lundi 23 octobre 2017

« Il faut imposer des cours d’éducation sexuelle dès le collège »

Dans une tribune au « Monde », l’ancienne attachée parlementaire Sophie Cahen rappelle que la majorité des victimes de viols sont des mineurs et estime que l’école doit avoir un rôle majeur pour libérer la parole des enfants et les sensibiliser sur ces questions.

LE MONDE  | Par 

Tribune. Twitter. Plus de 21 millions d’abonnés en France. Combien de femmes ? Combien de Tweet avec le hashtag #BalanceTonPorc ? En vérité, j’aimerais bien qu’on me cite une femme qui n’aurait jamais été victime de harcèlement sexuel.

J’ai imaginé avec délectation la difficulté pour les conseillers en communication des cabinets ministériels à construire des éléments de langage qui concilient soutien à la parole des femmes et dangers de la délation. Peut-on accepter qu’un Tweet se substitue à un procès-verbal ? La loi du talion ferait ainsi son grand retour en 140 caractères. J’en connais beaucoup qui ne doivent plus faire les malins.

La secrétaire d’Etat aux droits des femmes, Marlène Schiappa, a trouvé la parade en proposant de judiciariser le harcèlement de rue. Formidable ! Je passerai désormais mes journées au commissariat.

J’ai néanmoins un regret dans cet emballement médiatique : quitte à lever les tabous, autant aller jusqu’au bout. Les violences sexuelles faites aux femmes, soyons francs, ne sont plus un mystère pour personne. Si elles constituent effectivement le premier étage d’une fusée, le second étage, lui, est autrement plus terrifiant.


124 000 filles et 30 000 garçons victimes chaque année


En France, les études de victimisation (notamment l’enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, conduite en 2015 auprès de 1 200 victimes de violences sexuelles par l’association Mémoire traumatique et victimologie avec le soutien de l’Unicef France) montrent que 59 % des femmes et 67 % des hommes victimes de viols et de tentatives de viols sont mineurs. Soit 124 000 filles et 30 000 garçons chaque année, dont 51 % avant l’âge de 11 ans, 23 % avant 6 ans.

Moins de 20 % déclarent avoir été reconnus comme victimes et protégés, et 30 % en cas de plainte. 94 % de ces violences sont commises par des proches et 54 % par des membres de la famille. Sur 100 agressions sexuelles, 10 font l’objet de poursuites pénales, qui déboucheront sur 1 condamnation. Soit 1 %. Les agresseurs, essentiellement des hommes (dont le quart sont des mineurs), bénéficient presque d’une totale impunité.

Dans l’écrasante majorité des cas, les violences sexuelles sur mineurs ont de graves conséquences sur la santé mentale des jeunes victimes, même si la gravité de ces conséquences psycho-traumatiques est encore trop méconnue, de même pour les conséquences sociales sur l’apprentissage, les capacités cognitives, la socialisation, les risques de conduite asociales et de délinquance.

Régulièrement, la pédophilie fait parler d’elle à travers des faits divers et des procès plus sordides les uns que les autres. A contrario, cette pédophilie du quotidien qui touche 1 enfant sur 5 reste, hélas pour ses victimes, parfaitement taboue, comme le rappelait la psychiatre Muriel Salmona dans son ouvrage Le Livre noir des violences sexuelles (Dunod, 2013). Soyons honnêtes ! Qui connaît ces chiffres ?


L’école devrait permettre de libérer la parole


Le président de la République a fait de l’école son cheval de bataille. Alors, de l’école, parlons-en ! Sur 5 590 000 collégiens et lycéens, on peut ainsi estimer que près de 1 million auront subi des violences sexuelles avant leur majorité. Soit, dans une classe de terminale, 5 élèves sur 25, si on se réfère à la moyenne des effectifs par classe. J’appelle cela un scandale de santé publique. Avec son cortège de conséquences : échecs scolaires, dépressions, addictions…

A la lumière de ces chiffres, pourra-t-on éternellement réserver l’éducation sexuelle et affective à la sphère familiale ?

De fait, ce débat sur les violences sexuelles faites aux femmes qui enflamme la Toile et mobilise les stars de cinéma devra nécessairement se tenir dans l’école. Libérer la parole n’est pas aussi facile qu’on le veut lorsqu’il s’agit d’un père, d’un oncle ou d’un grand-père. Twitter n’est certainement pas la solution. Mais j’ose espérer que l’école pourra l’être un jour, en ce qu’elle est susceptible d’offrir un espace de parole protégé pour l’enfant qui veut se libérer.


Une politique publique contre la pornographie


Pour ce faire, il sera sans doute nécessaire d’imposer des cours d’éducation et de prévention sexuelle dans tous les établissements, et ce, dès l’entrée au collège. De même, nous ne pouvons plus faire l’économie d’une véritable politique publique de lutte contre les ravages de la pornographie sur les représentations féminines des jeunes (et moins jeunes) générations (un enfant a en moyenne 11 ans quand il est exposé pour la première fois à de la pornographie). Quant aux personnels de l’éducation nationale, que faisons-nous aujourd’hui pour les accompagner, les soutenir et les former à lutter contre cette réalité abjecte ?

La secrétaire d’Etat aux droits des femmes a annoncé qu’un projet de loi « contre les violences sexistes et sexuelles » sera présenté en 2018 au Parlement. Un exemple type de compilation du « fait divers fait loi » : judiciarisation du harcèlement de rue, à la suite de la dénonciation de femmes harcelées dans le quartier de La Chapelle à Paris, allongement des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs, à la suite du combat mené par Flavie Flament à l’occasion de la sortie de son livre « La Consolation » (JC Lattès, 2016), instauration d’un non-consentement présumé des enfants en matière de relations sexuelles, à la suite de l’affaire de la petite Sarah, en 2017, dont l’agresseur devrait être jugé en février 2018 pour « atteinte sexuelle » et non pour viol.

Espérons que ce projet de loi, au-delà de la prise en considération politique de la charge émotionnelle suscitée par ces différents faits divers, soit l’occasion de briser une bonne fois pour toutes cette loi du silence qui consiste à ne pas faire savoir que trop d’enfants sont victimes de violences sexuelles et que ces violences ont des répercutions dramatiques pour eux, et pour l’ensemble de notre société.

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