samedi 31 mars 2018

Patrick Cottin, ambassadeur de la cause adolescente

Le président de l’Association nationale des Maisons des adolescents, centres consacrés à la prise en charge de la souffrance psychique des 11-25 ans, se bat pour protéger cet âge charnière, soumis à toutes les turbulences.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 
Patrick Cottin, président de l’Association nationale maison des adolescents, chez lui à Rennes, le 21 mars.

Il a, de l’adolescence, conservé la silhouette longiligne et ce rien de dégingandé, qui signe les hautes statures ou les enfants montés en graine. Est-ce un reflet de ceux dont il défend la cause ? A près de 60 ans, Patrick Cottin est le maître des Maisons des adolescents (MDA). 

Il en est, en réalité, l’hôte attentif et bienveillant. Non pas le « petit maître », posture aux antipodes de cette figure tutélaire. « A l’école, en cours de récréation, j’étais souvent celui qui prenait la défense des plus faibles. Tout mon parcours est empreint de cette volonté de prendre en compte les questions de considération et de justice sociale. »
Depuis 2015, Patrick Cottin préside l’Association nationale des Maisons des adolescents (ANMDA), qui fédère ces structures, au nombre de 109. Dresser son portrait amène à dresser aussi le portrait de ces maisons, tant son parcours est lié à ces structures, uniques dans le paysage médico-social français.


Environ 100 000 adolescents franchissent chaque année pour la première fois la porte d’une de ces structures. Hésitants, ils y pénètrent avec leurs doutes et leurs errances, leurs fragilités et leurs turbulences, mais aussi leur soif de justice, leur désir de réinventer le monde, leurs aspirations créatives. « Chez les adolescents, je retrouve cette révolte face à l’injustice sociale. Leur créativité trouve aussi un écho en moi », confie Patrick Cottin, qui dirige aussi la Maison des adolescents de Nantes.

Lieux d’accueil, de prévention et de prise en charge, les maisons sont ouvertes à tous les jeunes de 11 à 25 ans qui montrent des signes de mal-être, d’addictions diverses, de phobies scolaires, de dépressions, de stress… – et à leurs familles. L’accueil et l’orientation y sont gratuits, anonymes, exempts de discrimination.

« Les problèmes des ados nécessitent des regards croisés »


« Souvent, les ados nous enfument. Ils n’ont pas leur pareil pour détourner notre regard de leur vrai problème, là où ça pourrait faire mal. Consciemment ou non, ils protègent leur entourage », explique leur ange gardien. Face à leurs fragilités multiformes, les MDA proposent des parcours de soins coordonnés : autour de chaque jeune, elles fédèrent des partenaires d’horizons différents – social, médical, éducatif… En fonction des situations, elles peuvent proposer une prise en charge en leur sein, ou, pour les problèmes plus graves, une réorientation vers des structures médicales.

La toute première MDA a été bâtie au Havre, en 1999. « Nous nous sommes battus pour la reconnaissance de ces structures », se souvient son fondateur, le psychiatre Alain Fuseau. Mais il faudra attendre 2005 pour une reconnaissance officielle, avec une circulaire de Matignon. Cet adoubement a été permis par Claire Brisset, Défenseuse des enfants. En 2004, elle dresse ce constat : les dispositifs de prise en charge des ados, bien que nombreux, étaient peu lisibles et peu accessibles. « Surtout, ils étaient mal articulés, alors que les problèmes des ados nécessitent des regards croisés », explique Patrick Cottin. Le mal-être des jeunes vient souvent d’un enchevêtrement de difficultés – sociales, familiales, éducatives, scolaires, psychologiques et/ou médicales.

Cet avocat de la cause adolescente commence sa carrière comme éducateur spécialisé. Puis il suit une formation en sociologie, au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). De 1985 à 2006, il exerce dans différents ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), en Pays de la Loire et en Bretagne.
En 2006, il lit une annonce qui va réorienter son parcours : la ville de Nantes recherche un directeur pour sa future MDA. Sa bonne fée sera Brigitte Ayrault. L’épouse de Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, avait visité la MDA du Havre : elle décide d’en créer une sur ce modèle. Fin 2006, elle invitera Patrick Cottin à l’animer.

