mardi 19 décembre 2017

50 ans après l’autorisation de la pilule, trois générations de femmes livrent leur expérience

Le 19 décembre 1967, l’Assemblée nationale adoptait la loi autorisant l’usage de la contraception.

LE MONDE  | Par 

Emilie, Christine et Chantal, trois femmes d’une même famille, témoignent de leur expérience de la contraception.
Emilie, Christine et Chantal, trois femmes d’une même famille, témoignent de leur expérience de la contraception. AÏ BARREYRE POUR LE MONDE

Elles ont 74, 50, et 21 ans. Christine, la grand-mère (qui préfère taire son nom de famille), Chantal Pirot, sa fille, et Emilie Pirot, sa petite-fille. Trois femmes d’une même famille, trois générations réunies dans le salon d’une petite maison de la proche banlieue de Paris, à l’occasion d’un anniversaire. Le 19 décembre 1967, l’Assemblée nationale adoptait la loi Neuwirth autorisant l’usage de la contraception, en particulier de la pilule à base d’hormones de synthèse, déjà utilisée dans les pays anglo-saxons.

Avec franchise, avec sérieux et avec humour, elles ont accepté de raconter leur expérience du petit comprimé rond devenu si familier des Françaises. Il reste aujourd’hui leur premier mode de contraception, malgré une désaffection depuis quelques années (un peu plus d’un tiers des femmes en âge de procréer prend la pilule aujourd’hui, contre 40 % en 2010).

A travers leur récit, c’est la métamorphose d’une société qui apparaît. Car les trois femmes ont beau bien s’entendre, leurs vies ne se ressemblent pas. Christine était femme au foyer. Elle a eu pour unique amant son mari, Daniel – qui, de temps en temps, passe une tête dans le salon mais ne s’attarde pas. Elle n’a pas de regrets.


« On ne vivait pas de la même façon, constate-t-elle simplement. Ça nous allait. » A 21 ans, Emilie a déjà eu plus de partenaires amoureux que sa grand-mère et sa mère. Elle est l’une des seules filles dans son master de mécanique des fluides à la fac de Jussieu, et elle trouverait « aberrant » de ne pas travailler plus tard.


« Pour nous, c’est acquis »


Entre-temps, une révolution a eu lieu. Du fait de la diffusion massive de la contraception sur prescription médicale (à la fois de la pilule mais aussi d’autres méthodes), tout ou presque a changé pour elles, comme pour les autres femmes : le rapport à la sexualité, au couple, à la famille, au travail. La conversation est pour la plus jeune surtout l’occasion de le mesurer. « On ne voit pas tout le chemin parcouru, reconnaît Emilie. On sait qu’on n’aura pas d’enfants avant d’en vouloir. Pour nous, c’est acquis. »

Tandis que sa grand-mère peut raconter « l’avant ». L’époque des méthodes artisanales pratiquées dans une atmosphère de réprobation. Depuis 1920, afin de repeupler la France après la première guerre mondiale, la contraception est interdite. Pas de pilule, pas de sexe ? « L’objectif, c’était d’arriver vierge au mariage, confirme l’intéressée. Je n’envisageais pas de me donner au premier venu. »

Un objectif théorique, car Christine s’est tout de même installée un an avant ses noces chez son futur mari, rencontré un dimanche de janvier au pied du Sacré-Cœur à Paris. Elle comptait les jours pour éviter la période à risque. Et puis, « on sautait en marche ! », sourit-elle. L’expression, bien que plus poétique, désigne la méthode ancestrale du retrait.

Taboue, la sexualité des jeunes femmes existait bel et bien. « C’est comme ça que je suis née ! », s’exclame Christine. Elle est un « accident de parcours »« la bâtarde de la famille », née en 1943 des amours de sa mère et d’un soldat. « Aujourd’hui, on peut le dire, à l’époque, non », lâche-t-elle.La grossesse fut cachée, le secret gardé. Jusqu’à ses 11 ans. Christine pensait être la fille du deuxième conjoint de sa mère.


Une affaire de femmes


Parmi les trois femmes, elle seule connaît le nom de Lucien Neuwirth. Celui qui était surnommé « le père la pilule » semble avoir connu une postérité plus discrète que Simone Veil et sa loi sur l’avortement de 1975.

