jeudi 11 janvier 2018

L'hôpital psychiatrique de Rennes s'enfonce dans le conflit

Par Pierre-Henri Allain, correspondant à Rennes — 

Au centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes, le 09 janvier 2018.
Au centre hospitalier Guillaume-Régnier de Rennes, le 09 janvier 2018. Photo Thierry Pasquet. Signatures




Manque de postes, nombre de lits insuffisants, gardiennage des patients... Malgré l'annonce de nouveaux crédits, le personnel du centre psychiatrique Guillaume-Régnier poursuit sa grève pour qu'une amélioration significative de ses conditions de travail soit décidée.

En grève depuis le 7 novembre, le personnel du centre psychiatrique Guillaume-Régnier à Rennes n’a guère été convaincu par l’annonce de nouveaux crédits – pour l’essentiel des fonds qui avaient été gelés – accordés par l’ARS (Agence régional de santé) et le ministère de la Santé. Réunis autour du barnum où se relaient jour et nuit infirmières et aides-soignants, une centaine d’entre eux ont décidé mardi la poursuite du mouvement pour au moins une semaine. «Ces fonds, destinés en bonne partie à l’investissement immobilier, ne sont pas suffisants, estime Jacques Meny, délégué syndical Sud à Guillaume-Régnier, un des trois plus importants hôpitaux psychiatriques en France. Ils ne répondent pas à la nécessité d’avoir des lits et des postes supplémentaires. C’est un petit bol d’air, mais l’étau est toujours là.»

«On est sur une poudrière»

Près du brasero et du thermos de café qui servent de point de rassemblement devant l’accueil de l’établissement, le malaise est palpable. Et chacun décline son désarroi face à des conditions de travail dégradées et des dysfonctionnements récurrents. «Il y a une perte totale de sens du métier,déplore Sarah, aide médico-psychologique de 27 ans. On en est réduit à faire du gardiennage avec seulement le temps de s’occuper de la toilette et des repas des patients, alors qu’on voudrait tellement faire mieux. On repart du travail déprimés.» «On ne peut plus recueillir la parole des patients, écouter leur souffrance, essayer de les aider», complète Marion, aide-soignante.
Largement partagé, ce malaise serait à l’origine de multiples burn-out et de pulsions suicidaires exprimées par des salariés qui ont précisément conduit le syndicat à engager une mobilisation. Chacun consacre, selon ses possibilités, quelques heures ou une journée à la permanence du piquet de grève. «On est sur une poudrière, insiste Olivier, infirmier syndiqué. Un rapport de la médecine du travail parlait déjà en 2016 de "risques importants de suicides de salariés" à Guillaume-Régnier.»
Outre le manque de postes qui oblige certaines nuits des infirmiers à assurer seuls la veille sur des unités d’une vingtaine de patients – là où ils devraient être au moins deux –, le manque de lits et la suroccupation arrivent au premier rang des récriminations. «Des patients sont parfois obligés de rester un jour supplémentaire en chambre d’isolement, une pièce carrelée totalement nue avec seulement une planche fixée au sol et un matelas, dans l’attente d’un lit disponible», témoigne Marion. «Quand on amène un troisième patient dans une chambre prévue pour deux, avec un seul lavabo et où on a simplement installé un rideau de séparation, les gens pleurent», ajoute Josiane, infirmière depuis quarante ans dans l’établissement.

«Le carcan budgétaire»

A ces exemples, s’ajoutent, selon le personnel, des renvois anticipés au domicile, ou des heures d’attente sur des fauteuils avant que les patients ne soient pris en charge. Autant de situations susceptibles de favoriser des comportements violents. Les salariés mettent également en cause des méthodes de management qui pourraient s’apparenter à de «l’intimidation ou de la mise au placard», touchant particulièrement des personnes en contrats précaires, qui représenteraient environ 20% du personnel du centre psychiatrique rennais, complexe qui s’étend sur 11 hectares pour quelque 2 500 salariés.
«Il y a un manque de communication flagrant avec le management, relève Tugdual, infirmier dans une unité de longs séjours. On nous dépossède de notre capacité à réfléchir. Dans mon service, les soignants sont sans cesse remplacés, comme si on voulait casser le travail d’équipe. Cela se répercute sur les patients qui ont besoin de repères.»
Face à ces difficultés, la direction se retranche derrière «le carcan budgétaire» qui limite ses marges de manœuvre. Pour l’heure, elle se félicite surtout des crédits qui viennent d’être alloués à l’établissement. Soit 520 000 euros débloqués par l’ARS pour renforcer «l’offre de proximité en ambulatoire», «la qualité des soins» et le renforcement du personnel mobile de remplacement. A cette somme, s’ajoutent le dégel de 264 000 euros par le ministère de la Santé et une augmentation de 84 000 euros pour la dotation annuelle du centre hospitalier. Début décembre, 500 000 euros sur une enveloppe globale de 44 millions débloqués pour la psychiatrie par le ministère, ont également été alloués à Guillaume-Régnier. Au total, une somme plutôt conséquente. Pas sûr toutefois qu’elle réponde véritablement aux demandes exprimées à Rennes depuis deux mois, mais aussi dans d’autres établissements de l’Hexagone.

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