mardi 28 novembre 2017

La France « toujours à la pointe du féminisme » ? Pas vraiment

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, a avancé que la France était un pays de tradition féministe. Au mépris d’évidences historiques.

LE MONDE  | Par 

Invité de France Inter, lundi 27 novembre, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a affirmé que la France « a toujours été à la pointe du féminisme ». « La langue française, en tant que telle, ne saurait être accusée d’avoir produit un quelconque antiféminisme, sinon je ne vois pas pourquoi la France serait toujours à la pointe du féminisme. […] Nous sommes un pays qui valorise la femme », a-t-il avancé.


Pourtant, affirmer que la France est un pays de tradition féministe relève du sophisme. Tour d’horizon des raisons pour lesquelles la France ne se situe pas, hélas, « à la pointe du féminisme ».


Egalité des salaires : encore du chemin


Si la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dispose que les deux sexes doivent accéder à l’égalité salariale, la réalité est plus complexe — et plus inégalitaire. En mars, nous relevions que le revenu salarial des femmes est toujours inférieur de 24 % à celui des hommes — et que 42 % d’écart séparaient les hommes des femmes dans les droits à la retraite.

Les disparités en matière de salaire s’observent dès l’entrée des femmes sur le marché du travail. A ce titre, l’enquête d’insertion des jeunes diplômés de Sciences Po Paris parue en 2015 est éclairante : le salaire moyen annuel des diplômées s’élève à 34 000 euros, contre 41 000 euros chez les hommes titulaires du même diplôme.

Ailleurs en Europe, les disparités salariales entre hommes et femmes sont moins criantes — ou mieux encadrées par la loi. En Italie, en Belgique et en Pologne, les femmes gagnent respectivement 5,5 %, 6,5 % et 7,7 % de moins que les hommes — la moyenne européenne de cette disparité est de 16,3 %.


Parité politique : la France quinzième mondiale


Selon le Forum économique mondial, la France a continué de progresser dans la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, grâce notamment à ses progrès en matière d’égalité dans le domaine politique.

Visée par des responsables politiques, cette dernière est cependant encore loin d’être acquise. En France, les élues représentent rarement plus de 40 % des assemblées et conseils… à l’exception des conseils départementaux, où la loi impose la parité.

Les femmes représentent 38,8 % des élus de l’Assemblée nationale, un record dans l’histoire du Palais-Bourbon, mais encore loin d’autres pays, comme le Rwanda, par exemple, où siègent 61,3 % de femmes à la chambre basse, ou encore le Mexique, où elles sont 42,6 %.

Selon un classement établi par l’Union interparlementaire (qui dépend de l’ONU), la France est classée quinzième mondiale s’agissant de parité politique dans les assemblées élues assurant la représentation du peuple. Contrairement à d’autres pays, comme l’Allemagne ou le Brésil, la France n’a jamais eu de femme à la tête de l’Etat. Et le gouvernement actuel, s’il tente de respecter la parité (douze hommes et onze femmes) n’octroie toutefois des ministères de plein exercice qu’à huit d’entre elles, les autres étant des secrétaires d’Etat.


Violences faites aux femmes : la France mal classée en Europe


225 000 femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint, 84 000 femmes victimes de viol ou de tentative de viol, contre 765 hommes condamnés pour viol sur une année. Les derniers chiffres publiés par le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes rappellent l’étendue des violences subies par les femmes aujourd’hui.

Une étude publiée par l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2014 montrait ainsi qu’en France 44 % des femmes déclaraient avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles — contre 22 % en moyenne en Europe. Notre pays se classait dans le « peloton de tête » européen des violences envers les femmes, avec le Royaume-Uni ou la Hollande, loin devant la Pologne (19 %) ou le Portugal (24 %).

Rappelons également que, au cours de l’année 2016, 109 femmes ont été assassinées par leur partenaire.


Droit de vote : tardif en France


Les chiffres précédents concernent la situation actuelle. En regardant les avancées passées pour les droits des femmes, difficile également de dire, à l’instar de Jean-Michel Blanquer, que la France a « toujours » été à la pointe du féminisme.

Le droit de vote pour les femmes, par exemple, n’a été obtenu qu’en avril 1944, grâce à une ordonnance signée de la main du général de Gaulle. Pendant l’entre-deux-guerres, la question de l’accès au vote des femmes s’est posée par le biais de six propositions de loi. Ces dernières furent toutes retoquées par le Sénat, dominé par le Parti radical, qui jugeait les femmes plus promptes à exprimer un vote conservateur.

Dès 1893, la Nouvelle-Zélande accordait le droit de vote aux femmes — suivie par l’Australie, en 1902, la Norvège, en 1913, le Danemark et l’Islande en 1915, le Canada, le Royaume-Uni et la Russie, en 1918, les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la Suède, en 1919, l’Albanie, l’Autriche, la Hongrie en 1920… sans oublier la Turquie, en 1934. En tout, une cinquantaine de pays ont accordé le droit de vote aux femmes avant la France.


Droit à la contraception : tardif en France


La France était bien loin d’être une terre de cocagne pour les droits des femmes jusque dans les années 1960. La vente de contraceptifs n’est autorisée qu’en 1967, par la loi Neuwirth — après d’âpres débats. Ainsi, le député Jean Coumaros adressait-il à l’hémicycle cette mise en garde :
« Ces effusions périront dans le néant. Les maris ont-ils songé que désormais c’est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants en absorbant la pilule, même à leur insu ? Les hommes perdront alors la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront plus qu’un objet de volupté stérile. »
Le droit à la contraception était pourtant effectif dans plusieurs pays auparavant, sans que les femmes y soient devenues des « objets de volupté stérile » : la pilule était autorisée en vente libre en Angleterre dès les années 1940, et fut commercialisée pour la première fois en Allemagne fédérale en 1956.


Droit à l’avortement : tardif en France


La France, pays des Lumières et de Simone Veil, a-t-elle été la chef de file de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans le monde ? Pas vraiment, à la comparer avec ses voisins.

La contraception et l’avortement sont interdits en 1920 en France, pour combler les lourdes pertes démographiques liées à la Grande Guerre. Le second devient, sous le gouvernement de Vichy, en 1942, un « crime contre l’Etat » passible de la peine de mort. Deux personnes furent exécutées pour ce motif : la célèbre « faiseuse d’anges » Marie-Louise Giraud et un homme responsable de trois avortements clandestins, Désiré Pioge.

Plus de trente ans plus tard, le 26 novembre 1974, quand Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre la loi qui porte son nom, l’hémicycle résonne d’insultes misogynes et antisémites. La ministre de la santé voit son domicile maculé de croix gammées et rapporte, dans ses Mémoires, que certains parlementaires apportaient à l’Assemblée des fœtus dans des bocaux de formol, ou que le député René Feït y diffusait les battements de cœur d’un fœtus de quelques semaines — non sans avoir affirmé que le projet de loi ne manquerait pas de faire « chaque année deux fois plus de victimes que la bombe d’Hiroshima » s’il venait à être adopté.

La France n’était pourtant pas la première à engager la question de l’autorisation de l’IVG : cette dernière avait été obtenue, avec succès, dans bien d’autres pays, bien des années auparavant. Citons pour l’exemple l’Union soviétique (1920), la Suède (1938) et le Japon (1948). L’avortement a également été rendu légal jusqu’à trois mois de grossesse en Tunisie en 1973, un an avant la France.

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