vendredi 23 février 2018

Le pic épeiche, son joli tambour et... ses commotions cérébrales

L’impact du bec de l’oiseau contre les arbres ébranle son cerveau et signe sa présence. De quoi passionner les scientifiques.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 
Un pic épeiche.
Un pic épeiche. MICHAL BUDKA

Zoologie. Les amoureux de la forêt ignorent souvent le son de sa voix, mais pas celui de son bec. Depuis des siècles, les tambourinages du pic épeiche, audibles à près d’un kilomètre à la ronde, fascinent les humains et plus particulièrement les scientifiques. Comment un si petit oiseau peut-il frapper si fort et dans quel objectif ? Comment résiste-t-il à la violence de ses propres coups ? S’agit-il de coups désordonnés ou d’un rythme méthodique ? Deux articles scientifiques viennent éclairer ces mystères et ébranler certaines certitudes.

Depuis de nombreuses années, en effet, la puissance de frappe du pic a offert aux humains un cas modèle de biomimétisme, cette méthode qui s’inspire de la nature pour produire de l’innovation. Imaginez-vous entrer tête la première à 35 km/h dans un arbre, et cela des milliers de fois par jour… Formulé en termes scientifiques, on parle de chocs de 1 200 à 1 400 g (symbole d’accélération, et non pas du gramme), là où un homme subit une grave commotion cérébrale avec dix fois moins. L’oiseau ne semble pas s’en porter plus mal puisqu’il exerce son punch depuis environ 25 millions d’années. Eureka, ont conclu les fabricants de casques de football américain : ils ont copié la forme du crâne de l’oiseau pour dessiner les casques de protection.


Pas sûr cependant qu’ils aient eu raison – comme en témoigne, du reste, l’épidémie de séquelles neurologiques chez les anciens pros du foot US. Dans la revue PLoS One, une équipe américaine pense avoir compris pourquoi. « Personne n’avait eu l’idée d’analyser les tissus neurologiques d’un pic », explique Peter Cummings, neuropathologiste à l’université de Boston. Avec deux collègues, il a entrepris de disséquer des spécimens conservés au musée de Harvard et au Field Museum de Chicago afin d’y rechercher des protéines tau sur les axones, ces prolongements fibreux des neurones qui conduisent l’influx. Chez les humains, l’accumulation de tau signe un certain nombre de pathologies neurologiques. Elles ont été notamment retrouvées dans 110 des 111 autopsies pratiquées chez des footballeurs.

Seulement voilà : on les a aussi relevées dans les cerveaux de huit des dix pics épeiches étudiés. Mais dans aucune cervelle des merles servant de contrôle. Faut-il remettre en question l’effet toxique des tau chez les humains ? Ou mieux comprendre leur fonctionnement chez l’oiseau ? Car même si le football prend une place considérable chez certains Américains, le coup de boule dans le mur n’y tient pas encore lieu de seconde nature.

Tambouriner c’est vivre


Chez le pic épeiche, tambouriner c’est vivre. D’autres roucoulent. Lui roule. Lui et elle, en vérité. « Ils marquent leur territoire, attirent les partenaires, éloignent les rivaux en tambourinant », explique l’ornithologue polonais Michal Budka. Certains ont voulu y voir un second langage. Le scientifique polonais est dubitatif. « Ils chantent aussi », rappelle-t-il. Ce qui ne retire rien à l’importance du tambourinage.

Dans un article publié dans PLoS, avec ses collègues de l’Université Adam-Mickiewicz, de Poznan, Michal Budka met à mal une légende : le tambourinage ne permet pas de distinguer à coup sûr mâles et femelles. Après avoir analysé de nombreuses séquences sonores, il conclut : « Les mâles vont en moyenne plus vite, les plus lents sont des femelles, mais il y a toute une zone commune aux deux sexes. »

Plus précieux, le roulement semble constituer une signature. « Chaque individu présente une régularité impressionnante », souligne le chercheur. Le rythme des séquences (nombre de coups par seconde) et la durée de celles-ci permettraient donc aux pics épeiches de se reconnaître entre eux. Pour l’équipe polonaise, le signal servirait notamment d’information pour la sélection sexuelle. Chacun des tourtereaux, pardon des pics, choisirait un partenaire en fonction de ses muscles du dos et du cou – les plus forts, donc. Ou de sa résistance aux protéines tau, peut-être les plus malins.

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