mardi 17 octobre 2017

En trente ans, près de 80 % des insectes auraient disparu en Europe

Ce déclin catastrophique est dû à l’intensification des pratiques agricoles et au recours aux pesticides. Il menace la chaîne alimentaire.

LE MONDE Par 

Un monarque, papillon migrateur, en Californie, en 2014.
Un monarque, papillon migrateur, en Californie, en 2014. MICHAEL FIALA / REUTERS

En moins de trois décennies, les populations d’insectes ont probablement chuté de près de 80 % en Europe. C’est ce que suggère une étude internationale publiée mercredi 18 octobre par la revue PLoS One, analysant des données de captures d’insectes réalisées depuis 1989 en Allemagne ; elle montre en outre que le déclin des abeilles domestiques, très médiatisé par le monde apicole, n’est que la part émergée d’un problème bien plus vaste. « Nos résultats documentent un déclin dramatique des insectes volants, de 76 % en moyenne et jusqu’à 82 % au milieu de l’été, dans les aires protégées allemandes, en seulement vingt-sept ans, écrivent Caspar Hallmann (université Radboud, Pays-Bas) et ses coauteurs. Cela excède considérablement le déclin quantitatif, estimé à 58 %, des vertébrés sauvages depuis 1970. » Le facteur majeur permettant d’expliquer un effondrement aussi rapide, avancent les auteurs, est l’intensification des pratiques agricoles (recours accru aux pesticides, aux engrais de synthèse, etc.).


Formellement, les mesures publiées ne concernent que l’Allemagne. « Mais la France ou le Royaume-Uni ont des systèmes agricoles très semblables et qui utilisent les mêmes intrants qu’en Allemagne, explique Dave Goulson (université du Sussex, Royaume-Uni), coauteur de ces travaux. On ne peut pas l’affirmer, mais je dirais donc qu’il y a une bonne chance pour que l’Allemagne soit représentative d’une situation bien plus large. Si c’est effectivement le cas, alors nous sommes face à une catastrophe écologique imminente. » Cet effondrement rapide de l’entomofaune, préviennent en effet les chercheurs, a un impact de grande magnitude sur l’ensemble des écosystèmes – les insectes formant l’un des socles de la chaîne alimentaire.

En France, de telles données n’ont pas fait l’objet de publication récente. Mais la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre du CNRS, une zone de recherche située dans les Deux-Sèvres, dispose d’un site sur lequel un suivi régulier est effectué depuis plus de deux décennies. « L’exemple que je donne souvent est celui des carabes, notamment l’espèce Poecilus cupreus, le plus abondant des milieux agricoles, puisque 70 % des individus capturés dans le cadre de notre suivi appartiennent à cette espèce, explique l’écologue Vincent Bretagnolle, chercheur (CNRS) qui travaille sur la Zone Atelier. Or, en nombre d’individus capturés, il a diminué de 85 % en vingt-trois ans. » Soit des chiffres plus alarmants encore que ceux publiés par Caspar Hallmann et ses coauteurs, à partir de données allemandes.


« Gros travail statistique »


Celles-ci forment la première évaluation du genre. « Généralement, ce type de travail est conduit sur un taxon, ou sur une espèce particulière, explique Bernard Vaissière (INRA), spécialiste de la pollinisation et des abeilles sauvages, qui n’a pas participé à ces travaux. Ici, c’est la première fois que l’évolution de la biomasse totale d’insectes est évaluée. C’est un travail solide, cohérent avec ce que nous savons sur certaines espèces, des papillons par exemple, mais le chiffre n’en est pas moins énorme. On m’aurait dit cela il y a dix ans, je ne l’aurais pas du tout cru. »

Une grande part du travail des chercheurs a été de rassembler de nombreuses mesures d’abondance d’insectes réalisées entre la fin des années 1980 et 2016, dans 63 aires protégées d’Allemagne. Toutes ces mesures ont été faites grâce à des « tentes Malaise » (du nom de leur inventeur René Malaise) – des pièges non sélectifs utilisés par les entomologistes depuis près d’un siècle. « Les auteurs ont ensuite fait un gros travail statistique pour chercher des liens entre la diminution de l’abondance des insectes et différents facteurs comme la température, les sols, la biodiversité végétale sur le site, les changements du paysage environnant, explique Bernard Vaissière. Or ces facteurs interviennent localement, mais ne peuvent pas expliquer le déclin au cours du temps. »


Intensification agricole


Parfois, c’est même le contraire. En théorie, l’augmentation de la température est par exemple un facteur favorisant l’abondance d’insectes, et, depuis trente ans, les températures moyennes ont grimpé avec le changement climatique. Mais les insectes n’en disparaissent pas moins. « Notre analyse permet d’écarter certains facteurs, comme le changement climatique ou la perte de biodiversité végétale, qui sont parfois avancés pour expliquer le déclin des insectes », détaille M. Goulson. Enfin, la responsabilité des pathogènes naturels (virus, parasites, etc.) peut également être écartée puisque tous les insectes sont touchées par le déclin, quelle que soit leur espèce.

Les changements de pratiques des agriculteurs forment donc, selon les chercheurs, l’explication la plus plausible à l’effondrement en cours. D’autant que 94 % des aires protégées sur lesquelles l’abondance d’insectes a été mesurée se trouvent au milieu de zones de cultures. En outre, écrivent les chercheurs, d’autres travaux récents mettent en évidence que « l’intensification agricole, dont la disparition des marges des parcelles et les nouvelles méthodes de protection des cultures sont associées à un déclin général de la biodiversité des plantes, des insectes, des oiseaux et d’autres espèces ».

Parmi les « nouvelles méthodes de protection des cultures », le traitement par enrobage des semences, grâce aux fameux insecticides néonicotinoïdes, est le principal suspect. « Il existe une variété de moyens par lesquels ces substances peuvent passer des zones cultivées vers des zones sauvages et des aires protégées », confirme Alexandre Aebi, chercheur à l’université de Neuchâtel (Suisse). Une étude récente conduite par le chercheur suisse a montré, à partir d’un échantillonnage de 200 miels récoltés sur les cinq continents, que des résidus de néonicotinoïdes y étaient omniprésents. Or le miel, formé à partir du nectar des plantes mellifères, est un bon indicateur de l’imprégnation générale de l’environnement. « Nous avons relevé dans ces miels une teneur moyenne de 1,8 microgramme de néonicotinoïdes par kilo, précise M. Aebi. C’est plus de dix fois au-dessus du seuil à partir duquel des effets délétères sont documentés sur certains insectes… »

L’existence d’effets à grande échelle ne serait donc pas étonnante. L’estimation du déclin reste, elle, frappante. « C’est la traduction chiffrée de ce que tout le monde peut remarquer en prenant sa voiture, conclut Vincent Bretagnolle. Il y a vingt ans, il fallait s’arrêter toutes les deux heures pour nettoyer son pare-brise tant les impacts d’insectes étaient nombreux, aujourd’hui ce n’est plus du tout nécessaire. »

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