samedi 27 janvier 2018

Philippe Héno, médecin à l’heure du numérique

Le cinquième portrait de la série « le numérique a changé mon métier » : une meilleure collaboration, de nouvelles tâches et des pistes pour la télémédecine.

LE MONDE ECONOMIE  | Par 

« Le Monde » a voulu savoir comment des métiers très variés étaient impactés par la digitalisation et le développement des outils numériques. Nous sommes ainsi allés à la rencontre d’une dizaine de personnes pour savoir comment le numérique avait transformé leurs pratiques professionnelles. Elles témoigneront aussi de leur adaptation, plus ou moins facile, et comment elles voient leur avenir professionnel. Après les portraits du vigneron Jonathan Ducourt, de l’enseignante Sandrine Babinet, de la directrice d’hôtel Anita Steinmann, du charpentier Colin Vernet, le médecin Philippe Héno se raconte.

Philippe Héno, 54 ans, ancien médecin militaire et cardiologue: « L’accès facilité à l’information pour les patients a des effets sont moins nets. Parfois ils accèdent à des informations réelles, mais il arrive également qu’elles soient fausses, déformées ou amplifiées ».
Philippe Héno, 54 ans, ancien médecin militaire et cardiologue: « L’accès facilité à l’information pour les patients a des effets sont moins nets. Parfois ils accèdent à des informations réelles, mais il arrive également qu’elles soient fausses, déformées ou amplifiées ». DR

Si le cœur de métier d’un médecin est toujours de soigner, les conditions d’exercice ont bien évolué avec le développement du numérique. Philippe Héno, 54 ans, ancien médecin militaire et cardiologue, témoigne de ces transformations. « Le numérique a modifié beaucoup de choses, à la fois dans les rapports entre professionnels mais également dans les relations avec les patients », analyse-t-il.

Grâce aux outils numériques, les médecins peuvent désormais s’échanger très facilement des données, par mail ou par SMS. « On m’envoie régulièrement des électrocardiogrammes pour avis ou interprétation. Ceci permet une meilleure collaboration entre professionnels de santé », indique Philippe Héno.

« Cela interfère avec mon métier »

Par ailleurs, le numérique facilite considérablement l’accès à la connaissance pour le médecin. « Je peux maintenant consulter les travaux de la Société française ou internationale de cardiologie, les revues numériques de médecine, des cas similaires de pathologies… Auparavant, je devais les commander à la bibliothèque universitaire la plus proche de chez moi. Cela prenait du temps, c’était compliqué et il fallait se déplacer. Cette immédiateté de la connaissance est indéniablement un plus pour le médecin, et ce, dans l’intérêt de ses patients », contate Philippe Héno.

En revanche, l’accès facilité à l’information pour les patients a des effets moins nets. « Parfois, ils accèdent à des informations réelles, mais il arrive aussi qu’elles soient fausses, déformées ou amplifiées, notamment par les réseaux sociaux », constate-t-il. Des patients viennent le voir en lui disant avoir vu telle chose sur un forum ou lu tel article sur un site d’information médicale. « Cela interfère avec mon métier car il me faut alors préciser, expliquer, commenter ce qu’ils ont lu sur Internet. Ils n’ont pas toujours les connaissances pour distinguer ce qui est vrai d’une fake news et c’est bien normal ! ».

« Le numérique a modifié beaucoup de choses, à la fois dans les rapports entre professionnels mais également dans les relations avec les patients »







Philippe Héno rappelle le travail mené par la fondation HON (Health on Net) qui a pour mission de guider les utilisateurs d’Internet vers des sources en ligne d’informations médicales et de santé fiables, compréhensibles et pertinentes, via une certification.

Le numérique en médecine, c’est aussi le développement des objets connectés. Dans le cas de la cardiologie, ce sont par exemple les holters rythmiques ou les stimulateurs cardiaques (pacemakers) qui contiennent un petit boîtier de télétransmission. Pendant le sommeil du patient, les données sont téléchargées vers un serveur qui envoie ensuite des alertes au médecin ou au centre de soin. Ceci permet une prise en charge plus rapide et une meilleure détection d’une évolution de la pathologie.

AvisMedic, un site d’avis et de conseils médicaux


« Dans ces cas, la médecine connectée sert l’intérêt des patients, estime Philippe Héno. Elle permet de les suivre de façon plus fréquente et plus précise ». La contrepartie est le temps nécessaire pour traiter ces informations et interpréter les alarmes. « Cela se rajoute à mon travail quotidien de médecin » observe-t-il. Dans les gros centres de cardiologie, des postes spécifiques ont été créés pour traiter l’ensemble des informations télétransmises. « Il y a également un intérêt économique à ces objets connectés car la télétransmission est moins onéreuse qu’un contrôle à l’hôpital et plus rapide ».

Ces prothèses implantables connectées en cardiologie gagnent d’autres domaines. Ainsi, il a été décidé qu’en 2018 la télésurveillance concernant les personnes en insuffisance cardiaque, diabétique ou rénale chronique ou complexe serait remboursée par la Sécurité sociale, dans le cadre d’une expérimentation.

De son côté, Philippe Héno a franchi un pas supplémentaire vers la médecine connectée en en lançant avec deux autres médecins et un informaticien AvisMedic, un site d’avis et de conseils médicaux, opérationnel depuis juin 2017. « Je recevais des demandes de personnes à l’étranger, souvent basées dans des endroits isolés. Cela nous a incités à ouvrir ce e-cabinet virtuel ».

Aujourd’hui, 40 médecins, tous formés en France, représentant 40 spécialités, s’engagent à répondre aux questions des personnes entre 24 heures et 72 heures. « Notre site s’adresse prioritairement aux patients en situation médicale isolée ou à l’étranger, où la barrière de la langue peut poser problème ». Les patients peuvent joindre toutes sortes de documents à leurs questions. Les informations sont cryptées et le site bénéficie de l’autorisation de la CNIL. A l’heure actuelle, ce service payant (entre 84 et 108 euros pour un avis complet), considéré comme un avis médical et non pas comme une consultation, n’est pas remboursé par la Sécurité sociale. Mais les choses pourraient évoluer d’ici quelques années.

Sortir la télémédecine du domaine expérimental


« Le ministère de la santé commence à voir l’intérêt et le potentiel de la télémédecine, aussi bien pour lutter contre les déserts médicaux que pour des questions d’efficience ou de maîtrise des coûts », estime Philippe Héno. Le rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2017 sur ce sujet a contribué à faire bouger les choses. Mais la France a pris beaucoup de retard ».

Jusqu’à présent, seules quelques expérimentations pilotées par les Agences régionales de santé (ARS) ont été autorisées. Certains sites peuvent par exemple envoyer des ordonnances électroniques. « La santé en France est régie par un ensemble complexe d’organismes de tutelle (ministère de la santé, Conseil de l’ordre, Haute autorité de santé, ARS…), explique Philippe Héno. C’est un gage de sécurité, mais cela ralentit aussi les prises de décision ».

Une négociation conventionnelle entre l’Assurance-maladie et les syndicats des médecins libéraux vient d’être lancée le 18 janvier pour le développement de la télémédecine en France. Cela pourrait faire sortir la télémédecine du domaine expérimental pour la faire entrer dans le droit commun.
Selon Philippe Héno, la télémédecine est porteuse de progrès mais peut également entraîner des situations d’ubérisation. « Il faut être vigilant et vérifier le sérieux, la déontologie, la sécurisation et l’indépendance de ces sites de téléconsultation. Les risques de dérives sont réels ».

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