samedi 13 janvier 2018

Arrêt des soins des mineurs : comment faire primer la dignité de la personne ?

Paris, le samedi 13 janvier 2018 -  L’ordonnance rendue par le Conseil d’Etat le 5 janvier 2018 témoigne des difficultés aussi bien humaines que juridiques soulevées par la nouvelle procédure collégiale introduite par l’article R.4127-37-2 du Code de la Santé Publique.
Un retour sur les faits s’impose. Le 21 juillet 2017, le médecin responsable du service d’anesthésie et de réanimation pédiatrique du CHRU de Nancy prenait la douloureuse décision de procéder à l’arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales qui étaient administrés à une jeune fille de quatorze ans atteinte d’une myasthénie auto-immune sévère, en raison du caractère végétatif dans lequel elle était plongée (à la suite d'un arrêt cardiaque) et de l’absence de possibilité d’amélioration de son état de santé ou de guérison.

Cette décision était prise après la mise en œuvre de la procédure collégiale prévue par la loi Claeys-Leonetti, qui permet cette décision d’arrêt des soins chez une personne hors d’état d’exprimer sa volonté. 
Les parents, fortement opposés pour des raisons compréhensibles à cette décision, ont formé un recours devant le juge des référés du Tribunal administratif de Nancy. Le Tribunal a ordonné, conformément à la législation, l’ouverture d’une expertise confiée à un collège composé d’un médecin réanimateur et de deux neuropédiatres ayant pour mission, dans un délai restreint de deux mois, de décrire l’état clinique de la jeune patiente, son évolution, son niveau de souffrance et de conscience, et de déterminer si elle est en mesure de communiquer de quelque manière que ce soit avec son entourage.
Les experts en étaient arrivés à la conclusion que le pronostic neurologique était « catastrophique » et que la patiente était incapable de communiquer avec son entourage.
Mais la difficulté réside dans le fait que, pour les experts, il était « impossible de déterminer » la volonté de l’enfant. La juridiction administrative en est toutefois arrivé à la conclusion que la décision d’arrêt des soins était justifiée dans ce contexte. Un pourvoi fut formé devant le Conseil d’Etat.

Quels droits pour la fin de vie ?

L’article L.1110-5 du Code de la Santé Publique, issu de la loi du 2 février 2016, dispose dans son alinéa 2 que « tout personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée ».
L’article L.1110-5-1 du même code précise que les actes médicaux ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis « lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable » ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que « le seul maintien artificiel de la vie ».
Plus précisément, ces soins peuvent être suspendus, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, « à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie règlementaire ».
En l’espèce, la régularité de la procédure n’était pas contestée. En revanche, la conformité de la disposition avec les normes supérieures était invoquée. 

Un cadre législatif conforme à la Constitution et aux normes internationales

En confirmant la décision des médecins de Nancy, l’ordonnance rendue par le Conseil d’Etat apporte plusieurs éléments intéressants.
En premier lieu, le Conseil vient rappeler que la procédure collégiale de la loi Claeys-Leonetti a été jugée conforme par le Conseil Constitutionnel dans le cadre de sa réponse à une question prioritaire de constitutionnalité (Conseil Constitutionnel, 2 juin 2017).
Le Conseil d'Etat indique également que les dispositions de cette loi sont conformes au droit international et notamment à la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui protège « le droit à la vie » et à la Convention d’Oviedo sur le droit médical.
Toutefois, sur cette question précise, l’arrêt du Conseil d’Etat ne fait qu’ouvrir un nouveau débat, les parents ayant d’ores et déjà indiqué leur volonté de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme…

Le devoir d’humanité voulu par le Conseil d’Etat

Par touches successives, le Conseil d’Etat rappelle aux hôpitaux la nécessité de prendre en compte les considérations non-médicales dans la décision d’arrêt des soins.
Ainsi, dans un arrêt rendu en mars dernier, le Conseil avait rappelé que l’avis des parents, y compris lorsque ces derniers s’opposent à l’arrêt des traitements, revêtait une « importance particulière » dans la décision d’arrêter ou non les soins.
En somme, l’avis des parents ne peut être considéré comme purement consultatif en présence d’un enfant mineur hors d’état de donner sa volonté.
L’ordonnance apporte ici des précisions sur la manière dont la décision devra être exécutée.
La juridiction précise que si le médecin est compétent pour apprécier si et dans quel délai la décision doit être exécutée (ce qui constitue une prérogative accordée par la loi), il appartiendra à l’hôpital de « prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires ». L’avis des parents sur la méthode employée sera donc nécessaire.
Reste à savoir si la Cour Européenne des Droits de l’Homme confirmera ou non le bienfondé de la décision prise par le Conseil d’Etat.

Charles Haroche (avocat à la Cour) charlesharoche@gmail.com

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