vendredi 30 mars 2018

Aux Etats-Unis, des parkings pour les victimes de la crise du logement

A Santa Barbara, une association propose des emplacements sécurisés où les sans-domicile peuvent venir dormir dans leur voiture. L’idée commence à faire école dans tout le pays.

LE MONDE ECONOMIE  | Par 


Marva Ericson, 48 ans, va dormir dans sa voiture sur un parking, à Santa Barbara (Californie), le 20 décembre 2017.
Marva Ericson, 48 ans, va dormir dans sa voiture sur un parking, à Santa Barbara (Californie), le 20 décembre 2017. FRANCINE ORR / LA TIMES / GETTY


Face à l’explosion du nombre de personnes qui vivent dans leur voiture faute de pouvoir payer un loyer, les villes de Californie ont recours à une nouvelle solution : l’aménagement de parkings, à la nuit tombée.

Car de nouveaux homeless sont sans-domicile mais pas sans-abri : il leur reste leur véhicule, qu’ils viennent garer le soir dans des emplacements sécurisés. Beaucoup ont un emploi, mais ils sont condamnés à l’errance par la crise du logement. Depuis les années 1970, la Californie n’a construit que 325 maisons pour 1 000 nouveaux arrivants. Les loyers ont flambé.

20 h 30 un lundi de février à Santa Barbara, cité balnéaire de la « riviera américaine », à 150 km au nord-ouest de Los Angeles. Sunny Ferrari, 64 ans, est installée dans son minivan Ford à l’endroit qui lui a été assigné par l’association caritative New Beginnings, sous les eucalyptus d’un parking d’église. Un bonnet de laine sur la tête, un roman de James Patterson à la main, elle est calfeutrée sur la banquette arrière, transformée en couchette grâce à un futon. Une couette, une lampe de lecture rechargeable par USB, un rebord de vitre qui fait office de table de chevet pour poser la radio et le portable : on oublierait presque que l’extérieur est sombre et désert.

« Homeless motorisés »

La sexagénaire, une ancienne actrice et salariée de casino, a été expulsée il y a deux ans de l’appartement qu’elle occupait à Las Vegas (Nevada). Elle a dû se séparer de la plus grande partie de ses biens, « toutes ces choses qu’on passe sa vie à collectionner ». Et elle est venue se réfugier à Santa Barbara, bien qu’elle n’ait, pas plus qu’à Las Vegas, la moindre chance d’y trouver une chambre à louer. Sa pension mensuelle de 1 020 dollars (823 euros) par mois – soit la moitié du loyer moyen d’un studio – ne le permet pas.

Depuis, elle vit dans son van. Dans la journée, elle va à la bibliothèque municipale, jouer au backgammon sur son ordinateur portable et charger son téléphone. Pour le dîner, elle se contente de beurre de cacahuète et de crackers. « Et une pomme », ajoute-t-elle.

Comme elle, quelque 150 personnes dorment chaque soir dans leur voiture à Santa Barbara, sur l’un des vingt-quatre parkings où New Beginnings a réussi à négocier avec les propriétaires des permis (gratuits) de stationner pour la nuit.
Parmi ces « homeless motorisés », selon la terminologie que l’association voudrait faire entrer dans le vocabulaire de l’autorité fédérale du logement, se trouvent cinq familles avec des enfants mineurs, une infirmière à domicile dont le patient est décédé, un cuisinier de restaurant, une employée des transports… 40 % des bénéficiaires ont un emploi, une proportion chaque année en augmentation ; 30 % ont plus de 50 ans. La liste d’attente ne compte jamais moins de trente noms.

Un minimum de sécurité


Financée à 29 % par le gouvernement fédéral, à 22 % par des fondations philanthropiques et à 15 % par les collectivités locales, New Beginnings a mis le programme Safe Parking en place en 2004, quand Santa Barbara a décidé d’interdire le stationnement des caravanes, qui écornaient par trop son standing.
Aujourd’hui, alors que la plupart des villes américaines interdisent aux automobilistes de dormir dans leur voiture, l’association fait figure de pionnière. Elle vient de publier un guide du Safe Parking (140 pages) pour diffuser l’exemple (et éviter d’être envahie de demandeurs de place). On la ­consulte de Pennsylvanie, du Tennessee, et même... de Mountain View. Cette localité de la Silicon Valley, qui abrite Google, reçoit trois plaintes par jour de riverains excédés par les camping-cars alignés tous les soirs le long de Camino Real, la grande avenue qui mène à San Francisco.

