vendredi 17 novembre 2017

« L’obligation d’emploi de personnes en situation de handicap a atteint ses limites »

Alain Rochon, président de l’Association des paralysés de France, explique pourquoi la seule pression sur les entreprises ne suffit pas.

LE MONDE ECONOMIE |  | Propos recueillis par 


Alain Rochon, président de l’Association des paralysés de France.

Alain Rochon, président de l’Association des paralysés de France. APF


Le président de l’Association des paralysés de France (APF), Alain ­Rochon, présente le bilan « emploi » des personnes en situation de handicap, à la veille de la 21e Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, qui se tient du 13 au 19 novembre. Il évoque des pistes pour redresser la situation.

Le taux de chômage commence à baisser en France, la croissance du PIB augmente, qu’en est-il pour les personnes ­en situation de handicap ?

Le constat est amer : le nombre de demandeurs d’emploi en situation de handicap ne cesse de progresser alors que leur taux d’emploi reste à la traîne. Seul un tiers est dans l’emploi, contre deux tiers pour les valides. Dans le secteur privé, le taux d’emploi des personnes en situation de handicap atteint péniblement les 3,3 % au lieu du quota de 6 % des effectifs requis par la loi de 1987 pour les entreprises d’au moins 20 salariés. Le secteur public fait un peu mieux avec un taux d’emploi de 5,17 %, mais avec des modalités de décompte différentes.

Enfin, 8 % des entreprises n’emploient aucune personne en situation de handicap et préfèrent payer. Elles doivent, en effet, verser une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) si elles ne répondent pas, en tout ou en partie, à l’obligation légale.


Pourtant le nombre de personnes handicapées qui sont en emploi, secteurs privé et public confondus, atteint presque le million, selon l’Insee…

Oui, et leur nombre a été multiplié par deux depuis 2005. Mais, en parallèle, 495 000 personnes en situation de handicap étaient inscrites à Pôle emploi à la fin mars 2017, et elles se trouvent dans les catégories les plus difficiles en termes d’emploi, à savoir les seniors et les chômeurs de longue durée.

Les demandeurs d’emploi handicapés restent beaucoup plus longtemps au chômage, avec 801 jours contre 597 pour l’ensemble de la population, ce qui représente six mois de plus. Ils sont 56 % à être chômeurs de longue durée (plus d’un an), et près d’un quart sont au chômage depuis au moins trois ans. Les plus de 50 ans paient un lourd tribut, puisqu’ils sont 48 % en recherche d’emploi, contre 25 % pour les ­seniors tout public.

Pourquoi l’amélioration de la conjoncture économique ne profite-t-elle pas à cette population ?

Le taux de chômage des personnes en situation de handicap est de 19 %, soit le double de celui de l’ensemble de la population. L’obligation d’emploi a atteint ses limites. Le problème ne sera pas résolu par la seule pression sur les entreprises.

Une partie de celui-ci se situe en amont du marché du travail. En effet, le déficit en matière de formation reste énorme. Ainsi, les jeunes handicapés sortent du système scolaire de façon prématurée, et 80 % de la population en situation de handicap a un niveau inférieur au bac. Or, moins les personnes sont qualifiées, plus elles risquent le chômage. Quant à celles qui poursuivent des études supérieures, elles sont rarement dans des filières porteuses.

Le taux de chômage des 15-24 ans en situation de handicap s’élève à 34 %, contre 26 % pour l’ensemble de cette tranche d’âge. Outre la difficulté d’accessibilité physique aux salles de classe se pose la question de l’accompagnement, de l’aménagement des programmes et des examens. En matière de formation continue, le problème est également compliqué avec, notamment, du matériel et des locaux qui ne sont pas toujours adaptés aux besoins de cette population.

D’autre part, les personnes handicapées sont encore et toujours victimes de discrimination à l’embauche et de préjugés tels que la présomption d’inefficacité. Le handicap est, après l’origine, la deuxième cause de discrimination et ce, principalement en matière d’emploi. Ainsi, les personnes en situation de handicap ont trois fois moins de chances d’être en emploi que les personnes non handicapées ayant le même profil, et deux fois plus de risques d’être au chômage.

Enfin, autre défi de taille, le maintien en poste des salariés qui développent un handicap au cours de leur carrière, à la suite d’une maladie ou d’un accident. Ce n’est pas encore un réflexe pour la plupart des entreprises, et la mise en œuvre de l’obligation de reclassement des employeurs est très largement améliorable. Actuellement, plus de 90 % des avis d’inaptitude sont suivis d’un licenciement. Il y a trop d’exclusion car peu d’efforts sont faits pour trouver une solution afin de garder le salarié dans l’entreprise, via par exemple des aménagements de poste ou des changements d’affectation.

Comment voyez-vous la situation évoluer ?

Heureusement, le regard que portent les entreprises sur le handicap change, mais lentement. Il reste encore tout un travail de sensibilisation à faire pour convaincre les patrons qu’un travailleur handicapé n’est pas un frein, qu’au contraire il peut être un catalyseur. Les opérateurs publics, comme Pôle emploi, ont, eux aussi, des progrès à faire. Les structures spécialisées ne sont pas forcément très performantes. Exemple de la lenteur des processus : nous attendons depuis dix ans l’arrêté pour l’accessibilité aux nouveaux espaces de travail. Ce qui signifie que les textes réglementaires actuellement en vigueur découlent de la réglementation de 1994 !

L’Association des paralysés de France a l’ambition de réduire le taux de chômage des personnes en situation de handicap de 50 % à l’horizon 2022. Comment comptez-vous y parvenir ?

Nous lançons des initiatives de proximité en commençant, entre autres, par l’information, car un des freins majeurs à l’emploi est l’absence de connaissance du rôle des différents acteurs. Nous donnons le coup d’envoi, le 16 novembre, de la collection APF « L’emploi et moi », une série de courtes vidéos pédagogiques pour découvrir le rôle des différents acteurs (Agefiph, ­Défenseur des droits, missions locales…).

En 2018, nous allons, dans une optique de développement des compétences, faciliter l’accès aux formations dans le numérique. Il s’agit de métiers porteurs en recherche de compétences. Ici, il n’est pas question de diplôme ou d’expérience, mais d’appétence.

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