vendredi 8 décembre 2017

Après la mort de Johnny Hallyday : ni hystérie ni deuil pathologique

Coline Garré
| 06.12.2017




Hallyday
Crédit Photo : AFP

« Sans tes concerts, c'est la fin de notre histoire d'amour ensemble », José, fan depuis 1972. « C'est comme si je perdais quelqu'un de ma famille », Grégory, 33 ans. « J'aimais ce qu'il était, ce charisme. Je pleure pour lui et pour moi aujourd'hui, il a marqué des étapes de ma vie personnelle »,Laurence, 54 ans. « C'était pour moi un amour de jeunesse. J'ai toujours aimé cet homme, il était beau... Il est en moi, il vit avec moi, c'est quelqu'un de ma famille » Michelle, 70 ans. 
L'annonce de la mort de Johnny Hallyday, 74 ans, des suites d'un cancer du poumon, a suscité une pluie d'hommages d'inconnus et de célébrités. « On a tous en nous quelque chose de Johnny Hallyday », a écrit Emmanuel Macron. À l'Assemblée nationale, applaudissements et standing ovation ont précédé les débats.

« Notre hémicycle représente le peuple français. Lorsqu'il est ému, il est normal que l'émotion teinte les débats de cet hémicycle », a déclaré Édouard Philippe. Dans le monde de la santé, « Il faisait partie de chaque famille, Johnny Hallyday, légende de la chanson française, a unifié des générations », a tweeté l'ancien ministre de la Santé Xavier Bertrand. « Une bête de scène qui mettait le feu dans les cœurs et dans les corps. Adieu, nous t’aimons comme nous aimons notre jeunesse enfuie ...», a lancé Roselyne Bachelot. « Ce n’était pas un chanteur, pas une icône. C’était une part de la France, une part de nos vies » réagit Jérôme Marty, président de l'UFML Syndicat. 
Les témoignages sont infinis. Jusqu'à perdre la raison ? L'AFP raconte les larmes de certains fans comme François Le Lay, militaire à la retraite, coiffure de rockeur, posters, affiches, et reliques. « On est orphelin » témoigne-t-il. Et le fan de s'inquiéter pour ses pairs, et même de redouter des tentatives de suicide... 
« Un attachement sincère à un artiste dans nos vies »
Aux yeux du psychiatre Alain Sauteraud, spécialiste du deuil*, il est légitime de parler de deuil, comme « de la séparation, par la mort, d'une personne à qui l'on est attaché significativement ». Et de fait, Johnny « faisait partie de ces artistes qui nous accompagnent sur un plan historique » depuis plus de 50 ans, « qui sont le reflet de nos évolutions et sont dans nos vies », comme un David Bowie, par exemple, explique au « Quotidien » le psychiatre - alors que d'autres artistes, Mozart ou Rimbaud par exemple, marquent les siècles du sceau d'une œuvre écrite en une fulgurance. 
« Johnny était un personnage attachant, qui rentrait dans nos vies quotidiennes et avait sa marionnette aux guignols. On se souvient de sa photo en tenue de soldat, on connaît sa vie sentimentale. Et quand on sait le nom de femmes et des enfants d'une personne, c'est un peu comme si on fait partie de la famille », poursuit le psychiatre. Et cette proximité avec le public est restée jusque dans les circonstances de sa mort, d'une maladie commune qui n'a pas été cachée.  
« L'artiste n'est pas un fantasme : il existe par son œuvre. Les fans qui témoignent de leur tristesse ne sont pas "hystériques", ils témoignent pour une œuvre qui n'aura pas de lendemain », analyse encore le Dr Sauteraud. 
Une œuvre qui permet de relocaliser le défunt 
Sans préjuger de l'avenir, il n'y aurait guère à craindre pour la santé des fans. Le psychiatre n'a jamais eu à soigner de deuil pathologique de fan et n'en a pas connaissance, exception faite des suicides survenus après la mort d'Elvis Presley. Presqu'au contraire, le deuil d'un artiste serait facilité par l'héritage qu'il lègue.
« La souffrance est au début inévitable, mais elle va devoir trouver un chemin de résolution, d'apaisement, qui passe par la relocalisation du défunt, c'est-à-dire comprendre que les gens n'ont pas tout à fait disparu et nous lèguent leur expérience et leur empreinte. Dans le cas des artistes, c'est facile car ils nous laissent une œuvre, qui nous permet de vivre avec leur souvenir »
Et les rituels de deuil - jusque sur les réseaux sociaux, « forme moderne de partage » - sont là pour témoigner de l'attachement, exprimer et canaliser les émotions sous une forme positive. 
Quant à ce qu'il représente pour la France, aux sociologues de le dire. « C'est quand même la première fois qu'on m'appelle pour un artiste Français. Pour Gainsbourg, Mitterand, ou D'Ormesson, aucun journaliste ne m'a sollicité », note le Dr Sauteraud. 
*auteur de « Vivre après ta mort, psychologie du deuil », chez Odile Jacob, 2012.  

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