L’association prend en charge l’assurance contre les dégâts éventuels sur les parkings (aucun jusqu’à présent) et l’installation de toilettes mobiles, si l’église hôte ou la municipalité ne le font pas. Elle assure aussi un minimum de sécurité : un gardien fait deux rondes par nuit.

Les candidats doivent présenter un permis de conduire et une assurance pour le véhicule. Ils restent en moyenne de douze à dix-huit mois dans le programme et bénéficient de séances de conseil, et parfois de bons d’essence ou d’aide à l’entretien du véhicule. « Ce n’est pas une solution, c’est une mesure temporaire », souligne Cassie Roach, 24 ans, la diplômée de psychobiologie chargée de Safe Parking. A ceci près que le temporaire a tendance à s’éterniser : l’attente pour un logement social dans l’agglomération est de sept à dix ans.

« Eviter la stigmatisation »


Le maître mot est la discrétion. La localisation des vingt-quatre parkings (six de plus en un an) n’est pas divulguée ; il y a au plus quinze places pour sans-abri dans une même unité. « Une composante essentielle du programme est de rester sous le radar. Il faut que cela ressemble à un parking ordinaire », ajoute Cassie Roach.

Les « clients », selon le terme employé par l’association, ne sont pas encouragés à socialiser. Pas de barbecue, même pas une chaise de camping. Et ils sont tenus de quitter les lieux avant 7 heures du matin. Les riverains doivent pouvoir jouir sans crainte de leurs coquettes villas aux jardins plantés d’orangers. Il s’agit aussi de protéger les usagers, explique l’assistante sociale. « Eviter la stigmatisation » qui s’attache au fait d’être sans-abri.

Parmi ces nomades de la crise du logement, Joseph, 63 ans. Casquette de marin sur la tête, sandales aux pieds, il préfère ne pas voir son nom publié. L’été, il travaille douze heures par jour, comme homme d’entretien ou jardinier , mais il n’a ni retraite ni assurance-santé.

Il parle, comme si c’était hier, du temps où il avait un logement pour 50 dollars par mois. C’était au milieu des années 1970. Il touchait 2,80 dollars l’heure, comme employé des parcs régionaux. Cela lui paraissait « être une vie ». Le loyer est monté, toujours et encore. A 375 dollars mensuels, il a dû donner congé. En trente ans, les loyers ont décuplé, alors que le salaire minimum n’a même pas été multiplié par cinq. « Ça devrait être interdit par la loi d’augmenter les loyers comme ça. » C’est aussi l’avis de la directrice de Safe Parking : « Le problème de fond, c’est l’absence de contrôle des loyers. Personne ne demande des comptes aux propriétaires immobiliers. »

Huit ans à dormir dans un pick-up


Joseph est l’un des doyens du programme de New Beginnings (mais pas le plus âgé, qui est actuellement un homme de 86 ans). Cela fait huit ans qu’il dort dans son pick-up General Motors aménagé. Il a fait ses calculs. Même avec ses 1 000 dollars, parfois 2 000 dollars mensuels, il n’a pas assez pour un logement au prix du marché.

Il s’en sort mieux dans son véhicule, même s’il doit payer l’assurance du camping-car (300 dollars tous les deux mois), l’essence (600 dollars) et le garde-meubles (75 dollars) pour les quelques affaires qu’il a conservées, sachant que tout ce qui n’a pas été utilisé pendant quelques mois est déclaré superflu et voué à être revendu, troqué ou abandonné. Le matin, il prend sa douche au parc régional de Carpinteria. Tarif : 50 cents pour deux minutes, « il ne faut pas traîner ».

Joseph estime qu’il a un « bon boulot ». Et cet hiver, il est « super-occupé ». Les incendies de forêt en décembre 2017 et les dramatiques éboulements de janvier à Montecito, à 10 km, qui ont détruit des centaines de propriétés, dont de luxueuses villas, ont laissé des tonnes de débris à nettoyer. Tous les jours, il va déblayer les détritus là-bas pour 15,25 dollars de l’heure (soit 5 dollars de plus que le salaire minimum). L’un de ses patrons, « un type vraiment sympa », possède quatre maisons, dont l’une de trois étages « avec quinze chambres ». L’ouvrier lui a demandé pourquoi. « Parce que c’est là-dedans qu’on investit l’argent », a répondu le propriétaire.

Mais Joseph ne se « plaint pas ». Il ne campe pas dans la rue. Il se demande juste comment l’Amérique de sa jeunesse « en est arrivée là ». A être devenue une société qui n’a plus de place pour lui, sinon un emplacement de parking, à libérer avant 7 heures du matin.

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