mercredi 31 janvier 2018

Les séries télé pour apprendre la psychiatrie ?

30/01/2018

Les psychiatres du PsyLab ont présenté une communication insolite et inhabituelle lors d’un congrès scientifique, en explorant la représentation des troubles mentaux dans les séries télévisée. Qu’est-ce que le PsyLab ? Il s’agit d’une chaîne youtube au ton volontaire décalé et animé par deux psychiatres de Lille qui abordent diverses questions autour de la psychiatrie et de la santé mentale, en particulier à travers leurs illustrations dans le cinéma, les séries et les jeux-vidéos. La chaîne s’adresse surtout au grand public. 

L’interaction entre les séries et les troubles mentaux est un vaste sujet, qui nous rappelle à quel point ce « deuxième âge d’or des séries » se caractérise à la fois par son foisonnement créatif et la justesse de son regard sur la société. On peut "s’amuser" à décrire des personnages de séries atteints de troubles mentaux, correspondant à autant de vignettes cliniques, pathologie par pathologie. Les animateurs de cette communication plaident d’ailleurs pour que les séries soient utilisées dans l’enseignement. Elles permettent en effet de passer au-delà de la relative froideur de la sémiologie "classique", pour avoir une fenêtre sur l’individu vu dans la vie "réelle", dans la complexité de son quotidien et de ses interactions sociales.  Des descriptions d’une justesse étonnante

A titre d’exemple, on se souviendra de la représentation précise du trouble bipolaire dans la série Homeland, de l’interprétation remarquée de Cillian Murphy dans la peau du truand Thomas Shelby (Peaky Blinders), en proie à un état de stress post-traumatique au retour de la première guerre mondiale, ainsi que des attaques de panique du non moins truand Tony Soprano qui le conduiront à se faire prendre en charge pour un épisode dépressif majeur (The Sopranos). Le PsyLab salue d’ailleurs tout particulièrement cette dernière performance, qui permet d’aborder dans ses différents épisodes de nombreux aspects de la clinique de la dépression. La psychothérapie est également abordée par certaines séries, et est même l’objet de la série In treatment

Certaines pathologies sont rarement abordées avec autant de justesse que dans les séries, y compris dans le cinéma et la littérature. En témoigne la toute récente série de Netflix Atypical, décrivant avec humour le quotidien d’un patient autiste "de haut niveau" de 18 ans en proie aux affres de la découverte de la vie sentimentale, avec ce que cela peut impliquer d’implicite incompréhensible pour lui, d’absurde et de douloureux. Citons également la série Tillate, qui affronte crument la question trouble du comportement alimentaire. 

La pathologie qui semble encore peu accessible pour les scénaristes de série semble être la schizophrénie. Ce qui est également vrai dans le cinéma. La désorganisation du discours et le caractère floride et polymorphe dans ses thèmes et ses mécanismes du délire paranoïde rendent difficile l’adéquation d’un personnage atteint de schizophrénie avec un récit qui soit agréable à suivre… Jusqu’à ce qu’un auteur plus talentueux y parvienne. Soulignons cependant la récente représentation d’une suspicion d’un cas de schizophrénie dans la série Legion, sortie en 2017. 

Rembourser les séries ?!

Enfin, sur la question du suicide, les animateurs de la session ont salué la série 13 reasons why, bien qu’ils en regrettent la représentation peut-être trop explicite du passage à l’acte suicidaire. Selon eux, une utilisation "thérapeutique" de cette série, autour de séances de visionnage accompagnées par des soignants, pourquoi pas dans un hôpital de jour dédié aux adolescents, pourrait tout à fait s’envisager ! 

Certes, la représentation de la folie dans l’art n’est pas nouvelle, bien entendu. Mais les séries actuelles sont diffusées massivement à un niveau qui n’est égalé par aucun des autres supports artistiques. Durant cette session, certains personnages montrés à l’écran étaient reconnues sans hésiter unanimement par l’ensemble de la salle. Ces représentations non caricaturales des pathologies mentales pourraient ainsi contribuer à la déstigmatisation de la psychiatrie auprès du grand public. 

Bref, les séries seraient de véritables outils de santé publique, d’enseignement et de formation continue. Des séminaires d’enseignement utilisant des séries comme matériel pédagogique existent d’ailleurs déjà (notamment autour de la série Seinfeld aux Etats-Unis). A quand la déduction du coût de Netflix dans les frais professionnels ou la création d’un organisme de DPC dédié ? 

Dr Alexandre Haroche
RÉFÉRENCE
C.Marcaggi, C.Debien. Le PsyLab – Séries télévisées : vignettes cliniques 2.0 ? 16e congrès de l’encéphale, 26 au 24 janvier 2018, Paris.

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