mercredi 14 février 2018

Alain-Michel Ceretti, un patron pour les malades

Président de France Assos Santé, un regroupement d’associations de patients, cet ancien chef d’entreprise milite pour que ceux-ci soient au cœur du système de soin.

LE MONDE |  | Par 

Alain-Michel Ceretti, le 24 novembre 2017.
Alain-Michel Ceretti, le 24 novembre 2017. MARCO CASTRO POUR LE MONDE

Problèmes de financement, fatigue du système de santé… les associations de patients ne sont pas très en forme. Elu en mai 2017 président de France Assos Santé, qui vise à représenter les malades, Alain-Michel Ceretti veut faire entendre la voix des ­patients. Longtemps chef d’entreprise, rien ne le prédestinait à la santé, c’est un tournant dans sa vie personnelle, en 1997, qui l’a ­conduit sur cette voie : son épouse est touchée par une des infections nosocomiales survenues à la Clinique du sport, à Paris.

« Depuis vingt ans, je m’implique, je m’investis, je m’engage, sur les sujets de santé, et ma capacité d’indignation est toujours intacte », c’est ainsi que démarrait sa profession de foi pour ce poste en mai 2017. C’est la loi de santé de 2016 qui a créé l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé, ­ex-Collectif interassociatif pour la santé (CISS), rebaptisé France Assos Santé. Ce mouvement regroupe pas moins de 80 associations membres, 130 agréées. « Nous sommes clairement un contre-pouvoir »,explique Alain-Michel Ceretti. Mais, malgré ses 3,5 millions d’adhérents, ce mouvement doit gagner en notoriété. « Nous sommes un paradoxe, comme une équipe de foot avec des stars connues (Ligue contre le cancer, AFM-Téléthon, Aides, UFC-Que choisir, etc.), mais le collectif n’est guère connu », déplore Alain-Michel Ceretti. « En matière de santé, rien ne pourra se faire sans nous », tel est le slogan de France Assos Santé, reprenant ce que Bernard Kouchner scandait en 2002.

« Les Français considèrent à raison le système de santé comme un trésor national, il faut tout faire pour ne pas le perdre, pour le sauvegarder », assure-t-il, guère optimiste sur son ­avenir. Le ras-le-bol des soignants ne serait que la partie émergée de l’iceberg, c’est tout l’hôpital qui se dégrade. Il s’indigne de la façon dont ce système est organisé, calqué sur le paiement à l’activité. « On assiste à une perte de sens, c’est la valeur du soin qui est en cause. On s’intéresse à l’organe malade sans forcément prendre en compte le malade et le fait de savoir s’il va pouvoir mener une vie normale », dénonce-t-il. Cette notion de « retour à la vie » est pour lui fondamentale.

Subventions rabotées


Car, si les pouvoirs publics martèlent la nécessaire démocratie en santé, si après la loi Kouchner de mars 2002, fondatrice, il y a eu d’autres avancées législatives qui confèrent à chaque fois des droits supplémentaires aux patients, les moyens ne suivent pas toujours. Les subventions à France Assos Santé ont ainsi été ­rabotées de 2 millions d’euros par rapport à l’année précédente.Elles proviennent du Fonds national de la démocratie sanitaire – abondé en partie par des taxes sur le tabac – mais, ­« contrairement à ce qui a été promis, ce budget doit être défendu chaque année ». L’autre défi vise à former les quelque 15 000 bénévoles représentant les usagers qui siègent dans les différentes instances, dont celles de l’Assurance-maladie. Il faut aussi multiplier les points de rencontre dans les lieux de soins, aujourd’hui en tension. « Je refuse les représentants d’usagers alibis »,dénonce Alain-Michel Ceretti.

La vie d’Alain-Michel Ceretti a basculé en 1991. Après la naissance de leur deuxième enfant, son épouse, Béatrice Ceretti, alors âgée de 29 ans, souffre terriblement du dos. Elle est opérée à la Clinique du sport. Sa santé se ­dégrade et, après six années de souffrance et d’errance médicale, ils découvrent qu’elle a été contaminée par une bactérie, le Myobacterium xenopi, dont elle gardera à vie des séquelles. Au total soixante personnes seront infectées. A l’époque, Alain-Michel Ceretti, dirigeant d’une entreprise de robotique, fait les allers-retours entre ses bureaux parisiens et la Sologne, où ils s’étaient installés. De son parcours personnel il a fait un combat collectif.

