vendredi 6 avril 2018

Autisme : cinq fronts contre un scandale français

Par Eric Favereau — 

Pendant plus de vingt ans, de 1994 à 2016, le photographe français Olivier Coulange (de l’agence Vu) a suivi le quotidien d’Antonin, enfant autiste, et de sa famille. Année après année, il a partagé l’intimité d’Antonin, âgé de 8 ans au début de ce travail photographique et de 32 ans en 2016.
Pendant plus de vingt ans, de 1994 à 2016, le photographe français Olivier Coulange (de l’agence Vu) a suivi le quotidien d’Antonin, enfant autiste, et de sa famille. Année après année, il a partagé l’intimité d’Antonin, âgé de 8 ans au début de ce travail photographique et de 32 ans en 2016. Photo Olivier Coulange. Vu


Le plan pour une meilleure prise en charge globale, présenté ce vendredi, est articulé autour de cinq ambitions : la recherche, la détection et l’intervention précoces, la scolarisation, l’accompagnement des adultes handicapés et le soutien aux familles.

Plus de 340 millions d’euros et «cinq ambitions». Ce vendredi par la voix du Premier ministre et jeudi par celle du président de la République lors d’une visite sur le terrain à Rouen, la «stratégie pour l’autisme au sein des troubles neuro-développementaux» a été dévoilée.

Il est peu de dire qu’elle était très attendue. Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron en avait fait l’une de ses priorités, d’autant que la situation française (comme le répètent les rapports de l’Igas ou de la Cour des comptes) est au minimum chaotique, mais surtout inégalitaire et incohérente. «En matière de politique de l’autisme, la France n’est pas au niveau, a carrément reconnu à l’Assemblée nationale la secrétaire d’Etat chargée du handicap, Sophie Cluzel. Les familles concernées sont exposées à un parcours du combattant indigne de notre République et la France se trouve loin derrière de nombreux pays de l’OCDE en matière de recherche.» «Les progrès réalisés dans la prise en charge des enfants, mais surtout des adultes, sont insuffisants», soulignait encore la Cour des comptes dans son rapport de janvier 2018. En juillet, un tribunal administratif avait même condamné l’Etat français pour «des carences»dans la prise en charge d’enfants autistes.
Après trois plans successifs depuis 2005, Emmanuel Macron a donc lancé en juillet la concertation sur de nouvelles mesures. «On attend que ce quatrième plan prenne le taureau par les cornes, mais on n’est pas sûrs que la volonté politique existe», s’inquiétait d’avance Danièle Langloys, présidente d’Autisme France. Sera-t-elle rassurée ? «Ce plan a de la gueule», nous dit Claire Compagnon, militante des droits des malades et inspectrice générale des affaires sociales- qui a présidé, il est vrai, la concertation pour l’élaboration du plan. «L’idée maîtresse est l’inclusion. Tout est fait pour que l’on passe d’une logique de relégation des autistes dans les établissements à une logique d’inclusion dans la cité. Avec la volonté d’intervenir précocement, le plus tôt possible, en mettant de la science le plus possible et non plus de l’idéologie ou des postures.»
Un objectif que nul ne conteste. Mais dans ce dossier, l’important est la cohérence des pouvoirs publics, dans la durée. Exemple de l’hypocrisie des autorités sanitaires : depuis des années, elles ont mis en avant le souhait d’un dépistage le plus précoce, mais dans les faits, que voit-on ? Le délai d’attente moyen que subissent les familles pour accéder à un diagnostic dans un centre ressources autisme est de 446 jours. Une durée insupportable, qui les laisse dans un désarroi profond.
Ce plan se veut de rupture, tant par les moyens que dans les objectifs fixés. Conforté par la nomination prochaine d’un délégué interministériel auprès de la secrétaire d’Etat chargée du handicap, il s’articule autour de cinq ambitions.

Le repérage précoce

La première est de booster la recherche sur ces maladies, tous les acteurs notant un manque de structuration et de coordination. A cet effet, un groupement d’intérêt scientifique sera créé, avec trois centres d’excellence. Le gouvernement n’a pas choisi de créer une grosse structure qui aurait chapeauté toute la prise en charge (comme pour le cancer), mais une organisation sur la seule recherche. «Il faut remettre la science au cœur, et balayer les fake news en tout genre. En matière de prise en charge, c’est la science qui doit prévaloir», préconise la secrétaire d’Etat, Sophie Cluzel.
Deuxième objectif, présenté comme la pierre angulaire du plan : l’intervention précoce, qui est l’une des grandes faiblesses de la prise en charge, les bilans des enfants étant effectués en moyenne entre 6 et 16 ans. «Plus on intervient tôt, plus on peut corriger les parcours, rappelle Claire Compagnon. Aujourd’hui, cela dysfonctionne à toutes les étapes. Il faut reprendre en main toute la chaîne.» Pour cela, le plan prévoit un effort massif sur la formation des professionnels de la petite enfance, qui vont se retrouver en première ligne (médecins, pédiatres, PMI), avec des examens diagnostics renforcés. Si ce premier niveau révèle un problème chez l’enfant, des plateformes de coordination (au moins une par département) vont être créées, avec la mission de rassembler les dossiers, puis de proposer un parcours en ville. «Tous les examens seront remboursés», insiste le plan.
Troisième volet, essentiel : la scolarisation. Les objectifs sont élevés. A partir d’un dépistage précoce qui permettra une intervention rapide, tous les enfants devront pouvoir aller dans des maternelles «normales», dès l’âge de 3 ans. Ensuite ? De nouvelles équipes médico-sociales pour le primaire seront créées ou renforcées. Le nombre d’instituts médico-éducatifs (IME) doit passer de 700 à 2 100. «C’est tout le dispositif qui va être renforcé, avec l’objectif de l’inclusion scolaire au maximum», assure Sophie Cluzel. Au collège et au lycée, l’idée sera de consolider l’assistance scolaire personnalisée (ASP) par des contrats plus longs et plus solides.

Des solutions de logement pour les adultes

Quid des adultes ? C’est le quatrième objectif, et peut-être le plus difficile. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Il n’existe aucun chiffre, aucune donnée. Un certain nombre d’entre eux reste des années, sans raison valable, dans des lits d’hôpitaux psychiatriques. D’autres, seuls dans des lieux insalubres. D’autres encore échouent dans des pays voisins. Seuls 11 % disposeraient d’un logement personnel. La stratégie du plan consiste, par le biais des agences régionales de santé, à procéder dans un premier temps à un repérage, puis à multiplier des solutions de logement : «10 000 logements accompagnés avec des colocations sociales seront ainsi prévus». Et surtout, est-il écrit dans le plan, il s’agit de «ne pas enfermer».
Enfin, le plan préconise de s’appuyer sur les familles, leur expérience, leur savoir. «Il faut reconnaître leur expertise, et les associer dans la gouvernance». Mais aussi les «soutenir» : une «plateforme de répit» doit être créée dans chaque département, pour leur permettre de faire des pauses mais aussi d’échanger leurs expériences. «Les autistes doivent avoir la vie la plus normale possible», a rappelé Emmanuel Macron à l’issue de sa visite, hier à Rouen. Les annonces sont là, les objectifs aussi, l’argent également. Mais ce n’est que dans cinq ans que l’on saura si ce plan marque vraiment une rupture.

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