mardi 23 janvier 2018

En psychiatrie, certains secteurs connaissent des situations épouvantables

Pour le psychiatre Antoine Pelissolo, l’insuffisance budgétaire met le système sous tension et entraîne des inégalités territoriales de prise en charge inacceptables

LE MONDE 

En France, l’égalité des citoyens devant les soins psychiatriques est très mal respectée, à cause surtout d’une organisation initialement vertueuse et ambitieuse, celle de la sectorisation de la santé mentale. Depuis les années 1960, les principes fondateurs du secteur psychiatrique étaient de moderniser le vieux système asilaire pour favoriser les prises en charge au plus près des lieux de vie, en offrant à chacun un accès à des soins complets. Nous avons tous un « secteur psychiatrique » de rattachement, dépendant de notre adresse, qui a l’obligation de nous accueillir pour des consultations ou des hospitalisations si nécessaire.

Cinquante ans après, hélas, ce système ne répond plus aux besoins et aux objectifs d’équité. La faute d’abord au manque criant de moyens à l’échelle nationale, du fait des restrictions budgétaires globales et de la faible considération sociétale à l’égard de la psychiatrie. Mais la rigidité de la sectorisation est à l’origine de dysfonctionnements chroniques. Les secteurs pris individuellement sont trop petits et leurs moyens trop limités pour ­répondre à l’étendue de leurs missions : prévention, prises en charge en urgence, consultations au long cours, centres de recours pour des pathologies résistantes, réinsertion, etc. Les secteurs des grands établissements spécialisés peuvent mutualiser leurs moyens pour construire ces parcours de soins, mais ceux qui se trouvent isolés au sein d’un hôpital général ne le peuvent pas.

La députée Barbara Pompili, après une visite de l’hôpital d’Amiens, dénonçait une situation indigne, inhumaine, rappelant les asiles du XIXesiècle







La seconde source d’inégalité est liée au mode d’allocation des budgets. La psychiatrie reste la seule spécialité non régie par la tarification à l’activité (T2A), mais par un système de dotation annuelle forfaitaire. On pourrait s’en réjouir quand on sait les effets pervers de la T2A à l’hôpital : parasitage des soins par l’obligation de rentabilité et par les contraintes administratives, course inflationniste aux actes pas forcément justifiés, etc. Mais le principe d’une enveloppe forfaitaire impose de définir des règles de répartition justes et efficaces. Nous en sommes loin. Les budgets de chaque secteur sont ­alloués sur une base mal définie, ­reconduits d’année en année sans réelle prise en compte des besoins de la population et des soins prodigués.

Les conséquences ? De très fortes inégalités de l’offre de soins d’un ­service à l’autre, certains secteurs ­connaissant des situations épouvantables sur les plans de la qualité et de la sécurité des soins. Les observations faites par la députée Barbara Pompili après une visite de l’hôpital psychiatrique d’Amiens en témoignent de ­manière éloquente. Elle y dénonçait une situation indigne, inhumaine, rappelant les asiles du XIXe siècle, avec une absence de soins réels du fait d’un personnel en nombre très insuffisant.


Conditions matérielles et humaines déplorables


Dans ces services, des unités de soins conçues pour recevoir 20 patients en accueillent en fait souvent 22, voire 23 ou 24. Cela en rajoutant des lits à la va-vite, transformant une chambre de deux en une chambre de trois, dans des conditions matérielles et humaines déplorables. Ces surpopulations, liées à une augmentation des besoins et à la fermeture de nombreuses places au fil des années, ne s’accompagnent d’aucune adaptation du personnel présent pour les soigner, bien au contraire. Du fait de conditions de travail pénibles, au contact de patients en grande souffrance et présentant des troubles graves du comportement, les personnels en sous-nombre sont rapidement épuisés et connaissent de forts taux d’absentéisme et de départ, et sont très difficiles à remplacer.

Certes, l’orientation des soins vers l’extrahospitalier est une tendance saine et qui doit être maintenue. Mais les réalités sociodémographiques ­imposent malgré tout, dans certains territoires au moins, de conserver des capacités d’hospitalisation suffisantes pour faire face aux états de crise et aux défaillances des supports sociofamiliaux. De plus, les lieux de vie adaptés sont notoirement insuffisants dans le champ médicosocial, ce qui impose de prolonger des hospitalisations pour éviter que des personnes malades se retrouvent à la rue et sans accompagnement. Dans les services trop petits, l’obligation d’accueil place quotidiennement les médecins face à des problèmes insolubles : comment « faire de la place », comment faire face aux urgences, comment ne pas prendre de risques avec des situations médicales graves et humainement très douloureuses ?

Ces situations révoltantes ne sont pas identiques partout, bien heureusement et les pouvoirs publics commencent depuis peu à se pencher sur l’organisation des soins psychiatriques, au travers de commissions nationales et régionales. Mais la question cruciale des financements et de leur répartition est très peu abordée. Un système pertinent et équitable d’allocation des budgets doit reposer sur l’analyse de plusieurs facteurs, tout à fait maîtrisables aujourd’hui : taille et caractéristiques de la population desservie, facteurs de risque locaux vis-à-vis des troubles psychiques, dispositifs de soins présents sur le territoire ­(publics et privés), charge de travail et nombre de patients suivis, en tenant compte de leurs pathologies et du type de soins mis en œuvre.

« On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous », disait le psychiatre ­désaliéniste Lucien Bonnafé. Il serait temps d’en tenir compte.
Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Albert-Chenevier, à Créteil (Val-de-Marne).

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