mercredi 20 décembre 2017

Le débat piégé sur l’âge du consentement à une relation sexuelle avec un adulte

Le gouvernement prépare un projet de loi qui prévoira cette présomption de non-consentement. Mais c’est le débat parlementaire qui devra fixer l’âge au-dessous duquel elle s’appliquera. Qu’en disent les spécialistes sur le terrain ?

LE MONDE  | Par 
AUREL

Y a-t-il un âge au-dessous duquel un mineur ayant une relation sexuelle avec une personne majeure serait par nature non consentant ? Si oui, quel est cet âge, 13 ans, 14 ans ou 15 ans ?

Le gouvernement a choisi de répondre à la première question, et déposera au printemps un projet de loi pour inscrire dans le code pénal cette présomption de non-consentement. Mais la seconde, plus délicate et lourde de conséquences, c’est au Parlement qu’il reviendra de la trancher. Le débat s’annonce inflammable tant le thème est propice aux émotions.

Des élus, des associations et des personnalités de la société civile n’ont pas attendu pour s’emparer du sujet, face à une opinion profondément choquée par deux décisions de justice. A Pontoise, en septembre, le parquet a ainsi décidé de poursuivre pour « atteinte sexuelle » et non pour « viol » un homme de 28 ans qui a eu une relation sexuelle avec une fille de 11 ans, estimant qu’il y avait eu consentement de la victime. En novembre, la cour d’assises de Seine-et-Marne a acquitté un homme de 30 ans qui était accusé d’avoir violé en 2009 une enfant de 11 ans, jugeant que le viol n’était pas caractérisé alors que la relation sexuelle n’était pas contestée.

Les réseaux sociaux s’échauffent


Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, prépare en concertation avec Nicole Belloubet, ministre de la justice, un projet de loi contre les violences sexuelles qui comprendra donc cette présomption de non-consentement.

Sans attendre, des pétitions ont été lancées et les réseaux sociaux se sont échauffés pour imposer l’âge le plus élevé. Avec, comme souvent, des arguments fallacieux omettant de rappeler qu’en l’état actuel du droit, toute relation sexuelle d’un adulte avec un mineur de moins de 15 ans est interdite, avec ou sans consentement, et passible d’une peine de prison. L’absence de consentement permet de faire passer l’infraction d’« atteinte sexuelle » à celles d’« agression sexuelle » ou de « viol », en cas de pénétration.

Alors que le projet de loi n’est pas encore rédigé, le débat s’est quelque peu figé depuis que, le 25 novembre, Emmanuel Macron a annoncé dans son discours pour la journée pour l’élimination de la violence faite aux femmes que sa « conviction personnelle » était de fixer le seuil du non-consentement à 15 ans. Mme Schiappa avait estimé que cet âge devrait se situer entre 13 et 15 ans, tandis que Mme Belloubet s’en était tenue aux 13 ans proposés par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Qu’en disent les spécialistes sur le terrain ? « Cette loi sera un très grand progrès pour notre société », assure Marie-France Casalis, cofondatrice du Collectif féministe contre le viol. Elle exprime une préférence sur « 15 ans plutôt que 13 ». Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l’enfance et l’adolescence, se dit aussi favorable au seuil des 15 ans car, « au-dessous, même si certaines adolescentes ont l’air débrouilles ou délurées, leur comportement est à des années-lumière de leur maturité ». Selon elle, « l’acte sexuel, dans la crudité de ce qu’il peut être avec un adulte de 25 ou 30 ans, est très éloigné de leur imaginaire. Je vois des filles de 13 ans qui dorment avec leur copain, mais ils se font des câlins, sans acte sexuel. A 14-15 ans, ils font des préliminaires, mais sans pénétration. Avec un adulte, c’est autre chose, même s’il n’est pas question de dire qu’elles sont toutes des oies blanches. »


Des contradictions dans le code pénal


La difficulté d’un seuil, reconnaissent tous les professionnels, est que la puberté physique avec laquelle arrive le désir sexuel et la maturité psychique arrivent à des âges très différents selon les individus et chez un même individu.

« Fixer un âge limite est aberrant, assure Jean-Michel Dreyfus, gynécologue à Lyon, expert auprès des tribunaux. C’est un problème sociétal et moral, mais demander en termes de justice quel est l’âge de la maturité sexuelle, je n’en sais rien. » Sa consœur de Marseille, Julia Maruani, trouve que le seuil de 15 ans ne correspond pas à ce qu’elle « constate dans [son] cabinet ». « Cela risque de mettre la justice dans des situations embarrassantes », explique-t-elle, préférant « intuitivement » une limite à 14 ans, « un âge où les adolescents sont capables de savoir si ce que l’on fait à leur corps n’est pas normal ».

