candidats, que des services de petites villes doivent être fermés.

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