lundi 19 février 2018

Il faut un plan « imagerie cérébrale » pour la psychiatrie

L’IRM pourrait aider à affiner le diagnostic de certains troubles mentaux, avancent deux psychiatres et un radiologue dans une tribune au « Monde ». Selon eux, il n’y a aucune raison de s’en priver.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

Tribune. La santé mentale est au cœur de tous les débats actuels : de l’amélioration de l’accès aux soins ­psychiatriques, en passant par la lutte contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques, ­jusqu’à la réduction de la souffrance au travail et la prévention du suicide. Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, a récemment ­annoncé vouloir faire de la psychiatrie une priorité nationale, et nous ne pouvons que nous en féliciter.


L’épidémiologie démontre toute l’importance de ces pathologies, qui ­figurent au premier rang de la charge mondiale de morbidité chez les 10-18 ans. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) prédit même qu’à l’horizon 2020 une personne sur quatre souffrira d’un trouble psychiatrique. Si de tels chiffres étaient annoncés pour le cancer, aurions-nous attendu aussi longtemps pour tenter d’apporter une réponse à ce problème ?

La psychiatrie est une discipline passionnante, plurielle et profondément humaine. L’ancrage exclusivement clinique de la description des maladies psychiatriques se traduit cependant par une certaine « porosité » entre entités diagnostiques : les troubles bipolaires partagent par exemple une vulnérabilité génétique et plusieurs symptômes avec les troubles schizophréniques.

« Dans 5 % à 25 % des cas, on estime que l’origine d’un premier épisode psychotique pourrait être systémique ou neurologique »







Ce phénomène est-il propre à la ­psychiatrie ? Probablement pas, mais d’autres spécialités ont su compléter ce savoir clinique d’une « paraclinique », c’est-à-dire d’examens complémentaires, à même de guider le médecin dans sa stratégie diagnostique et thérapeutique. La clinique de l’infarctus a ainsi pu bénéficier des progrès formidables du coroscanner. Même si cette approche est communément acceptée en médecine, il semble que la psychiatrie peine à entamer cette révolution.

Le prix à payer de la singularité psychiatrique serait-il de se contenter de la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire des manifestations comportementales des troubles ? Alors même que les ­débats sur le dualisme cartésien semblent derrière nous, l’ancrage cérébral des manifestations psychiatriques a longtemps posé problème à la discipline, probablement aussi du fait d’un mouvement historique d’individualisation d’avec la neurologie.

Il est d’ailleurs souvent avancé qu’une telle paraclinique psychiatrique n’existerait pas, mais est-ce réellement le cas ? Malgré d’indéniables progrès, aucun examen paraclinique ne permet aujourd’hui de réaliser un diagnostic positif en psychiatrie, donc de confirmer le diagnostic d’une maladie.

A l’inverse, plusieurs examens sont utiles dans une démarche de diagnostic ­différentiel, afin d’écarter d’autres étiologies potentiellement graves et curables(tumeurs cérébrales, encéphalites auto-immunes, etc.). S’y ajoute le développement croissant des thérapies guidées par imagerie cérébrale, s’appuyant notamment sur les progrès de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) dans l’étude des phénomènes subjectifs, comme l’imagerie de capture des hallucinations.

Examen en routine dans certains pays


Illustrons l’importance d’un accès précoce à l’imagerie cérébrale à travers l’exemple du premier épisode psychotique. Ce diagnostic repose sur la ­conjonction subtile de signes cliniques incluant un délire intense et polymorphe, une désorganisation psychique et une fréquente labilité de l’humeur. Dans 5 % à 25 % des cas, on estime que l’origine pourrait être systémique ou neurologique. Bien qu’une imagerie cérébrale soit recommandée en routine dans ce contexte dans certains pays (Danemark, Allemagne…), cet examen n’est proposé en France qu’en cas d’atypicité clinique.

S’agit-il purement d’un problème médico-économique ? Il semble que non, puisque la détection de plus de 1 % d’anomalies sérieuses rendrait cet examen rentable, alors même que 12 % des sujets scannés lors d’un épisode psychotique présentent des anomalies significatives (malformations vasculaires, atrophies, tumeurs, etc.) et que la faisabilité de cet examen dans cette ­indication a été récemment démontrée. Sachant que l’IRM a une meilleure résolution que le scanner et qu’elle n’expose pas le patient à des radiations ionisantes, c’est bien un problème ­d’accès aux plateaux techniques IRM qui semble ici être en cause.

Une initiative de la Fédération régionale de recherche en santé mentale des Hauts-de-France a récemment permis l’accès à un examen IRM de qualité et harmonisé au niveau régional pour tout patient présentant un premier épisode psychotique (projet Psymac). En favorisant le maillage territorial ­radiologue-psychiatre tout en respectant la cartographie des secteurs de psychiatrie de l’adulte et de l’enfant, ce projet a recueilli un vif soutien de la profession et des usagers. Il permet aujourd’hui d’amorcer une nouvelle réflexion pluridisciplinaire sur l’utilisation de l’IRM dans le diagnostic différentiel bien sûr, mais aussi, nous ­l’espérons, dans le diagnostic positifdes troubles psychiatriques.

Ce n’est pas renoncer à la clinique que de chercher à proposer aux ­patients souffrant de troubles psychiatriques une évaluation et une prise en charge structurée et fondée sur les preuves. C’est le devoir de tout médecin. L’essor fulgurant des méthodes d’imagerie cérébrale ces dernières ­années laisse entrevoir la naissance d’une nouvelle paraclinique en psychiatrie, dont il convient désormais de définir la place avec compétence, éthique et pragmatisme.

Renaud Jardri, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Lille, coordinateur du projet Psymac ; Pierre Thomas, professeur de psychiatrie à Lille, président d’honneur du Collège national des universitaires de psychiatrie ; Jean-Pierre Pruvo, professeur de radiologie et chef du service de neuroradiologie au CHU de Lille.

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