dimanche 18 mars 2018

EHPAD : pourquoi en sommes nous là ? (une interview du directeur de l’AD-PA)

Paris, le samedi 17 mars 2018 – En dépit de la promesse du ministre de la Santé de compensations pour les Etablissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHAPD) qui seront le plus fortement affectés par la réforme tarifaire, les réponses du gouvernement face à la crise que traversent ces structures et l’aide à domicile sont considérées comme totalement insuffisantes. Tel était notamment le message scandé lors de la nouvelle journée de mobilisation organisée ce jeudi 15 mars, mobilisation qui est le fruit d’un appel syndical unitaire et soutenue par l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Cette dernière partage en effet un grand nombre des revendications des organisations de salariés et notamment la nécessité d’une augmentation du ratio de personnels, comme nous le signale le directeur de cette organisation Romain Gizolme, qui a répondu aux questions du JIM.
JIM.fr : Vos alertes concernant les risques liés à la suppression des emplois aidés pour le fonctionnement des EHPAD ont-elles été entendues par les pouvoirs publics ?
Romain Gizolme : Les alertes n’ont pas été suffisamment entendues pour le moment. L’Etat n’a pas pris les dispositions pour faire en sorte que le secteur de l’aide aux personnes âgées soit l’un des secteurs prioritaires dans lesquels sont maintenus les emplois aidés. Ce qui est assez étonnant, c’est qu’il y a une application par les préfets, plus ou moins souple de la suppression ou du maintien partiel des contrats d’emplois aidés dans le secteur, mais apparemment il n’y a pas de changement de cap de la part de l’Etat.

JIM.fr : Selon vous, aujourd’hui, combien d’agents supplémentaires, médicaux et non médicaux, seraient nécessaires pour assurer une prise en charge de bonne qualité des résidents ?
Romain Gizolme : Je vais vous exposer la position de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées), mais elle n’est pas seule à soutenir ce discours. Tous les rapports sur la question montrent qu’il conviendrait de doubler le nombre de professionnels auprès des personnes âgées en établissement et à domicile. J’insiste vraiment sur la prise en compte de l’accompagnement à domicile. Il y a 700 000 personnes qui sont prises en charge en établissement aujourd’hui et 700 000 personnes qui le sont à domicile. La situation à domicile est tout aussi compliquée. Tous les rapports, à commencer par celui de la Cour des Comptes en 2005, deux ans avant la canicule, qui se sont penchés sur la question de l’aide aux personnes âgées ont indiqué qu’il conviendrait de doubler le nombre de professionnels auprès des personnes âgées.

Barrière d’âge : une mesure discriminatoire maintenue en France malgré l’Europe

Nous avons eu le plan solidarité grand âge, unique fois où les pouvoirs publics se sont positionnés sur la question, plan qui confirmait à l’époque de la même manière qu’il fallait augmenter les ratios de professionnels dans le secteur pour atteindre des ratios de un pour un. Plus récemment, le rapport de la députée Monique Ibora rappelle que quelles que soient les organisations qu’elle a pu consulter, et elle en a consulté plus de 200, qu’il s’agisse d’organisations professionnelles, de personnes âgées ou de familles, le constat est unanime. Le ratio de un pour un n’est pas une fantaisie : dans les pays européens voisins, les ratios sont de l’ordre de 0,8 ou 1 agent pour un résident, voire 1,2. En France, dans le secteur du handicap, le ratio est de un pour un.
Il faut également souligner qu’aujourd’hui, la France maintient une mesure discriminatoire, qui aurait dû être abrogée par une directive européenne en 2005, qui concerne la barrière d’âge des 60 ans. Ainsi, quand on a été victime d’un AVC à 59 ans et 11 mois, on est considéré comme en situation de handicap. Quand cet AVC survient à 60 ans et un mois on est considéré comme une personne âgée dépendante. Et ici, le sujet bénéficie de deux fois moins de professionnels auprès de lui et d’aides financières : cela ne tient qu’à ça.
JIM.fr : Considérez-vous que le manque d’effectifs puisse favoriser le risque de maltraitance des résidents ?
Romain Gizolme : Le manque d’effectif a clairement des conséquences sur la situation et les conditions de vie des personnes âgées que nous accompagnons. Les organisations, les syndicats, les grèves ne disent pas autre chose. On est dans des situations qui conduisent à un épuisement total des personnels, qui n’ont pas suffisamment de temps pour accompagner les personnes âgées pour manger, pour sortir, pour aller aux toilettes, etc. Bien sûr que le nombre de personnels a un retentissement sur la qualité de la prise en charge.

