dimanche 18 février 2018

Sécheresse, surexploitation : le monde a soif

Quatre personnes sur dix souffrent de la raréfaction de l’eau. Les villes sous pression de l’explosion démographique sont à leur tour touchées et menacées de rupture d’approvisionnement.

LE MONDE  | Par 

Au Cap, en Afrique du Sud, les habitants viennent se ravitailler en eau, le 2 février.
Au Cap, en Afrique du Sud, les habitants viennent se ravitailler en eau, le 2 février. BRAM JANSSEN / AP

Alerte à la sécheresse ! Mardi 13 février, les autorités sud-africaines ont proclamé l’état de catastrophe naturelle dans tout le pays. Les 4,5 millions d’habitants du Cap sont menacés de se voir couper les robinets. Au Mozambique voisin, alors que les réserves sont au plus bas, un quart de l’agglomération de Maputo (4 millions d’habitants) est privée d’eau potable, car le gouvernement a décidé d’alimenter en priorité l’agriculture et la production d’électricité. La situation en Afrique australe est révélatrice d’une crise mondiale de l’eau. Elle touche désormais les centres urbains et non plus seulement les campagnes. En 2015 déjà, Sao Paulo, la ville la plus peuplée du Brésil, avait failli connaître elle aussi les affres du « jour zéro ». Puis en 2016, ce fut le tour de Freetown en Sierra Leone, de La Paz en Bolivie, de Ouagadougou au Burkina Faso.

Quatre personnes sur dix souffrent de pénurie dans le monde, selon l’Organisation des Nations unies, qui prévoit une probable dégradation à l’avenir sous l’effet du changement climatique. Le réchauffement va accentuer l’aridité des régions du monde qui en souffrent déjà, contribuer au desséchement des sols, accélérant l’évaporation des végétaux et rendant plus difficile l’absorption des pluies diluviennes qui filent alors trop vite vers l’océan. Les sécheresses à répétition vont aggraver les problèmes que connaissent déjà les centres urbains sous la pression d’une explosion démographique généralisée. Plus de la moitié (54 %) de la population mondiale vit en ville aujourd’hui et les prévisions d’augmentation oscillent entre 60 % et 92 % d’ici à la fin du siècle. Les installations d’alimentation et d’assainissement ne parviennent pas à suivre un tel rythme.

« Réfléchir autrement »

« Ce ne sont pas les mégapoles mais les villes de taille moyenne qui vont avoir le plus de difficultés, car elles manquent non seulement de capacités techniques, mais aussi d’experts à l’esprit grand ouvert pour réfléchir autrement aux défis posés par une augmentation rapide de leur population de 2 % ou 3 % », estime Richard Connor, qui coordonne les rapports de référence réalisés par le Programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau (ONU-Eau). Le thème de cette année porte sur les solutions davantage inspirées de la nature que de la technologie pour faire face aux pénuries.

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Car les hommes épuisent les nappes souterraines dont ils dépendent sans leur laisser le temps de se recharger ; détournent des fleuves en fonction de leurs besoins sans se soucier des conséquences chez leurs voisins ; drainent les zones humides et rejettent les eaux usées dans l’environnement à 80 % sans traitement sur toute la planète. Résultat : les inquiétudes portent désormais sur les sources mêmes d’approvisionnement, et les tensions paraissent inévitables.
D’autant que plus de citadins à nourrir signifie, dans les campagnes, des besoins accrus en eau pour l’agriculture – alors que ce secteur représente déjà 70 % des prélèvements mondiaux. Les surfaces irriguées ont plus que doublé et le cheptel d’animaux domestiques a triplé en cinquante ans, selon l’ONU-Eau. « L’émergence de classes moyennes en Inde, en Chine, qui mangent plus de viande, achètent des machines à laver… accélère la demande globale », résume Richard Connor. Et de souligner :
« Le problème de l’eau reste directement proportionnel à celui de la pauvreté. Au Canada, par exemple, qui est un pays riche, des populations amérindiennes n’ont pas accès à un service d’eau adéquat… »
La Banque mondiale vient d’annoncer qu’elle allait financer à hauteur de 210 millions de dollars (170 millions d’euros) un important projet pour améliorer la desserte en eau potable et l’assainissement de Bagdad. Après des années de guerre, la capitale de l’Irak, dont la population a augmenté de 45 % en trois ans, souffre de fuites dans les canalisations, de coupures en été et d’épidémie de maladies d’origine hydrique, responsables de dysenteries.

