vendredi 16 mars 2018

Ehpad : le constat alarmant de la mission d’information parlementaire

Dans leur rapport, remis, mercredi, à la veille d’une journée de mobilisation, deux députées appellent à « changer de modèle ».

LE MONDE  | Par 

La commission parlementaire affirme dans son rapport que « Les Ehpad n’ont plus les moyens de prendre en charge correctement des résidents »
La commission parlementaire affirme dans son rapport que « Les Ehpad n’ont plus les moyens de prendre en charge correctement des résidents » PASCAL LACHENAUD / AFP

La publication ne pouvait pas mieux tomber pour les personnels et directeurs d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). A la veille d’une nouvelle journée d’action, jeudi 15 mars, contre la dégradation des conditions de travail et de prise en charge des résidents du fait du manque de personnels, les députées Monique Iborra (La République en marche, Haute-Garonne) et Caroline Fiat (La France insoumise, Meurte-et-Moselle) ont rendu publiques, mercredi 14 mars, les conclusions de leur mission d’information sur les Ehpad.

Celle-ci avait été lancée dans la foulée d’une « mission flash » effectuée par Mme Iborra, en septembre 2017, à l’issue d’une longue grève à l’Ehpad de Foucherans (Jura). Les élues dressent un constat alarmant de la situation dans ces établissements, et leurs préconisations rejoignent les revendications de ce mouvement de mobilisation inédit.

L’introduction du texte semble être adressée au gouvernement, en particulier à la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, qui a mis longtemps à prendre la mesure du désarroi.
« La profonde crise des Ehpad ne peut laisser indifférent, affirment les députées. Que des milliers de professionnels expriment leur désarroi face à la difficulté de ne plus pouvoir exercer dans des conditions humaines et décentes le métier qu’ils ont choisi (…), que leurs directions les soutiennent (…), que les familles s’interrogent toujours davantage sur ces institutions dans lesquelles leurs membres espèrent ne pas avoir à finir leurs jours (…) doit interpeller l’ensemble des décideurs publics. »
« Nos propositions sont issues de situations vues sur le terrain », affirme Mme Iborra. Le constat y est « unanime », notent les parlementaires. Les Ehpad n’ont plus les moyens de prendre en charge correctement des résidents de plus en plus dépendants, âgés en moyenne de 85 ans à leur entrée en établissement, touchés en moyenne par 7,9 pathologies et atteints dans leur majorité de démences.

Revaloriser le statut des aides-soignants


Cette réalité découle de l’avancée en âge de la population, et de choix politiques : la priorité ayant été donnée au maintien à domicile depuis une dizaine d’années, l’entrée en établissement est aujourd’hui le dernier recours. La diminution du nombre de places disponibles en unité de soins de longue durée, des structures hospitalières accueillant des personnes très dépendantes, a en outre entraîné un report d’une partie de cette population vers les Ehpad.

Résultat : une souffrance au travail importante, dont témoignent des taux élevés d’accidents de travail et d’absentéisme, et une prise en charge dégradée. La mission estime que le temps moyen consacré à chaque résident est inférieur à une heure par jour. En tête de ses propositions figure la création d’un « ratio opposable de personnel par résident ».

Les parlementaires se concentrent sur le personnel « au chevet » des personnes âgées, dont le ratio est aujourd’hui de 24,5 aides-soignants et de 6 infirmiers pour 100 résidents. La mission estime nécessaire de doubler leur nombre pour atteindre 60 soignants pour 100 résidents. Elle s’appuie sur les informations recueillies auprès du personnel, qui estime que le temps moyen consacré à un résident doit être au moins d’une heure et demie par jour.

La proposition rejoint les revendications syndicales, qui réclament 10 professionnels pour 10 résidents toutes catégories confondues (y compris le personnels administratif). Afin de remédier aux difficultés dramatiques de recrutement dans la filière du grand âge, la mission insiste sur la nécessité d’« actualiser les compétences » des aides-soignants et de revaloriser leur statut. Elle souligne également la difficulté, pour les résidents en Ehpad, d’accéder à des médecins. « Environ 60 % des passages aux urgences pourraient être évités si les maladies chroniques étaient correctement prises en charge en Ehpad », estiment les rapporteuses.

« Un financement profondément renouvelé »


Face à ce constat, les parlementaires appellent à un véritable « changement de modèle ». L’Ehpad de demain, affirment-elles, « devra être un établissement ouvert sur l’extérieur », à la fois en recevant un public extérieur (en accueillant par exemple des maisons de santé), mais aussi en exportant ses prestations (soins à domicile, garde de nuit itinérante…).

Elles remettent en question par ailleurs le système d’accueil des malades d’Alzheimer, hébergés dans des unités fermées au sein des Ehpad pour des raisons de sécurité, qui sont « contraires à la liberté d’aller et venir ». Les parlementaires préconisent la création d’établissements entièrement consacrés à la prise en charge de ces malades et de leurs spécificités.

Ce nouveau modèle demande « une gouvernance et un financement profondément renouvelés ». Allant de nouveau dans le sens des syndicats et directeurs d’Ehpad, la mission demande la suspension de la réforme de la tarification des établissements, lancée sous le précédent quinquennat, qui vise à faire harmoniser leurs moyens, mais est très fortement contestée sur le terrain.

Mme Buzyn a reconnu, le 7 mars, devant les sénateurs de la commission des affaires sociales du Sénat, que la réforme faisait « un nombre significatif de perdants », et envisage de « compenser sur un ou deux ans les pertes des Ehpad en difficulté ». Mais la mission recommande de s’atteler à un chantier de plus longue haleine, en rouvrant celui du financement du risque de perte d’autonomie.

« Ce débat ne doit pas rester technocratique, mais doit associer les citoyens, plaide Mme Iborra. Les choix politiques nécessaires demandent l’adhésion de la population. » Les parlementaires estiment essentiel de dépenser un point de produit intérieur brut supplémentaire, soit 20 milliards d’euros. La création d’un « cinquième risque » pris en charge par la Sécurité sociale a été envisagée, mais jamais mis en œuvre sous les précédents gouvernements.

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