mardi 19 décembre 2017

Il y avait l’effet « blouse blanche » : maintenant le syndrome du « pyjama bleu » !




Voici une étude qui a nécessité assez peu d’investissement technique, mais qui a valu à ses auteurs une publication dans une revue très prestigieuse, à savoir Scientific Reports(1). Il est vrai que ce travail de recherche porte sur un sujet clinique assez universel (qui peut même être transposé en dehors du champ de la psychiatrie), et il a été aidé par un design ingénieux. L’article instaure un nouveau syndrome dans la nosographie médical, doté d’un nom poétique, voire onirique : le syndrome du pyjama bleu. Il postule que la gravité de l’état des patients est surestimée lorsqu’ils sont évalués en pyjama plutôt que dans leurs vêtements habituels. Ce paradigme est ici testé dans une pathologie psychiatrique très fréquente, en milieu hospitalier : l’épisode dépressif majeur. 
L’étude a porté sur 26 patients pris en charge dans une unité dédiée aux troubles de l’humeur d’un hôpital de Rennes, qui ont bien voulu participer au tournage de deux vidéos destinées à l’évaluation clinique de 5 minutes chacune, à J1 et J5 de leur admission. Une des vidéos était réalisée en habits habituels, l’autre en pyjama bleu (selon un ordre aléatoire). Ces vidéos ont ensuite été visionnées par 10 psychiatres qui étaient tenus ignorant de l’objectif de l’étude. Il leur était demandé d’évaluer l’état des patients sur une échelle allant de 1 à 7 (Clinical Global Impression, CGI).  En moyenne, les psychiatres ont donné 0,65 points de plus aux patients en pyjama bleu (intervalle de confiance à 95 % [IC95] de 0,27 à 1,02). Les psychiatres ont également évalué les patients comme moins graves à J5 par rapport à J1 (en moyenne -0,66 ; IC95 de -1,03 à - 0,29). 

De quoi alimenter le débat sur le pyjama en psychiatrie 

L’existence d’un effet du pyjama bleu sur les psychiatres est d’autant plus crédible que les patients eux-mêmes ne rapportaient pas se sentir moins bien lorsqu’ils étaient en pyjama plutôt que dans leurs vêtements. La question du pyjama suscite parfois la controverse dans les équipes, entre ceux qui en défendent les effets protecteurs sur le risque de suicide (en permettant un inventaire et une surveillance plus faciles), ou un effet sur la diminution du risque de fugue (plus discutable concernant des patients en soins libres), et ceux qui en dénoncent le caractère dégradant pour les patients. Malheureusement, dans bien des services, le pyjama ne fait pas l’objet d’un débat, et son port n’est plus imposé que par la force de l’habitude. La littérature sur le sujet est à peu près inexistante, et cet article a pour intérêt d’apporter une première donnée scientifique assez robuste : le pyjama bleu nous fait voir les patients plus noirs qu’ils ne le sont. Reste à savoir si cette particularité réglementaire est associée à des durées d’hospitalisation plus longues, ou des prescriptions plus fortes, dans les services avec pyjama par rapport aux services sans. 

L’effet « blouse blanche », décrit à partir des années 1980 (2), est le nom que l’on donne à l’influence de la mesure de la pression artérielle par le docteur sur la pression artérielle du patient. C’est quasiment l’application de la théorie quantique à la cardiologie : dès qu’on essaye d’observer réellement la pression artérielle, elle change d’état ! Cette fois-ci, le syndrome du pyjama bleu s’exerce sur le médecin et non sur le patient.  Ce genre d’études nous invitent à l’humilité et nous rappellent le caractère hautement subjectif de la démarche diagnostique en psychiatrie. Et n’oublions pas que le syndrome du pyjama bleu a son corollaire : lorsqu’un patient est autorisé, après quelques jours d’hospitalisation, à remettre ses vêtements, ces nouveaux attributs vont nous le faire paraître artificiellement en meilleure forme ! 

Dr Alexandre Haroche
RÉFÉRENCES
1. Delmas H et coll. : A randomised cross-over study assessing the « blue pyjama syndrome » in major depressive episode. Sci Rep. 1 juin 2017;7(1):2629. 
2. Mancia G et coll. : Effects of blood-pressure measurement by the doctor on patient’s blood pressure and heart rate. The Lancet. 24 sept 1983;322(8352):695‑8. 

Communications orales des 6 meilleures publications de l’année lors du 9e Congrès Français de Psychiatrie (Lyon) : 29 novembre au 2 décembre 2017. 

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