Stéphane Clerget, pédopsychiatre, estime le seuil de 15 ans « cohérent » avec celui déjà inscrit dans le code pénal pour caractériser le délit d’atteinte sexuelle. Il plaide pour ajouter dans la loi un seuil de non-consentement présumé pour les relations entre mineurs. Il ne s’agit pas de vouloir interdire aux jeunes la découverte de la sexualité, mais M. Clerget estime que « toutes les relations ne peuvent pas être licites ». Il se dit « surpris du nombre d’agressions sexuelles de mineurs sur d’autres mineurs, pubères ou non ».

Ce débat sur la maturité affective et psychologique des adolescents risque par ailleurs de faire surgir des contradictions dans le code pénal selon lequel dès 13 ans, un enfant peut être condamné à une peine de prison ferme. D’un côté l’enfant serait jugé suffisamment responsable de ses actes pour encourir la prison, de l’autre il serait irresponsable au point que la loi décide à sa place si une relation sexuelle est consentie ou non.


Un risque d’inconstitutionnalité


« L’adolescence est un phénomène évolutif contraire à toute idée de seuil », affirme Caroline Rey-Salmon, pédiatre chef de service de l’unité médico-légale de l’Hôtel-Dieu à Paris. L’âge de 15 ans« correspond à ce qu’[elle] observe », mais elle plaide pour de la souplesse. Habituée à faire des examens d’agressions sexuelles et de viols, elle estime que l’essentiel, avant une nouvelle loi, serait « de faire en sorte que les examens médicaux et l’audition par les enquêteurs soient faits par des personnes spécialisées ».

Le problème d’un tel couperet législatif serait d’interdire toute relation amoureuse et/ou sexuelle entre une fille de 14 ans et un garçon de 18 ans. « On en voit tous les jours », témoigne Mme Rey-Salmon, qui s’inquiète du risque de voir « des familles très rigoristes profiter de cette loi pour tenter d’empêcher l’émancipation de leur enfant ». En revanche, elle plaide pour une réflexion sur l’inscription dans la loi d’un critère de différence d’âge, « une relation avec majeur de 18 ans n’étant pas comparable à celle avec un homme de 30 ans ».

La façon dont la loi sera écrite est déterminante. Cette présomption de non-consentement sera-t-elle irréfragable, c’est-à-dire automatique et non discutable devant la justice, ou simple ? Edouard Durand, juge des enfants à Bobigny et coprésident de la commission « violences » du Haut Conseil à l’égalité, plaide pour une présomption irréfragable, « sinon, on va de nouveau faire tourner le débat judiciaire sur le consentement du mineur, ce qui est insupportable ». « Ce serait comme si les filles seraient à disposition, toujours », ajoute Mme Casalis. Plusieurs propositions de loi récemment déposées par des députés et des sénateurs souhaitent imposer un caractère « irréfragable » à la présomption. Mais le risque d’inconstitutionnalité d’une telle disposition existe.


Un consensus semble illusoire


« Il est difficile de prévoir une présomption irréfragable de culpabilité », s’inquiète Jacky Coulon, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats. Au ministère de la justice, on a d’ailleurs retrouvé une décision du Conseil constitutionnel qui rappelle, « au nom des droits de la défense », que toute personne doit « pouvoir apporter la preuve contraire » des faits qui lui sont imputés. Une« présomption simple » renverserait la charge de la preuve, c’est à l’accusé de prouver son innocence et non à la justice de prouver sa culpabilité.

Pour compenser l’introduction de cette souplesse, dénoncée par certains comme un aléa, la chancellerie réfléchit, d’après nos informations, à durcir le texte en modifiant les éléments constitutifs des incriminations de viol et d’agression sexuelle. L’objectif est que la rédaction du texte ne laisse pas de victime sur le bas-côté sous prétexte qu’elle n’entre pas dans les cases du code pénal.

Quant aux premières concernées, leurs réactions montrent bien la complexité du sujet. Nous avons posé la question à une classe de jeunes filles de 16 à 21 ans, élèves de CAP et en Bac Pro à Juvisy-sur-Orge, dans l’Essonne. Une première a réagi, l’air horrifié, « avec un majeur ? Il ne faudrait pas avant 17 ans ! » Mais pour une autre, au contraire, ce n’est pas vraiment un sujet : « A 13 ans, une fille sait ce qu’elle veut. » Un consensus semble illusoire dans le débat qui s’instaure.

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