lundi 13 novembre 2017

La psychiatrie, parent pauvre de la santé



Par Anne Kanaan| Publié le 13/11/2017

On dit que l’hôpital Philippe Pinel à Amiens souffre. Que se cache-t-il derrière ces murs ? Quelle place accorde-t-on à la psychose aujourd’hui ?


Clément Mankowski et Delphine font le tour des chambres. Ils se rendent dans les deux chambres d’isolement que compte l’unité des Primevères.

Ces longs murs de brique qui bordent la route entre Amiens et Dury attisent curiosité et fantasmes. On dit que l’hôpital spécialisé Philippe-Pinel va mal. Qu’il croule sous les dettes. Que les psychiatres le fuient. Que les infirmiers ont des difficultés à y exercer leur métier. Mais les patients, comment évaluent-ils leur prise en charge ? Clément Mankowski, un infirmier de 29 ans y travaille depuis 6 ans. Il sera notre guide dans cet hôpital que les habitants d’Amiens et alentours appellent communément « Pinel ».


Ce lundi 6 novembre s’annonce plutôt calme pour l’unité d’entrée les Primevères, avec 22 patients pour trois soignants. «  Certains jours, nous pouvons avoir plus de 25 patients pour deux infirmiers  », souligne Clément. Depuis la fermeture de certains services (trois actuellement et potentiellement deux dans le futur), les patients qui arrivent à l’unité d’accueil et d’orientation (UAO) sont répartis dans les autres, alors souvent c’est le rush. «  Regardez dans cette chambre, il y a trois lits alors que c’est une chambre individuelle.  »
Mais les patients de cette chambre ne se plaignent pas. «  Je suis là pour aller mieux et me faire soigner, que je sois seul ou à trois dans la chambre m’importe peu. Au moins nous pouvons discuter et avoir de la compagnie  », confie un patient schizophrène. De la compagnie, une oreille a qui parler, voilà ce que recherche Fabrice (prénom changé), 38 ans. Un événement de la vie l’a conduit à entendre des «  voix puissantes  », qu’il essaye de maîtriser avec l’aide des soignants.
Il nous parle de l’hôpital psychiatrique de ses rêves. «  Le côté humain est délaissé, l’accent est mis sur les médicaments et non sur la thérapie. J’aimerais pouvoir aller dans le parc autour et travailler la terre, m’ancrer dans la réalité. Mais avec les normes et les problèmes financiers, ce n’est pas possible. »
Clément, l’infirmier, presque nostalgique d’un temps qu’il n’a pourtant pas connu, ne peut rester insensible à ces propos. «  Quand je parle avec des infirmiers qui sont là depuis plus de 15 ans, ils me disent qu’avant, quand un patient était en grande souffrance, agité, ils prenaient le temps de s’asseoir avec lui pendant quelques heures, de discuter. Aujourd’hui, je n’ai plus l’impression d’exercer mon métier comme il se doit. Nous n’avons plus le temps. J’ai l’impression que ma fonction se limite parfois à du gardiennage. En ce sens, c’est presque maltraitant.  »
Cela se confirme quand le dispositif de protection des travailleurs isolés (PTI) que Clément a en permanence dans la poche de sa blouse, se met à sonner précipitamment vers 11 heures. «  Allez viens, on y va, il y a une urgence, un collègue a besoin de nous  », me lance-t-il. Il court, sans savoir ce qui se passe. Un homme de haute taille, vêtu d’un pyjama bleu, court en criant : «  Je suis prêt à casser la gueule de tout le monde si vous ne me laissez pas sortir. Je veux voir le médecin. » Derrière lui, deux infirmières, frêles, tentent de le rattraper. C’est alors que Clément arrive à leur niveau. Ils réussissent à renvoyer le patient vers sa chambre. Ils décident de ne pas lui faire d’injection, mais de lui donner un sédatif par gouttes. Le temps de lui parler, ils le trouveront à peine. Faute aux coupes budgétaires imposées à l’hôpital ? Certainement, mais pas seulement.
«  Je ne reconnais plus mon métier, estime Jean-Christophe Boucherit, psychologue clinicien. Il a évolué dans le sens de la rationalisation de la maladie mentale, comme si c’était des maladies comme les autres alors qu’elles touchent à l’essence même d’un être humain. » Pour le psychologue, ce qui plombe aussi le travail des soignants c’est la gestion des malades. «  O n ne laisse plus le temps aux gens d’être malade . Les temps d’hospitalisation doivent être de plus en plus courts. Les infirmiers passent un temps phénoménal à faire des démarches administratives qui visent à comptabiliser leurs actes. Tout doit être compté, calculé. Ici, je ne trouve que de la détresse et de la souffrance, mais on voudrait nous imposer de ne plus souffrir. On donne des sédatifs pour calmer le problème rapidement. On ne prend plus le temps de laisser le délire s’exprimer pour observer et apporter la meilleure prise en charge. »
Nathalie Dupont, cadre de santé, s’interroge : «  Aujourd’hui, les infirmiers psychiatriques suivent la même formation que n’importe quel autre infirmier, c’est une des raisons du problème. À force de vouloir normaliser la folie, taire les délires, faire intervenir le judiciaire dans les prises en charges, ne sommes-nous pas tout simplement en train de revenir vers l’asile, de priver de vie extérieure toute personne souffrant de troubles mentaux ? Où est la place de la psychose à l’heure actuelle ? »
C’est cette question qui conclura les instants passés au sein de l’hôpital Philippe-Pinel. Il semble que la psychiatrie en France a pour vocation de rester le parent pauvre de la santé à une heure où de plus en plus de maladies sont détectées… Anne KANAAN
Pinel pourrait-t-il reprendre vie?
Dix millions de dettes, des services qui ferment, un manque de personnel... Il est indéniable que l’hôpital Philippe-Pinel d’Amiens va mal. Mais pour le directeur, Elio Mélis, il est important d’éviter les clivages. «  J’ai commencé tout en bas de l’échelle. Aujourd’hui, je suis directeur et il n’y a pas un dossier que je ne traite sans penser aux patients. Si on est là pour découper l’hôpital, on se trompe. La médecine est en souffrance, l’important aujourd’hui, c’est que nous avancions tous ensemble, administration, soignants, pour apporter aux patients la meilleure prise en charge. C’est notre cœur de métier.  »