Un « expert du pas de côté »


« Le premier mot qui me vient pour qualifier Patrick est tenace, témoigne Alain Fuseau. Il sait ce qu’il veut et il met en œuvre les moyens nécessaires pour y parvenir. Cet entêtement peut parfois faire sourire, mais il produit ses effets. » Il est un « expert du pas de côté, estime pour sa part Geneviève Avenard, actuelle Défenseuse des enfants. Tout comme le sont les MDA, dans leur manière de prendre en charge les jeunes. Je l’ai rencontré en 2014. Il souhaitait consolider le lien entre les MDA et le Défenseur des enfants, en référence à leur histoire. Mais il voulait aussi faire évoluer ces structures, les transcender. »

Sous son impulsion, deux nouvelles missions seront confiées à ces maisons, fin 2016 : le soutien des familles et la coordination des parcours de soins complexes. « Nous rencontrons plus de situations complexes qu’avant. Comme si l’insertion des jeunes dans la vie sociale, familiale, éducative et professionnelle était plus compliquée. »

En 2016, un plan bien-être et santé des jeunes est élaboré par l’Elysée, sous le quinquennat de François Hollande. Son enjeu : prévenir l’aggravation des signes de mal-être, mais à condition de les repérer précocement. Patrick Cottin fait alors valoir le rôle central des MDA. « Elles sont le chaînon manquant entre les établissements scolaires, en première ligne pour ce repérage précoce, et les services de soins. »

Dans la lutte contre la radicalisation, les MDA ont aussi été sollicitées pour aider au repérage des situations de risque. Mais Patrick Cottin, avec d’autres, n’a pas souhaité qu’elles interviennent, pour ce repérage, ni « dans une visée de sanction ni dans un processus formalisé avec les préfectures ».

Un « lobbying d’intérêt général »


A l’automne 2017, il lance une expérience pionnière pour améliorer le « climat scolaire ». Dix collèges participent à l’aventure pilotée par la MDA de Nantes et financée par un programme d’investissements d’avenir. Un diagnostic sur l’ambiance de chaque établissement a été posé. Dès la rentrée 2018, un programme adapté à chaque collège sera mis en place. Les leviers d’actions sont multiples : création de lieux de vie accueillants, ateliers de groupe pour apprendre aux élèves – et aux enseignants – à reconnaître leurs émotions, affirmer leurs points de vue, respecter et défendre autrui, régler les conflits… « Un climat scolaire favorable peut aider à éviter les ruptures entre ces trois personnes qui cohabitent chez un même jeune : l’adolescent, le collégien et l’élève. »

En février, il était convié à une table ronde sur le thème : « S’orienter par passion ou par raison, faut-il choisir ? », organisée à Nantes par Le Monde, lors d’une conférence O21 (s’orienter au XXIe siècle). « Beaucoup de jeunes oublient leurs véritables aspirations, dans un monde pris par des questions de performance, de compétition et d’argent. Je leur dis souvent : n’abandonnez jamais vos rêves d’enfant ! » Ce peut être un combat : si la société nous donne – en théorie – bien plus de liberté qu’autrefois, nos parcours sont aussi moins tracés d’avance. « L’ouverture des choix rend les choses plus difficiles. Chacun devient maître de son destin, dans un avenir très ouvert mais très incertain. »

Membre du Haut Conseil à la famille et du Conseil national de la santé mentale, Patrick Cottin dit son inquiétude de voir les questions d’enfance et d’adolescence se diluer dans les politiques publiques de solidarité. Son dernier engagement : faire contrepoids aux lobbyistes d’intérêt privé, comme les alcooliers ou l’industrie pharmaceutique, en créant un « lobbying d’intérêt général » qui réunit les partenaires des MDA (la Fédération addiction, la Fédération des espaces santé jeunes…).

Amateur de treks, il aime arpenter le monde. « Il y met la même ténacité que dans sa vie professionnelle, s’amuse Alain Fuseau. Il ne se retourne pas toujours pour vérifier qu’on le suit. Mais son effet d’entraînement est certain. » Ce fonceur a toujours un train à prendre, une piste à creuser, une initiative à lancer. Le temps de l’adolescence n’attend pas.

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