mardi 27 février 2018

Les hôpitaux publics craignent l’asphyxie après l’annonce de la baisse des tarifs

Après l’annonce, lundi, d’une baisse de 1,2 % des tarifs en 2018, les établissements de santé vont devoir chercher de nouvelles sources d’économies.

LE MONDE  | Par 

A l’hôpital Ambroise-Paré de Marseille, en mars 2008.
A l’hôpital Ambroise-Paré de Marseille, en mars 2008. JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

La pression va encore monter d’un cran dans un secteur hospitalier déjà chauffé à blanc. Quelques jours après avoir promis une « réforme globale » du système de santé, et notamment du financement des hôpitaux publics, le gouvernement a annoncé, lundi 26 février, une baisse de 1,2 % de leurs tarifs en 2018 (un peu plus de la moitié, 0,7 %, sera restitué si l’objectif national de dépenses d’Assurance-maladie est tenu en fin d’année). Un coup de rabot budgétaire certes plus modéré qu’en 2017 (– 1,6 %), mais qui va de nouveau contraindre les établissements de santé à chercher de nouvelles sources d’économies et à réaliser encore plus d’actes, pour tenter de maintenir leur équilibre budgétaire.

Un comble, alors que la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a confié, le 14 février sur France Inter, être « choquée » lorsqu’elle entendait qu’« un hôpital cherche des parts de marché par rapport à une clinique privée ». La veille, lors d’un déplacement avec le premier ministre à Eaubonne (Val-d’Oise), elle avait annoncé vouloir « corriger » et « rééquilibrer » la tarification à l’activité (T2A), mise en place en 2004 et aujourd’hui accusée d’être à l’origine de plusieurs dérives au sein du système de santé, dont la « course à l’activité ». Autrement dit devoir accueillir toujours plus de patients (mais avec des durées de séjour calculées au plus court), afin de pouvoir présenter une facture plus élevée à l’Assurance-maladie.

Plusieurs acteurs du monde hospitalier font aujourd’hui crédit à la ministre de sa volonté de faire évoluer le logiciel pour en finir avec « l’hôpital entreprise », en prenant davantage en compte l’efficience et la qualité des soins, par le biais notamment des financements « au parcours ». Mais ils se demandent comment tenir en attendant une réforme qui n’interviendra pas avant au moins 2020.

Après plusieurs années de restrictions budgétaires, dont celles très fortes demandées par Marisol Touraine afin de tenter de rétablir les comptes de la « Sécu », les hôpitaux sont aujourd’hui « à l’os », font valoir ses représentants.
« Avec cette nouvelle baisse de tarifs, on continue de resserrer le garrot. A un moment, on va aller à l’asphyxie », prévient Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), le « lobby » des hôpitaux publics.
En 2017, ceux-ci devraient afficher un déficit record de près d’un milliard d’euros, en raison d’une activité atone, à + 0,5 %, selon ses prévisions.

« C’est l’emploi qui va trinquer »


La question du maintien de l’emploi – longtemps tabou, tant la croissance de l’activité impliquait des soignants supplémentaires – est plus que jamais posée. Dans un communiqué publié le 15 février pour tenter de faire fléchir le gouvernement, la FHF estimait qu’une aggravation du déficit des établissements publics de santé de la même ampleur qu’en 2017 signifierait, « en théorie, que pour revenir à l’équilibre à la fin de 2018, les hôpitaux devraient supprimer 33 000 emplois ». Ces emplois, soignants ou non, ce sont des départs à la retraite non remplacés, des CDD ou des intérimaires qui ne sont pas rappelés…

Une équation loin d’être théorique dans la mesure où l’emploi représente près de 70 % des coûts d’un établissement. Selon les syndicats de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, le « navire amiral » de l’hôpital en France devrait présenter pour 2017 un déficit de près de 200 millions d’euros. Pour la CGT, cela pourrait se traduire par 23 millions d’euros d’économies en 2018, « soit l’équivalent de 600 emplois temps plein ».

« Les hôpitaux ont déjà serré les vis partout où ils le pouvaient. Maintenant ils n’ont plus le choix, c’est l’emploi qui va trinquer », pronostique Frédéric Pierru, chercheur en sciences sociales et politiques, et ancien conseiller santé de Jean-Luc Mélenchon. Cette baisse des tarifs est « un jeu de massacre pour nos établissements, estime Antoine Perrin, le directeur général de la Fehap, la structure représentant les 4 500 établissements privés non lucratifs, soumis à une baisse encore plus forte que le public. On se demande à quoi joue le gouvernement. Nous nous sommes restructurés, nous avons fait toutes les optimisations que nous pouvions, maintenant c’est l’emploi, voire la survie des établissements qui est en jeu. »

« Le point de rupture » est proche


Médecins, directeurs, soignants… Le mécontentement « monte de tous les côtés », constate Michel Claudon, à la tête de la conférence des présidents des commissions médicales d’établissement des CHU, les « parlements » des médecins. Dénonçant une « course inutile à l’activité », il estime que ce nouveau coup de rabot va empêcher les investissements et « décourager les acteurs qui ont beaucoup donné ».

Un diagnostic partagé par Nathalie Depoire, la représentante de la coordination nationale infirmière. « Il y a un gros ras-le-bol des personnels soignants, dit-elle. Qu’on nous donne les moyens de travailler correctement le temps que la réforme se mette en place… »

Alors qu’une nouvelle journée de mobilisation est déjà prévue dans les Ehpad le 15 mars, « les hôpitaux et les cliniques grondent en silence », ont prévenu les présidents des quatre fédérations hospitalières dans une tribune parue le 25 février dans Le Journal du dimanche, jugeant que le « point de rupture » était proche. « Le risque social est énorme, résume Joëlle Bouet, du cabinet de conseil en santé OpusLine. On demande aux personnels de faire plus d’efforts, sans aucune perspective de pouvoir les récompenser pour ça avec des réponses à leurs revendications financières. »

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