« L’objectif n’est pas que les patients soient hospitalisés à vie. »

Pour le directeur, si certains services ont fermé c’est parce que «  les patients doivent être traités dans la phase aiguë de leur pathologie pour ensuite réintégrer la société ». « L’objectif n’est pas qu’ils soient hospitalisés à vie. Nous avons donc décidé de développer davantage l’extra. Nous devons faire usage des fonds publics de la manière la plus rationnelle.  »
Dans le cadre du plan de santé pour les 5 années à venir (2018/2022), « l’unité d’hospitalisation complète pour adulte (UPA) du CHU Nord sera ramenée ici, l’unité d’accueil et d’orientation (UAO) va être déménagée sur des locaux de 1 000 m2 contre 400m2 actuellement, ce qui permettra d’améliorer l’accueil des patients et les conditions de travail des soignants.  »
Une unité d’hospitalisation de pédopsychiatrie – avec création d’emplois à la clé – devrait également être créée si l’hôpital en obtient l’autorisation. Mais pour le moment la direction ne tient pas à communiquer sur le sujet.
A.K

80% de l’activité de l’hôpital se fait à l’extérieur

Par Le Courrier PicardMonday, Novembre 13, 2017
Vendredi 10 novembre, 7 heures, le rendez-vous est donné rue du Vivier, à Amiens, avec Christel Sagez, infirmière de l’équipe mobile psychiatrique de soin intensif à domicile (EMPSID), rattachée au pôle sud de l’hôpital Philippe-Pinel. «  Nous allons voir les patients à leur domicile tous les jours, même le week-end. Nous assurons la bonne prise du traitement et le suivi psychique mais nous les aidons aussi dans leur vie quotidienne, que ce soit pour les courses, l’achat de vêtements et même changer les ampoules !  », explique Christel Sagez. Ce vendredi matin, elle se rend dans le quartier Pierre-Rollin. Elle y rencontrera, entre autres, Brigitte et Dorine, deux colocataires qui ont bien connu les murs de Pinel.
«  J’ai passé une dizaine d’années à l’hôpital. C’étaient des périodes entrecoupées entre hospitalisations et suivis externes. Au début, je ne voulais pas sortir du centre hospitalier, je m’y sentais en sécurité. Finalement j’ai obtenu cet appartement et je m’y sens bien et libre  », raconte Dorine – qui souffre de troubles psychologiques sur lesquels elle ne souhaite pas s’étendre. Cest une forte dépression qui a conduit Brigitte, mère de deux enfants, à l’hôpital il y a de cela 4 ans. Après un séjour de deux ans, elle retrouvera finalement le chemin de la vie en société. «  Je ne mangeais plus, je restais toute la journée dans mon lit. Aujourd’hui ça va mieux. On se motive toutes les deux car nous faisons tout ensemble.  »
Les douze infirmiers de l’équipe mobile du pôle sud ont à leur charge 39 patients. Un nombre plus important de soignants qu’en intra (au centre hospitalier) qui fait que Christel se sent privilégiée. «  Bien sûr il n’y a pas assez de médecins et les équipes ne sont pas assez étoffées. Bien sûr nous sommes contraints par les normes et les démarches administratives à n’en plus finir. Mais par rapport aux infirmiers qui travaillent en intra, nous ne pouvons pas à nous plaindre... Même si j’ai quand même parfois un sentiment de ne pas faire mon métier comme il se doit. »
En marge des équipes mobiles de soin intensif, les équipes des centres médico psychologiques vont chez les patients. Malgré toutes les difficultés Christel ne se voit pas faire autre chose. «  La psychiatrie on ne sait pas pourquoi on tombe dedans mais on sait pourquoi on y reste. On s’attache aux patients, c’est un métier qui touche l’humanité car chacun de nous peu un jour être susceptible de basculer dans la folie. »
A.K

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