vendredi 3 novembre 2017

Prescrire moins pour soigner mieux, le nouveau défi de la médecine

Née aux Etats-Unis en 2012, l’initiative « Choosing Wisely », qui pousse les professionnels de santé à diminuer les prescriptions médicales, s’étend dans une vingtaine de pays, dont la France. Une philosophie pour lutter contre l’hypermédicalisation, tout en soignant mieux.

LE MONDE  | Par 

Ne pas demander de radiographie pour un mal de dos évoluant depuis moins de six semaines, sauf en cas de signaux d’alarme ; ne pas utiliser en routine des antibiotiques ­locaux sur une plaie chirurgicale ; ne pas pratiquer de frottis cervico-vaginal chez les femmes de moins de 21 ans ou qui ont eu une ablation de l’utérus pour une maladie non cancéreuse… Bref, prescrire moins et à meilleur escient examens complémentaires, médicaments et autres traitements médicaux ou chirurgicaux.


Voici la philosophie du programme américain « Choosing ­Wisely » (« choisir avec soin »), qui comporte quelque 500 recommandations destinées aux professionnels de santé et au public. L’initiative, qui a démarré en 2012, se décline dans une vingtaine de pays dont le Canada, le Brésil, l’Australie, l’Inde, le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne, et la France.


Une évolution de la culture médicale venue du terrain


Avec cinq ans de recul, trois chercheurs de l’université du Michigan tirent un premier bilan du volet américain du mouvement dans la revue Health Affairs de novembre. « Choosing Wisely a été motivé par l’idée que les professionnels de santé et les sociétés savantes devraient prendre l’initiative de définir quand des tests ou des traitements ne sont pas nécessaires ou qu’ils sont délétères, expliquent Eve Kerr et ses deux coauteurs. L’accent a été mis en grande partie sur le changement de la culture médicale, qui a longtemps épousé la croyance qu’en matière de soins, le plus est le mieux. »

Une évolution de la cultu­re médicale qui passe aussi par la sensibilisation des patients à cette lutte contre l’hypermédicalisation.

«  Il s’agissait d’éviter le gaspillage sans limiter les soins nécessaires aux patients.  »

L’idée est partie d’un article paru dans le New England Journal of ­Medicine, en 2009, « pointant la ­nécessité d’une démarche éthique autant qu’économique pour accompagner la réforme du système de santé, résumait le docteur ­Francis Abramovici dans la revue Médecine, en avril 2016. Il s’agissait d’éviter le gaspillage sans limiter les soins nécessaires aux patients ». La part des dépenses de santé inutiles était alors estimée à 30 % aux Etats-Unis – un pourcentage comparable aux évaluations en France. Dans le contexte de la loi Obamacare, « l’auteur proposait que toutes les spécialités médicales identifient le “top 5” des soins superflus les plus dispendieux, en toute indépendance d’une obligation comptable ou réglementaire, et ce afin d’éviter la perte de confiance des patients vis-à-vis d’une réforme accusée de limiter certains soins », poursuivait M. Abramovici.

Reprenant ce principe du top 5, Choosing Wisely a été lancé en 2012 par l’American Board of ­Internal Medicine (ABIM), une fondation regroupant des médecins internistes, et Consumer Reports, une organisation non gouver­nementale s’appuyant sur des consommateurs. A l’époque, aux Etats-Unis, la facture des soins non pertinents était de l’ordre de 200 milliards de dollars.

Créé avec neuf sociétés savantes et 45 recommandations, le programme collabore désormais avec 75 sociétés savantes, qui ont édicté 500 recommandations. Celles-ci sont accessibles sur Internet (Choosingwisely.org) ou grâce à une application gratuite, avec une version pour les professionnels de santé et une autre pour le public.


Les premiers résultats concrets

En cinq ans, Choosing Wisely s’est bien implanté aux Etats-Unis, et commence à obtenir des résultats concrets, notent les auteurs de l’article de Health Affairs. Par exemple, une étude a retrouvé une tendance à la baisse des examens d’imagerie pour lombalgies. Mais il reste beaucoup à faire. Ainsi, même quand les médecins sont engagés dans ce programme, il leur faut convaincre leurs patients dont beaucoup s’inquiètent d’avoir moins d’examens et de médicaments.

Pour passer à la vitesse supérieure, les trois universitaires américains font une série de propositions. Ils préconisent notamment de concentrer les nouvelles recommandations sur les mauvaises pratiques les plus fréquentes, de faire davantage travailler ensemble les sociétés savantes, et d’évaluer plus rigoureusement l’impact des recommandations.


La France, séduite elle aussi


L’approche séduit aussi en France. Au CHU de Nantes, une ­déclinaison de Choosing Wisely, appelée « Prescrire avec soin », a été lancée au premier trimestre 2016, par la direction de la communication et le pôle de santé publique. 

Avec des praticiens du CHU, vingt-trois messages ont été élaborés concernant les prescriptions médicamenteuses, les examens radiologiques et biologiques, la transfusion sanguine… « Trois de ces recommandations figurent en infobulles (messages d’alerte) sur le logiciel de prescription de l’hôpital, et les premiers résultats semblent positifs », indique Damien Durand, interne en santé publique qui a travaillé sur le projet.

Parallèlement, onze messages sont repris dans un guide pour les internes, qui sera diffusé tout d’abord aux nouveaux arrivants, prenant leurs fonctions le 2 novembre.
« Quand un interne ­arrive dans un service, il se plie aux habitudes de celui-ci même si elles ne sont pas pertinentes, d’où l’idée de ce livret et de ses “11 prescriptions opposables à tes chefs” avec un ton décalé », explique M. Durand.

Implication de la FHF


Le mouvement devrait bientôt prendre de l’ampleur dans l’Hexagone. Le 18 mai, la Fédération hospitalière de France (FHF) a, en effet, signé une charte d’engagement avec Choosing Wisely pour piloter ce programme dans les ­hôpitaux publics français. Une ­démarche logique pour cette fédération engagée de longue date sur le sujet de la pertinence des actes et des soins. La FHF a mené plusieurs études pour sensibiliser les pouvoirs publics et faire évoluer les pratiques.

« Dans ce domaine, il y a deux approches, ­détaille Cédric ­Arcos, délégué général par intérim de la FHF. La première est institutionnelle, ce sont les règles de ­bonnes pratiques élaborées par des ­organismes comme la Haute Autorité de santé. L’in­convénient est que parvenir à des ­consensus prend beaucoup de temps, et l’appropriation par les professionnels reste ­généralement limitée. La deuxième approche, comme Choose Wisely, part du terrain. Elle amène les ­professionnels à faire évoluer leur ­pratique par eux-mêmes, ce qui est ­souvent mieux accepté. »

Dans cette première phase, la FHF prend ­contact avec des sociétés savantes pour les inciter à définir des ­recom­mandations prioritaires et sensibilise les hôpitaux.

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