Les pays développés sont eux aussi confrontés à des difficultés d’approvisionnement. Aux Etats-Unis, les hydrologues du bassin du Colorado prévoient que le lac Powell, l’un des principaux réservoirs du sud-ouest du pays, risque de ne même pas atteindre la moitié de son niveau habituel (47 %) au printemps, compte tenu des faibles tombées de neige de l’hiver. Or ce fleuve alimente 40 millions de personnes et de nombreuses fermes dans sept Etats américains et jusqu’au Mexique.

Sur les 482 principales agglomérations du monde abritant 736 millions d’habitants, près d’une sur quatre devrait connaître de sérieux problèmes.







En Californie, qui connaît déjà des mesures fréquentes de réduction d’eau, Los Angeles figure en tête des métropoles les plus menacées à l’avenir par les pénuries, indique une étude publiée dans Nature Sustainability en janvier. Celle-ci note que la consommation d’eau domestique a presque quadruplé au cours des soixante dernières années – davantage encore dans les villes, dont la demande pourrait encore augmenter de 80 % d’ici à 2050. A l’aune du changement climatique, la compétition s’annonce rude pour l’eau potable.

Les auteurs de cette étude – des chercheurs de l’université de Cassel, en Allemagne – ont travaillé pendant deux ans, croisant des prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et des recueils de données socio-économiques, en particulier les tendances démographiques. Ils ont systématiquement développé trois scénarios : soit les prélèvements en eau servent en priorité les citadins, soit l’agriculture et l’industrie, soit, enfin, ils protègent aussi les besoins des écosystèmes naturels, maintenant notamment le débit des fleuves. Des éléments qui changent considérablement la donne.

« Un fort potentiel de conflit »


Quoi qu’il en soit, selon cette publication, sur les 482 principales agglomérations du monde abritant 736 millions d’habitants, près d’une sur quatre (27 %, soit 233 millions de personnes) devrait connaître de sérieux problèmes puisque, en 2050, ses besoins en eau seront supérieurs aux volumes disponibles en surface. Et près d’une sur cinq (19 %) de celles qui sont alimentées grâce à des transferts massifs depuis d’autres bassins versants présente « un fort potentiel de conflit entre secteurs urbain et agricole », notent les experts, en particulier dans le sud de l’Afrique, en Amérique latine, en Asie du Sud.

Pourquoi Le Cap ne figure-t-elle pas dans leur liste des 100 villes les plus vulnérables au stress hydrique ? « Parce qu’elle est victime d’une situation de sécheresse conjoncturelle, nos modèles prennent en compte des tendances de long terme, explique Martina Flörke, du Centre de recherche sur les systèmes environnementaux de l’université de Cassel, qui a dirigé l’étude avec son collègue Christof Schneider et Robert I. McDonald de l’ONG américaine The Nature Conservancy. Dans l’ensemble, les risques s’aggravent pour les villes qui manquent déjà d’eau. Et notre recherche devrait alerter les dirigeants : leurs choix stratégiques pour approvisionner les centres-villes affectent aussi les populations de zones rurales déjà soumises à des pénuries, prévient-elle. Il est temps en outre que dans des régions comme l’Amérique du Nord, les gens réalisent qu’ils utilisent beaucoup trop d’eau. »

Les difficultés des urbains ne doivent pas occulter la réalité du moment. Selon l’ONU, qui a revu ses statistiques en 2017, 2,1 milliards de personnes sur la planète n’ont pas accès à une eau gérée en toute sécurité – 263 millions se trouvent même à plus d’une demi-heure du premier point d’eau – et 892 millions défèquent en plein air. La plupart vivent en zone rurale.

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