Quand l’enfermement est la réponse au manque de personnels

On le voit notamment avec les personnes qui ont des pathologies comme la maladie d’Alzheimer, pour lesquels il est envisagé qu’ils soient accueillis dans des lieux particuliers, des lieux fermés, tout simplement parce qu’ils sont susceptibles de se perdre quand ils sortent. Mais si l’on était en capacité d’avoir un professionnel qui puisse accompagner une vieille dame ou un vieux monsieur qui a des troubles de la mémoire pour se promener et de le ou la raccompagner, il n’y aurait pas besoin que ces personnes soient enfermées. On voit clairement avec ce type d’exemple que le nombre de professionnels auprès des personnes âgées en termes de temps passé auprès d’eux a une incidence directe sur la qualité d’accompagnement.
JIM.fr : Avez-vous constaté une hausse des plaintes pour « épuisement professionnel » chez les agents ? Quelles mesures sont mises en œuvre pour restreindre ce risque ?
Romain Gizolme : Nous constatons évidemment une telle tendance et cela une fois encore ne relève pas que de données propres à l’AD-PA. En octobre, la CNAM a, comme régulièrement, publié des chiffres sur les arrêts de travail et les maladies professionnelles. Le seul secteur d’activité pour lequel les accidents et les arrêts maladie augmentent c’est celui de l’aide aux personnes âgées. Aujourd’hui, vous connaissez plus de risques à aider des vieilles dames et des vieux messieurs en établissement et à domicile qu’à travailler à construire des immeubles. C’est extrêmement parlant ; la CNAM elle-même qualifie la situation d’inquiétante. Oui, les professionnels sont épuisés, oui il y a un turn over du fait de l’épuisement qui est de plus en plus important et le cercle vicieux s’installe : plus vous avez d’arrêts plus les autres professionnels essaient de compenser. Face à cette situation, l’Etat n’hésite pourtant pas à affirmer, droit dans ses bottes : nous allons réduire les budgets des établissements, supprimer les emplois aidés. Et en outre, on laisse les services à domicile tarifer à 21 euros l’heure quand l’étude nationale de coût qui a été réalisée montre qu’ils ont besoin d’au moins 24 euros pour fonctionner correctement. Mais l’Etat vous dit qu’il n’y a pas de problème et qu’on ne va surtout pas investir dans le secteur.
JIM.fr : Quel est votre avis sur la mise en place d'un mécanisme d’astreinte permettant à une infirmière itinérante de prendre en charge les résidents de plusieurs EHPAD la nuit ?
Romain Gizolme : C’est une mesure à laquelle il faut réfléchir localement. Il ne peut pas y avoir de doctrine en la matière. Cela dépend des spécificités locales et de ce qu’en disent les acteurs de terrain, à la fois les organisations professionnelles et les organisations de directeurs d’établissements.

Gare à la surmédicalisation et à la surnormalisation

Il y a des endroits où il y a des déserts médicaux qui sont extrêmement importants, peut-être que ça peut être un plus. Je pense néanmoins qu’il faut éviter une sanitarisation des structures. Il ne faut pas qu’au prétexte qu’on puisse avoir un professionnel capable de tourner sur trois ou quatre sites la nuit (si tenté que ces professionnels soient prêts aussi à travailler dans ces conditions) on en profite pour prétendre que ces établissements pourraient se substituer aux hôpitaux. Il y a des moments où l’hospitalisation s’impose, pas uniquement par manque de professionnels qualifiés mais par nécessité. Les structures ne sont pas faites pour assumer un certain nombre d’actes médicaux et prendre un certain nombre de dispositions médicales. Ce type d’astreinte peut donc répondre en partie aux difficultés, mais il faut que ce soit extrêmement ciblé et concerté.
JIM.fr : Existe-t-il selon vous une démédicalisation des EHPAD ?
Romain Gizolme : Clairement pas. La tendance est plutôt à une surmédicalisation. On le voit bien avec l’inflation des normes dans le secteur. Si les établissements sont si décriés, c’est notamment parce que les gens y trouvent trop de contraintes dues à une surnormalisation excessive du secteur. En établissement, par exemple, vous ne pouvez pas proposer d’œufs frais. Personne ne se demande si à domicile, les nouveaux résidents, trois mois avant de rentrer en établissement, pouvaient manger des œufs frais ou pas. Quand vous êtes en établissement, ce n’est plus possible. Il y a une espèce de surmédicalisation et de surnormalisation qui ne correspondent ni aux attentes des personnes âgées, ni aux attentes des familles et qui effectivement est à contre-sens. Alors qu’à l’inverse, on voit que se développent des résidences alternatives qui précisément sont moins centrées sur ces normes médicales. Oui, le médical peut faire partie de la vie et du quotidien, pour autant la vie ne se résume pas qu’à ça. Ce n’est pas parce que vous avez une pathologie que toute votre vie doit s’organiser autour d’elle. Ainsi, conviendrait-il d’augmenter le nombre de professionnels médicaux et paramédicaux mais aussi les animateurs de vie sociale, les agents administratifs…
JIM.fr : Quelles sont à vos yeux les priorités d’action ?
Romain Gizolme : Selon nous, l’un des éléments essentiels, c’est vraiment de lutter contre la discrimination liée à l’âge que j’ai évoquée. Il serait également important que les pouvoirs publics aient davantage conscience des formidables sources de création d’emplois que recèle ce secteur. Il faut travailler à lutter contre la discrimination par l’âge pour faire en sorte que les pouvoirs publics aient une vision positive de l’augmentation du nombre de personnes travaillant dans ce secteur. L’investissement des pouvoirs publics doit en outre passer par la création du cinquième risque qui est attendue depuis des années par l’ensemble des organisations professionnelles, organisations de personnes âgées et de familles et qui d’ailleurs avait été proposée, je vous le rappelle, par Nicolas Sarkozy et finalement abandonnée, également promise par le président Hollande et en partie commencée avec la loi de l’adaptation de la société au vieillissement qui n’a cependant pas été à la hauteur des enjeux. Cette loi est en effet financée par la CASA qui représente entre 600 et 700 millions d’euros ce qui n’est pas rien, mais ce n’est clairement pas à la hauteur des enjeux. Les pistes de financement qui avaient été envisagées notamment par le CESE (Conseil Economique Social et Environnemental) en 2011 étaient de l’ordre de 3 à 5 milliards, selon qu’on est plus ou moins ambitieux : on voit bien que les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. La façon d’entreprendre un vrai changement dans le secteur c’est, j’insiste, de prendre conscience de l’agisme, de faire sauter la barrière d’âge, de créer un vrai ministère de l’aide aux personnes âgées et de l’autonomie et de mettre en place cette prestation. Cela permettra d’améliorer de fait les conditions de vie des personnes âgées, et aussi les conditions d’exercice de l’ensemble des professionnels. Il faut enfin rendre cette filière un peu attrayante.
Propos recueillis par Aurélie Haroche

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