En 1997, le couple crée avec d’autres victimes l’Association des victimes du xenopi. « Nous ne supportions pas cette injustice. Un soir, au coin du feu, je lui ai demandé de changer le monde, il m’a écoutée », se souvient Béatrice Ceretti, ­devenue artiste-peintre. « Face au déni du corps médical, il passe ses jours et ses nuits à mener l’enquête et explore tous les dossiers des victimes », poursuit-elle. Révélée dans Le Parisien, l’affaire crée un emballement médiatique. ­Enchaînant lesplateaux de télévision, il ­apprend sur le tas, fait preuve d’une habileté ­redoutable, ce qui en fait le « client idéal » pour les journalistes. Une autre association, Le Lien, est créée en mars 1998 pour lutter contre les ­infections nosocomiales. Alain-Michel Ceretti porte aussi l’affaire sur le terrain judiciaire, la procédure va durer quatorze années. Elle a ­conduit à la condamnation des chirurgiens et du directeur de la clinique, en 2010, puis en ­appel en 2013. Un procès qui reste emblématique du combat des victimes d’infections nosocomiales et de l’indemnisation des accidents médicaux, ce qu’a permis la loi de 2002.

Pour Claire Compagnon, une combattante du droit des malades, membre de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), « c’est un militant pas comme les autres, pragmatique, concret. A partir d’une histoire personnelle, de ce scandale sanitaire, il a réussi à faire surgir la question des infections nosocomiales dans ­l’espace public. Il aurait pu s’arrêter mais n’a pas lâché ». Même constat pour Loïc Ricour, directeur du pôle santé du Médiateur de la République, qui l’a rencontré en 2002 : « Il peut aller très loin pour faire émerger la vérité avec beaucoup d’implication et d’engagement » et, « sous des airs de roc, voire un peu durs et froids, ­Alain-Michel a une bienveillance naturelle et sait faire bouger les lignes ».

Aucune compromission


Chef d’entreprise pendant trente-deux ans – il a vendu en 2017 sa société, où il conserve des fonctions –, il détonne dans le monde associatif des patients. « Certains me prennent pour un fou », dit ce colosse au visage rond, ­regard clair, voix limpide. Tenace, il ne mâche pas ses mots, pouvant aller jusqu’à se mettre en ­colère, trancher dans le vif, car « il n’accepte aucune compromission », notent ses proches. L’un de ses amis, Pierre-Louis Asselineau, directeur des cours privés Fides, où Alain-Michel Ceretti a fait sa scolarité, et qui fut son professeur de philosophie, loue « son discernement exceptionnel, sa vision profondément humaniste et son sens aigu de la justice ».

A partir des années 2000, Alain-Michel ­Ceretti devient une sorte de militant. « Pour changer les choses, il faut toucher les politiques. Pour cela il faut rencontrer le grand ­public et lui faire partager nos combats et nos indignations. » En 2006, il quitte la présidence du Lien, où il reste très actif, et décide d’agir au cœur du système politique, en obtenant du ministre de la santé d’alors, Xavier Bertrand, de créer un dispositif de médiation en santé auprès de la Haute Autorité de santé. Il rejoint en 2009 Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, pour créer le pôle santé, devenu le pôle santé du Défenseur des droits. Il sera aussi à la manœuvre en coprésidant avec Edouard Couty – aujourd’hui médiateur ­national – les assises du médicament, en 2011, qui suivront le scandale du Mediator. Il siège depuis 2016 au conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), en tant que représentant des usagers. Sur le terrain des infections nosocomiales, les choses ont avancé, mais il est ­lucide : « Il reste beaucoup à faire sur les pratiques et les règles d’hygiène des soignants qui ne sont pas toujours respectées. » Alain-Michel Ceretti reste très mobilisé sur ce terrain. « Sans l’engagement de Guillaume Depardieu [décédé en 2008 des suites d’une infection hospitalière], rien n’aurait bougé », constate-t-il.

Il a toujours été fasciné par la médecine. ­Durant ses études en sciences économiques, il effectuait ses stages… dans des cliniques. Sa vie professionnelle dans l’industrie l’a détourné du monde de la santé. Il y est retourné par la mauvaise porte, mais ne le quittera plus. Aujourd’hui, bien sûr, la discussion porte sur l’affaire du Levothyrox. « Cette affaire va bien au-delà d’un simple défaut d’information. Je reste extrêmement dubitatif sur les raisons qui ont conduit l’ANSM à modifier la formule de ce médicament. Les malades y avaient-ils intérêt ? Je ne le crois pas. »

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