Il y a cinquante ans, Christine venait d’accoucher de Chantal et elle ne s’est pas tout de suite sentie « concernée »« J’étais jeune mariée, je voulais avoir des enfants, se souvient-elle. Mais je pensais que la pilule allait apporter une liberté nécessaire. » Elle la prendra plus tard, après son deuxième enfant. « On s’est dit que pour le confort de la famille, deux enfants, c’était bien », explique-t-elle.Puis, ayant beaucoup grossi, elle optera pour un stérilet.

La liberté dont Christine parle, c’est sa fille Chantal qui en a vraiment profité la première. Elle fut d’abord emmenée d’office chez le gynécologue à 18 ans. Chantal passait le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) loin de la maison. Christine redoutait un « problème »« Ça aurait été dommage qu’elle gâche sa vie », justifie-t-elle.

Des trois, c’est Chantal qui parle de la pilule avec le plus d’enthousiasme. « Elle nous a donné le choix : choix de faire des études, choix du mari, choix de ne plus avoir d’enfants si on n’en voulait plus, résume-t-elle. Par contre, ce sont des choix féminins. J’ai toujours pris les décisions seules. » C’est toujours vrai. La contraception reste une affaire de femmes.

Alors que sa mère avait exercé seulement quelques années comme infirmière avant de se consacrer complètement à ses enfants, Chantal veut travailler. Elle s’oriente vers les maths et l’informatique. Nous sommes à la fin des années 1980. « A la fac de sciences, déjà au départ, il y avait très peu de filles, se souvient-elle. Plus le temps passait, moins il y en avait. Elles se mettaient en couple et avaient des enfants. Je me disais que moi, je n’arrêterai pas. »

Les effets secondaires du cachet ? Elle n’en ressent aucun. « Aujourd’hui, on entend dire : “je ne prends pas la pilule parce que j’ai peur des conséquences”, mais moi je trouvais ça super !,s’exclame-t-elle. Je ne l’oubliais pas, c’était simple et pratique. La seule contrainte, c’était d’aller chez le médecin régulièrement. »


Un discours méfiant


Chantal n’a pas besoin d’aller bien loin pour entendre un discours méfiant sur la pilule. Elle a emmené sa fille chez sa gynécologue quand Emilie avait 17 ans, comme sa mère avant elle, la même peur de la grossesse non désirée à l’œuvre. « Elle voulait aller dormir chez son petit copain, j’ai dit O.K. si tu prends la pilule », tranche Chantal.

Emilie a continué pendant un an, puis s’est posé des questions. C’était en pleine crise des pilules de troisième et quatrième générations. Une jeune femme avait déposé plainte après un accident vasculaire cérébral. « Le fait de prendre tous les jours un médicament me mettait mal à l’aise,souligne la jeune femme. Avec mes amies, on en parlait beaucoup. » La gynécologue de sa fac l’a orientée vers un praticien qui pose des stérilets sur des jeunes femmes sans enfant.

Arrêter la contraception est plus compliqué qu’avec la pilule, mais Emilie n’est pas pressée d’avoir des enfants. Sa grand-mère a eu le premier à 23 ans, sa mère à 26 ans. Et elle ? « Je pense continuer en thèse de mécanique des fluides, réfléchit-elle, perplexe. Ensuite, il y a l’entrée dans la vie active. » Une pause. « 35 ans ? » « N’attends pas trop tout de même ! », intervient sa grand-mère. « On parle de contraception, mais aujourd’hui, il y a des gens qui font des calculs pour avoir des enfants, renchérit sa mère. Une procréation médicalement assistée, ça peut briser un couple. »

Emilie poursuit. « De toute façon, aujourd’hui, les relations amoureuses changent. » Nouveaux signes d’inquiétude chez les deux aînées. Christine vit depuis cinquante ans avec le même homme, Chantal, vingt-cinq. « A mon époque, le schéma c’était : on rencontre quelqu’un, on s’installe, on fonde une famille avant 30 ans, relate la dernière. Si ça ne va pas avec le mari, on s’accroche, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. »

Mais cela aussi a changé. « Il n’y a plus cette exclusivité, argumente Emilie. On voit avec qui on est bien, si ça dure ou pas. Le père de mes enfants, je ne vais peut-être pas rester avec lui toute ma vie. Je pourrai rencontrer quelqu’un d’autre après. » Elle ne craint pas de mener une vie très différente de sa grand-mère. Au contraire. « Cela donne plus de liberté, c’est le plus important. »

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