jeudi 8 février 2018

La crise actuelle des prisons exacerbe les difficultés d'exercice des soignants et d'accès aux soins


Alors que les prisons sont actuellement en forte tension, le CGLPL et l'association des professionnels de psychiatrie en milieu pénitentiaire rappellent l'obligation d'assurer l'accès et la continuité des soins aux détenus. Des soignants ont été entravés dans leur exercice ou victimes de violences, signalent l'ASPMP et l'observatoire des prisons.

L'accès aux soins somatiques et psychiatriques est difficile pour les détenus. La problématique est connue de longue date mais la situation actuelle dans les prisons exacerbe ces difficultés, alertent le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), l'Observatoire international des prisons (OIP) et l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). Le CGLPL et l'association viennent ainsi rappeler qu'assurer l'accès et la continuité des soins en détention est une obligation légale. Cette dernière ainsi que la section française de l'OIP signalent des personnels soignants empêchés ou mis en danger dans l'exercice de leurs missions.
 Soignants hués ou insultés par des surveillants


Les prisons traversent une crise profonde, l'une des plus importantes depuis vingt-cinq ans aux dires des observateurs. Elle s'illustre par un mouvement social des surveillants lancé le 15 janvier après l'agression de plusieurs professionnels par un détenu dans le Pas-de-Calais, et s'est depuis amplifiée à la suite d'autres d'agressions et de négociations infructueuses avec le Gouvernement. Ce mouvement des surveillants "a affecté, parfois gravement, la continuité des soins psychiatriques pendant les deux dernières semaines de janvier", a signalé l'ASPMP via un communiqué le 2 février. 


L'équipe psychiatrique du SMPR de Rennes vient enfin de pouvoir sortir de la prison. Des heures éprouvantes pour assurer la continuité des soins.


"Si l’on peut entendre le mécontentement grave des personnels pénitentiaires étant donné le contexte des prisons, notamment du fait de la surpopulation et de ses conséquences, il convient de réfléchir à ne pas entraver la continuité des soins pendant les mouvements de protestation", souligne l'association. Elle annonce que "de nombreuses équipes de psychiatrie n’ont pu entrer dans les prisons ou en nombre limité, et quand elles ont pu accéder à l’unité de soins, la mise à disposition des personnes détenues a été nulle ou très limitée". Dans certains endroits, précise-t-elle, les personnels soignants ont fait "l’objet de huées ou d’insultes par les personnels bloquant les portes avec qui ils travaillent pourtant régulièrement, péjorant ainsi la reprise de relations saines une fois le mouvement arrêté". Enfin, certains personnels soignants ont vu leur sécurité "mise en danger dans certains établissements pénitentiaires du fait du contexte tendu intra carcéral".

Des extractions hospitalières bloquées


Dès le 23 janvier, l'OIP a informé des effets de la grève des surveillants sur les conditions de détention, dont des rendez-vous médicaux et des extractions vers les hôpitaux bloqués, des traitements non distribués. "À Nantes, au Havre, à Riom, des soignants ont tiré la sonnette d’alarme", a indiqué l'observatoire. "Toutes les activités, rendez-vous ou soins ont été annulés car aucun personnel n’a pu rentrer, y compris dans les bâtiments administratifs. À 11 h, deux infirmières ont fini par être autorisées à accéder aux zones de détention pour distribuer les médicaments [...], les malades psychiques et toxicomanes doivent sacrément souffrir", a témoigné un intervenant cité par l'OIP.





Surpopulation à la de Meaux-Chauconin : risque sanitaire et indignité.
Un collectif de soignants lance l'alerte.




Ces constats montrent l’importance de la violence que génèrent les prisons, d’autant plus que leur situation est globalement critique, souligne l’ASPMP. Elle en appelle donc aux pouvoirs publics pour que soient "dorénavant envisagés des fonctionnements minimums et en toute sécurité des services de soins pendant les situations de conflits et avant qu’elles ne se reproduisent". Il faut"impérativement éviter des risques sanitaires" pour les détenus par défaut de traitements et "prévenir tout autre dysfonctionnement à l’origine de violences préjudiciables aussi bien pour tous les professionnels" que pour les détenus.



Dans un rapport* présenté ce 7 février sur "les droits fondamentaux à l'épreuve de la surpopulation carcérale", le CGLPL, Adeline Hazan, revient sur ces problématiques. Si la loi prévoit que les détenus ont le droit de bénéficier d’un accès aux soins de santé équivalent à celui proposé au reste de la population, rappelle-t-elle, la réalité en demeure éloignée a fortiori avec la surpopulation. "Cette surpopulation affecte gravement l'accès et la qualité des soins somatiques et psychiatriques dispensés", insiste-t-elle.

Cadences stressantes pour le personnel médical


Son rapport revient sur l'augmentation des besoins de soins à effectif constant du personnel, ainsi que sur les conditions matérielles inadaptées et les locaux insuffisants pour les unités sanitaires mais aussi sur "la détérioration" des soins et les atteintes au respect du secret médical. "La cadence à laquelle doivent être menées les consultations, en situation de surpopulation, génère un stress supplémentaire pour le personnel médical qui redoute "de passer à côté de quelque chose lors de la consultation"", développe le rapport. L’administration des traitements représente une charge de travail importante et, en raison de la surpopulation, les traitements sont parfois donnés "au pas de course" par les infirmiers.



Et de multiplier les exemples des conditions de travail difficiles, comme celui de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), où deux infirmiers, rattachés au service de psychiatrie, partageaient le même bureau ne pouvant mener deux entretiens simultanément, "ce qui réduisait considérablement le nombre possible de consultations". Ou encore à la maison d’arrêt de Nîmes (Gard), où l'exiguïté de l'unité ne permet pas aux médecins, psychiatres et spécialistes extérieurs de travailler de manière concomitante, entraînant un rallongement des délais de prise en charge.



Le CGLPL consacre donc l'une de ses dix recommandations à ce sujet. Elle préconise qu'à défaut "de pourvoir les postes prévus dans les organigrammes du personnel au sein des établissements, l’administration pénitentiaire doit définir des critères pour les suppressions de poste et en interdire certaines, notamment celles ayant pour conséquence de réduire l’accès aux parloirs, aux soins médicaux et à l’ensemble des activités".



Caroline Cordier
* Ce rapport ne sera disponible en intégralité sur le site internet du CGLPL qu’à partir du 21 mars prochain. Il est disponible en librairie à partir du 7 février aux éditions Dalloz.

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